Mondadori, la branche édition de la Fininvest, devient le seul éditeur d’envergure sur le marché italien en s’emparant de RCS Libri (Rizzoli, Bompiani…), ce qui suscite l’inquiétude des auteurs. Cette opération est d’abord la conséquence des difficultés de RCS Mediagroup et de la crise du marché italien du livre.
Fragilisé par une dette trop importante contractée en 2007 lors du rachat de l’éditeur espagnol Recoletos (Expansion, El Mundo) (voir La REM n°28, p.21), le groupe italien RCS Mediagroup continue sa politique de cession d’actifs. Les activités d’édition de livres sont les premières concernées, la presse et le numérique restant au cœur du modèle stratégique de RCS Mediagroup. Ainsi, après la vente de Flammarion à Gallimard en juin 2012 (voir La REM n°24, p.19), ce sont les activités italiennes d’édition qui ont été cédées. Cette cession fait émerger un nouveau géant de l’édition en Italie.
Le 18 février 2015, Mondadori, numéro 1 de l’édition en Italie, détenu à 50,3 % par la Fininvest, le groupe de la famille Berlusconi, faisait part de son intérêt pour RCS Libri, la branche livres de RCS Mediagroup, afin de constituer « un puissant pôle national du livre ». RCS Libri est le numéro 2 de l’édition en Italie, un marché en pleine crise qui représentait 2,9 milliards d’euros en 2014, contre 3,1 milliards d’euros en 2012. Sur ce total, tous secteurs confondus, y compris l’édition scolaire et les livres d’occasion, les ventes en librairie pour la littérature générale ne représentent que 1,2 milliard d’euros en 2014. La fusion des numéros 1 et 2 a donc été présentée comme une réponse à la crise du marché, faisant émerger un acteur capable d’en définir les nouvelles règles,Mondadori représentant 27 % de parts de marché et RCS Libri 11,7 %, soit près de 40 % du marché du livre (ventes en libraire) une fois les deux entités réunies. Cet effet de taille est essentiel pour résister aux concurrences venues du numérique, où le marché est également en situation de quasi-monopole avec Amazon.
Mais il n’a pas que des avantages et, très vite, de nombreux auteurs emmenés par Umberto Eco ont dénoncé la concentration du pouvoir représentée par le nouvel ensemble, le reste du marché de l’édition étant morcelé entre une multitude de petits éditeurs, ce qui donne un avantage certain au seul géant quand il s’agit des prix littéraires où les jurys ont des liens avec les éditeurs, ou encore lors des négociations contractuelles avec les librairies, autant de facteurs qui pourraient nuire à la liberté de création des auteurs. Si le ministre italien de la culture s’est également ému du projet, Mateo Renzi, le Premier ministre, n’a pas critiqué l’opération, ce qui aura sans doute permis, début mars 2015, l’ouverture de négociations exclusives entre RCS et Mondadori. Finalement, le 4 octobre 2015, Mondadori s’est définitivement emparé de RCS Libri pour 127,50 millions d’euros. Plusieurs auteurs, parmi lesquels notamment Umberto Eco, lui-même édité par une filiale de RCS Libri, ont dénoncé cette concentration nouvelle du marché du livre en Italie, sans pouvoir l’empêcher, ce qui a conduit fin 2015 à la création d’une nouvelle maison d’édition indépendante, Le Nave di Teseo, fédérant des transfuges hostiles au nouvel ensemble et dirigée par Umberto Eco et Elisabetta Sgarbi.
Pour la Fininvest, l’opération est symbolique. Entré sur le marché de l’édition en 1994, il en était devenu le premier acteur avec Mondadori. En prenant le contrôle de RCS Libri, il en devient le seul acteur, distançant fortement les concurrents Feltrinelli et Gruppo Mauri Spagnol (GEMS). En effet, le nouvel ensemble, baptisé aussitôt « Mondazzoli » par les opposants au projet, représente près de 40 % du marché du livre italien en librairie, estimé au total à 1,2 milliard d’euros de chiffre d’affaires en 2014, mais 70 % du marché des livres de poche. Sur le marché du livre scolaire, soit 589 millions d’euros en 2014, le nouvel ensemble représente 25 % du total. C’est donc sur la littérature générale que l’Autorité italienne de la concurrence risque d’exiger des cessions avant de donner son autorisation. Le nouvel ensemble affichera en outre un chiffre d’affaires supérieur à 500 millions d’euros.
Pour RCS Mediagroup, la cession de RCS Libri lui permettra d’alléger le montant de sa dette, qui représente encore plus de 500 millions d’euros. Mais cela ne suffira pas à rétablir les finances du groupe pénalisé par la baisse de ses recettes publicitaires dans les activités de presse. Ainsi, en 2014, RCS Mediagroup a réalisé 1,27 milliard d’euros de chiffre d’affaires, un montant en baisse de 2,6 % par rapport à 2013, et affiché des pertes de 110,8 millions d’euros, signe d’une amélioration progressive de la structure de coûts du groupe qui affichait encore 218,5 millions de pertes en 2013. Outre son plan d’économies de 220 millions d’euros entre 2013 et 2015, RCS Mediagroup a par ailleurs annoncé en juin 2015 un nouveau plan d’économies structurelles de 50 millions d’euros, dont 30 millions réalisés sur le personnel, soit 10 % de l’effectif (470 postes sur 3 963 salariés). Le premier quotidien italien, le Corriere della Sera, sera le premier touché, condamné à réaliser 15 millions d’euros d’économies, essentiellement sur la rédaction qui passe de 327 à 260 journalistes.
Sources :
- « Sintesi del rapporto sullo stato dell’editoria in Italia 2015 », graphique, Associazione Italiana Editori, www.aie.it
- « Fronde contre le projet de fusion Mondadori-RCS », Pierre de Gasquet, Les Echos, 24 février 2015.
- « La double offensive de Silvio Berlusconi », Richard Heuzé, Le Figaro, 27 février 2015.
- « Italie : Mondadori obtient l’exclusivité pour RCS Libri », Pierre de Gasquet, Les Echos, 9 mars 2015.
- « RCS Mediagroup va tailler dans ses effectifs », Pierre de Gasquet, Les Echos, 11 juin 2015.
- « Mondazzoli, naissance d’un colosse de l’édition italienne », Olivier Tosseri, Les Echos, 6 octobre 2015.
- « Et vogue le navire d’Umberto Eco », Pierre de Gasquet, Les Echos Week-end, 16 janvier 2016.