Comme chaque année, Nic Newman, chercheur associé au Reuters Institute, a conduit, auprès de 130 responsables de la stratégie numérique de nombreux médias, une enquête approfondie permettant de dégager les principales tendances qui marqueraient le monde des médias de demain.
L’année 2015 a vu l’émergence de nouveaux modèles de distribution de contenus agrégés dans le domaine de l’actualité : Snapchat Discover en janvier, Instant Article par Facebook en mai, Apple News en septembre, et enfin, un mois plus tard, Twitter Moments. Ces plates-formes proposent aux éditeurs de publier des contenus et parfois de créer des publi-reportages (native advertising) avec la promesse, pour le lecteur, d’une expérience de lecture fluide et adaptée au smartphone. A noter également en 2015 l’arrivée d’Accelerated Mobile Pages (AMP) par Google, un standard technique permettant aux éditeurs d’accélérer l’affichage de leurs pages sur mobile. 2015 fut aussi l’année de l’explosion des « vidéos natives », grâce notamment à Facebook et sa fonction de lecture automatique, qui délivrait 8 milliards de vidéos par jour en novembre 2015, dont 75 % sur mobile. Les « vidéos natives » désignent ces vidéos créées et mises en ligne exclusivement sur les plates-formes de réseaux sociaux, par opposition aux liens vers des vidéos mises en ligne sur d’autres plates-formes comme YouTube ou Dailymotion. Le rapport rappelle le rôle crucial joué par les vidéos et les réseaux sociaux rivalisant avec les chaînes de télévision, lors de la couverture des événements les plus dramatiques de l’année, notamment à Paris lors des attentats du 13 novembre.
Le smartphone fait dorénavant partie de la vie de tout un chacun : Wael, réfugié syrien, venant de Homs, expliquait en août 2015 : « Nos téléphones sont plus importants que tout lors de notre voyage, plus important que la nourriture. » Les réfugiés s’en servent pour garder le contact avec leur famille, se photographier pendant leur périple, s’orienter sur Google Maps ou encore communiquer via des applications de messagerie instantanée.
Selon le Reuters Institute, nous allons devenir encore plus dépendants de nos smartphones en 2016. Tout d’abord, les appareils vont continuer de s’améliorer : meilleures interactions tactiles, écrans incurvés en attendant d’être pliables, appareils résistant à l’eau ou rechargeables sans fil, sans oublier le débit sur les réseaux qui ira toujours croissant.
Concernant les usages sur smartphone, le rapport prédit plusieurs tendances. Aujourd’hui, seulement 20 % des possesseurs de smartphones utilisent l’assistant personnel comme Siri sur iOs ou Google Now sur Android. Avec le lancement par Facebook de « M », assistant personnel intégré à Messenger (application de messagerie instantanée), l’année 2016 verra probablement le décollage de ces usages auprès du grand public. Intégrant intelligence artificielle et apprentissage automatique (deep learning), ces assistants personnels serviront à effectuer des tâches plus ou moins complexes comme « chercher un restaurant local, acheter des chaussures, accéder à des informations d’actualité » ou répondre à des questions plus précises. Facebook a prévu d’employer des personnes physiques pour répondre aux utilisateurs de « M » lorsque leur assistant personnel ne saura pas leur apporter satisfaction. Pour les éditeurs de contenus, la principale conséquence de ces nouveaux usages sera non plus seulement d’adapter leur offre à n’importe quel écran mais également à l’absence d’écran, scénario appelé « Zero UI » (User interface) : « […] Avec le temps, la plupart d’entre nous allons parler à nos applications plutôt que les toucher. »
Aujourd’hui, le défi pour les éditeurs concerne en premier lieu les différentes manières d’attirer l’attention de ceux qui ne vont pas nécessairement consulter spontanément les informations sur leur smartphone. Le rapport explique que les alertes (push notifications) vont se multiplier, notamment dans les pays où les individus s’équipent en technologies portées sur soi, les wearable devices, et plus particulièrement les smartwatches.
Le paiement avec un mobile et le commerce sur mobile devraient également se développer, permettant aux éditeurs de bénéficier de ces nouveaux usages avec des consommateurs alors plus enclins à payer des abonnements ou à effectuer des micro-paiements.
Des efforts porteront également sur la rapidité avec laquelle les contenus s’affichent sur les terminaux portables. En effet, le poids des pages des sites d’actualité est très élevé, en partie du fait de la publicité. Le New York Times a montré que plus de la moitié des données des pages affichées sur les sites d’actualité les plus populaires proviennent de sources qui ne sont pas en rapport avec le contenu.
Concernant les contenus vidéo sur mobile, le rapport prévoit leur multiplication par quatorze dans les cinq prochaines années, soit 70 % du trafic. De nombreux responsables de médias lancent des initiatives dans ce sens : la BBC va se concentrer sur Newstream, un service vidéo dédié au mobile. Pour la première fois, The Guardian affecte des équipes uniquement consacrées à la vidéo et devient partenaire de la Google’s Digital News Initiative, un lecteur vidéo YouTube en marque blanche. News Corp a racheté l’entreprise Unruly, qui permet, pour ses marques et ses annonceurs, de faire de la publicité vidéo sur les réseaux sociaux.
Les formats vont également évoluer avec notamment les vidéos 360°, la réalité virtuelle et la narration immersive (immersive storytelling). Avec Occulus Rift, casque de réalité virtuelle dont la sortie est prévue en 2016, Facebook supportera les vidéos 360° qui permettront une expérience en immersion complète plutôt que de simples interactions sur un écran. Google avec Google Cardboard, masque en carton dans lequel se glisse un smartphone pour visualiser des contenus en réalité virtuelle, sera également de la partie. Le New York Times a ainsi réalisé une série de films en réalité virtuelle et a distribué, en novembre 2015, un million de Google Cardboard à ses abonnés les plus fidèles. A l’avenir, toutes les annonces d’événements importants (breaking news) devraient être couvertes par des vidéos en direct. Cette explosion de la consommation de vidéos, tout comme les nouveaux formats, auront un impact sur la diffusion de la télévision traditionnelle, dont l’audience diminue dans de nombreux pays, comme en Grande-Bretagne avec une baisse de 5 % en 2015, selon l’Ofcom.
Les plates-formes de réseaux sociaux et les applications de messagerie sont devenues encore plus familières pour un nombre toujours plus élevé de personnes. Facebook a dépassé la barre du milliard d’utilisateurs par jour, Instagram a dépassé les 400 millions d’inscrits et Twitter, malgré ses difficultés, est utilisé par 350 millions de personnes chaque mois. Ces plates-formes vont encourager les éditeurs et les professionnels du marketing à publier leur contenu directement chez eux plutôt que de créer des liens vers des contenus externes, comme Instant Article de Facebook. Sous pression, Twitter va augmenter la taille limite des tweets de 140 à 10 000 caractères, ce qui va changer la nature de la plate-forme et en faire un concurrent de Facebook, LinkedIn ou encore Medium. Les plates-formes de réseaux sociaux vont également étendre leur fonctionnalité au paiement (social e-commerce), à l’instar de Pinterest qui a ajouté un bouton « acheter » sur les billets sponsorisés, ou encore de Twitter qui s’essaie à une plate-forme de vente en ligne. En Asie, des applications de messagerie comme WeChat ou Line sont déjà allées plus loin, en intégrant directement des fonctions de paiement, de réservation de taxis, d’accès aux actualités et même de services de musique.
Les dépenses publicitaires continuent de migrer progressivement vers le online, comme en Grande-Bretagne où la moitié des budgets publicitaires sera dépensée en ligne. Mais les consommateurs restent toujours réticents, « incroyablement sensibles à leur vie privée » et utilisent des bloqueurs de publicité comme AdBlock ou Ghostery. Une étude de YouGov montre que 20 % de l’audience en ligne en Grande-Bretagne utilise un bloqueur de publicité, mais que cette proportion atteint 40 % pour les 18-24 ans.
Le rapport indique aussi que les éditeurs de contenus d’information, en 2016, ont conscience de la nécessité de diversifier leurs revenus pour pallier le déclin de leurs recettes publicitaires et pour faire face à la montée en puissance des bloqueurs de publicité. La majorité des personnes interrogées pour l’enquête menée par le Reuters Institute souhaitent ne plus se focaliser sur le nombre de pages vues et l’affichage de publicité (display ads). Parmi les nouvelles sources de revenus pour les éditeurs, le rapport prédit davantage de financements participatifs (crowdfunding) et de nouveaux modèles de micro-paiements, notamment avec Blendle, plate-forme néerlandaise d’agrégation de contenus d’actualité, qui est lancée aux Etats-Unis avec le soutien du New York Times.
Pour de nombreux éditeurs, l’année 2016 sera celle de l’engagement de l’audience, qui passe par une meilleure analyse des comportements des visiteurs de leur site web, ainsi que par l’analyse des données générées à cette occasion. A noter également le développement des robots-journalistes, déployés par des entreprises comme Automated Insights ou Narrative Science, et actuellement utilisés pour créer des rapports financiers pour The Associated Press et des comptes rendus sportifs pour des entreprises comme Yahoo!.
Journalism, media and technology predictions 2016, Digital News Reports, Nic Newman, Reuters Institute, 6 janvier 2016.