La BBC réduit son offre et s’adapte à un environnement hostile

Des économies très importantes à réaliser, de nouvelles réductions budgétaires, des critiques sur ses missions et sa manière de les assumer, la BBC est décriée au Royaume-Uni. A force de réduire ses dépenses, son cœur de métier est touché avec la fermeture d’une première chaîne, la BBC 3.

Alors qu’elle est souvent montrée en exemple depuis Paris quand il s’agit d’imaginer les contours d’un meilleur service audiovisuel public, la BBC est paradoxalement au centre des attaques au Royaume-Uni. Plusieurs facteurs concourent à la remise en question de l’existence même du service public audiovisuel britannique.

Le premier d’entre eux est la présence au pouvoir des équipes de David Cameron, les conservateurs britanniques reprochant depuis toujours à la BBC son engagement à gauche, mais estimant aussi que le service public audiovisuel doit être suffisamment distinct des médias privés pour exclure toute forme de concurrence sur les programmes, ce qui implique donc un service public audiovisuel réduit à sa portion congrue.

Fort de cette approche qui reproche son gigantisme au groupe audiovisuel public, le gouvernement conservateur s’est employé depuis 2010 à en réduire les revenus, qui ont fondu de 40 %. Dans un premier temps, le montant de la redevance a été gelé pendant sept ans à 145,5 livres par foyer (205 euros), ce qui pénalise immédiatement la BBC dont les recettes stagnent en période normale d’inflation (voir La REM, n°16, p.17). S’ajoute à ce gel la baisse progressive du nombre de foyers équipés d’un poste de télévision, à mesure que le visionnage de vidéos en ligne se banalise, un repli qui correspond à 150 millions de recettes de redevance en moins estimées pour 2015, même si 95 % des foyers britanniques déclarent disposer encore d’un poste de télévision.

Enfin, depuis 2011, le ministère des affaires étrangères a supprimé sa dotation au service international World Service. En tout, la BBC doit donc économiser sur la période de gel de la redevance, de 2010 à 2017, l’équivalent de 1,5 milliard de livres par an. Mais l’effort annoncé ne semble pas suffisant puisque, en juillet 2015, le gouvernement britannique a décidé de ne plus compenser à partir de 2018 l’exonération de redevance pour les foyers de plus de 75 ans. Cette compensation représentait 650 millions de livres par an (890 millions d’euros), soit plus de 20 % du montant perçu grâce à la redevance, qui s’élève à 3,7 milliards de livres (5,3 milliards d’euros).

Au-delà de ces coupes franches dans le budget de la BBC, une réflexion est lancée, qui vise à remettre en question la justification même du service public audiovisuel britannique. Le nouveau secrétaire d’Etat à la culture, John Whittingdale, en est un fervent opposant et a commandé un rapport sur le périmètre du groupe audiovisuel pour le dénoncer. Il est notamment reproché à la BBC de proposer des programmes trop commerciaux, le groupe audiovisuel public bénéficiant de ce fait d’avantages injustifiés face aux groupes privés. La BBC diffuse The Voice au Royaume-Uni, ce qui lui a été reproché. Le même type de reproche est fait à ses radios Radio 1 et Radio 2, qui entrent en concurrence frontale avec les radios privées en proposant d’abord une programmation musicale.

Enfin, le site web de la BBC est critiqué pour concurrencer celui des chaînes d’information, mais également celui des sites de presse, quand son succès pourrait aussi être un motif de satisfaction avec près de 25 millions de visiteurs uniques par mois. Enfin, le service iPlayer, lancé en 2007, fait également de l’ombre aux services de vidéo en ligne des chaînes, qu’il domine outrageusement. En la matière, le gouvernement a trouvé de solides alliés auprès des groupes privés pour dénoncer la concurrence faussée que la BBC imposerait sur leurs marchés. La News Media Association (NMA), qui fédère de très nombreux journaux, a ainsi dénoncé le rôle de BBC News sur internet qui « menace d’évincer les fournisseurs d’information locaux, nationaux et internationaux » en tuant les sites web privés parce qu’elle proposerait trop de rubriques de divertissement, qui devraient être réservées aux seuls sites commerciaux.

L’avalanche des critiques, les coupes annoncées, la rigueur actuelle et l’approche de la renégociation de la convention liant la BBC à l’Etat en 2016 auront sans aucun doute conduit son directeur général, Tony Hall, à de premières concessions très symboliques. Début juillet 2015, 50 millions de livres d’économies étaient annoncées grâce à une réduction massive du nombre de postes dans les fonctions administratives et d’encadrement, soit 1 000 postes supprimés sur un total de 16 300 salariés.

Cette économie n’était en fait que la première parmi un plan d’austérité beaucoup plus vaste qui vise à réduire le budget de la BBC de 700 millions de livres (1 milliard d’euros) à l’horizon 2022, dont 150 millions de livres (214 millions d’euros) avant 2017. Sur ces 150 millions de livres, 50 millions sont donc pris sur les effectifs salariés, auxquels s’ajouteront 35 millions d’euros d’achat de droits sportifs supprimés, ce qui pourrait par exemple remettre en cause la diffusion des Jeux olympiques de 2022 par la BBC.

Enfin, des fermetures de chaînes sont envisagées, comme la chaîne BBC News qui pourrait alors n’être diffusée qu’en ligne, ou encore la chaîne culturelle BBC 4. Concrètement, la première chaîne concernée sera la BBC 3, qui s’adressait aux jeunes adolescents. Cette dernière basculera définitivement en ligne en mars 2016 et son budget sera divisé par deux, ce qui permettra d’économiser 30 millions d’euros. Enfin, pour répondre aux critiques des médias privés sur la concurrence faussée, la BBC a proposé en septembre 2015 la prise en charge d’un réseau de 100 journalistes locaux dans la production écrite et audiovisuelle, leur production étant fédérée dans une banque commune où pourront venir gratuitement se servir les médias privés d’information.

Enfin, Tony Hall a également proposé d’ouvrir l’iPlayer aux chaînes privées, essentiellement Channel 4 et iTV, ce qui ferait naître une plate-forme de « replay » unique au Royaume-Uni et un vrai concurrent des services de SVOD, sur le modèle de Hulu aux Etats-Unis. Pour l’instant, l’iPlayer se contente de renvoyer depuis 2011 vers les programmes de Channel 4 et d’iTV mais n’intègre pas le visionnage de ces derniers directement dans son interface.

Sources :

  • « La BBC supprime 1000 emplois pour faire face à la réduction de son budget », Vincent Collen, Les Echos, 3 juillet 2015. 
  • « La BBC menacée d’une cure d’amaigrissement », Vincent Collen, Les Echos, 20 juillet 2015. 
  • « Au Royaume-Uni, les groupes de presse attaquent l’offre en ligne de la BBC », Vincent Collen, Les Echos, 3 septembre 2015. 
  • « Face aux coupes budgétaires, la BBC prépare les Britanniques à des choix difficiles », Vincent Collen, Les Echos8 septembre 2015.
  • « La BBC réduit sa voilure face à des recettes en baisse », Florentin Collomp, Le Figaro, 20 novembre 2015. 
Professeur à Aix-Marseille Université, Institut méditerranéen des sciences de l’information et de la communication (IMSIC, Aix-Marseille Univ., Université de Toulon), École de journalisme et de communication d’Aix-Marseille (EJCAM)

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