Les studios américains à l’heure du repositionnement

Développement des câblos en direction de l’internet, perte d’audience des chaînes, mondialisation de l’offre audiovisuelle, succès de Netflix : la production américaine doit se repenser sur l’internet et à l’échelle internationale avec de nouveaux acteurs, dont certains investissent déjà à Hollywood, qu’il s’agisse du chinois Dalian Wanda ou du qatari beIN Media.

La production audiovisuelle et cinématographique a longtemps semblé échapper aux reconfigurations parfois brutales imposées par le développement des offres et des usages numériques, comme la musique qui a totalement dû repenser ses modèles d’affaires. A Hollywood, l’heure est désormais aux changements parce que Netflix est parvenu à modifier l’écosystème dans lequel évoluaient producteurs, éditeurs et distributeurs.

En 2015, Netflix a atteint 70 millions d’abonnés dans le monde, dont 43 millions aux Etats-Unis où son offre de vidéo par abonnement (sVoD) est devenue une véritable alternative aux offres classiques de télévision payante commercialisées à des tarifs beaucoup plus élevés par les câblo-opérateurs. Cette émergence rapide de Netflix dans les pratiques de consommation audiovisuelle des Américains, renforcée par les succès relatifs de Hulu ou par l’offre intégrée d’Amazon Prime, qui a été complétée par une offre de sVoD autonome depuis avril 2016, disponible aux Etats-Unis, au Royaume-Uni et en Allemagne, a des conséquences multiples.

Concernant les câblo-opérateurs, leur place centrale est menacée comme intermédiaire entre le téléspectateur et les chaînes payantes via la commercialisation de bouquets de chaînes de télévision. La pratique du cord cutting, à savoir le désabonnement aux offres de télévision par câble pour y substituer une offre de sVoD, s’accentue (voir La rem n°26-27, p.37). De nombreux analystes voient toutefois dans les offres de sVoD plutôt un complément aux bouquets de chaînes qui ont pour eux de garantir encore une offre diversifiée de programmes proposant des séries et des films comme peut le faire Netflix, mais également du sport et des émissions de plateau. Il demeure que les câblo-opérateurs perdent depuis 2007 des abonnés à leurs offres de télévision.

En conséquence, ils se repositionnent de plus en plus sur l’accès à l’internet, transportant autrement les images, notamment celles de Netflix, puisque le pari de ce dernier a été de faire basculer sur internet la distribution des programmes audiovisuels, quand le câble et la télévision par satellite dominaient historiquement aux Etats-Unis.

La place nouvelle des câblo-opérateurs sur le marché de la distribution en ligne des programmes a d’ailleurs été récemment reconnue par la décision de la FCC (Federal Communications Commission) et du département américain de la justice autorisant le rachat de Time Warner Cable et Bright House Networks par Charter Communication (voir La rem n°34-35, p.31), mais avec un ensemble de conditions favorisant les éditeurs de services de vidéo en ligne.

Le nouvel ensemble ne pourra plus fixer de limites à l’utilisation de l’internet haut débit (plafonds perturbant l’accès correct à la vidéo en ligne au-delà d’un certain seuil de consommation) ; il ne pourra plus imposer dans ses contrats de distribution des chaînes des clauses limitant la distribution alternative de leurs programmes en ligne ; enfin, il ne pourra pas facturer des frais d’interconnexion aux éditeurs de services en ligne, les éditeurs de services de vidéo étant les premiers concernés de fait par la bande passante consommée.

Cette décision indique combien les câblo-opérateurs s’éloignent de plus en plus d’Hollywood pour se rapprocher des acteurs des télécoms qu’ils viennent concurrencer (voir La rem n°30-31, p.65). Au moins repensent-ils leurs relations avec les grands networks, ceux qui éditent les chaînes aux Etats-Unis. Afin de s’aligner sur les tarifs des offres de sVoD, les câblo-opérateurs favorisent de plus en plus la distribution de bouquets dits « amaigris » (skinnny bundles) fédérant uniquement les quelques chaînes les plus populaires.

Le cord-cutting (désabonnement au câble), les skinny bundles sont autant de tendances qui révèlent la fragilité nouvelle des éditeurs de chaînes fédérés au sein des networks aux Etats-Unis, à savoir Disney/ABC, Time Warner, Fox ou encore Viacom. Ces derniers perdent des abonnés aux offres de télévision par câble. Leur audience baisse en conséquence, entraînant avec elle une baisse des recettes publicitaires. S’ajoute à cette baisse générale des audiences et des recettes une polarisation nouvelle du marché qui conduit les câblos à favoriser les chaînes les plus prestigieuses et à délaisser les chaînes de complément afin de diminuer le coût des abonnements aux offres de télévision.

Ces tendances fragilisent, d’une part, les chaînes à forte notoriété parce qu’elles doivent investir massivement pour conserver leur statut auprès du public, et d’autre part, les chaînes plus spécialisées parce qu’elles sont moins nécessaires dans les offres groupées. Cette situation explique à elle seule les difficultés nouvelles rencontrées par les networks américains, au point de menacer leur avenir. A titre d’exemple, Viacom a vu les audiences de Comedy Central reculer de 21 % en 2015, et de 26 % pour MTV, que le streaming musical court-circuite.

Or, les chaînes câblées ont représenté 78 % du chiffre d’affaires du groupe en 2015. La menace est donc très sérieuse. Même le sport est touché, la chaîne ESPN de Disney affichant un recul de 7 % de son audience, alors même que le coût des droits sportifs s’envole aux Etats-Unis.

C’est d’ailleurs à cet endroit que les équilibres semblent de plus en plus difficiles : la concurrence nouvelle des offres de sVoD se traduit par une surenchère sur le prix des programmes, essentiellement les séries dont l’offre devient pléthorique, à laquelle s’ajoute une surenchère sur les autres droits, notamment le sport, les chaînes en ayant de plus en plus besoin pour s’assurer d’exclusivités vraiment « rares ». L’augmentation du coût des programmes et la baisse du nombre d’abonnés et des recettes publicitaires semblent donc annoncer des difficultés majeures pour les éditeurs de chaînes aux Etats-Unis.

Pour les producteurs, l’enjeu est tout autre, ce qui conduit Hollywood à se retrouver au centre de toutes les attentions. La production audiovisuelle et cinématographique, longtemps dépendante des commandes des networks, est devenue aujourd’hui stratégique. Là encore, Netflix a profondément influencé la reconfiguration du marché en misant sur les séries exclusives et à gros budget.

Le service de sVoD finance la production de ses propres séries depuis 2010, et de ses propres films depuis 2015, faisant de ses programmes un argument commercial pour convaincre ses futurs abonnés. En 2016, le service de sVoD entend ainsi investir 6 milliards de dollars dans la production, soit plus que tous les autres studios américains réunis. Netflix peut envisager une telle dépense parce qu’il compte l’amortir sur un parc d’abonnés de plus en plus étendu, notamment grâce à l’internationalisation du service. Les autres producteurs doivent donc suivre, telle la société HBO qui produit ses séries pour la chaîne éponyme depuis les années 1990 afin de moins dépendre des studios.

En 2016, la chaîne a annoncé vouloir augmenter de 50 % son budget production pour atteindre 600 heures de programmes exclusifs pour ses abonnés, soit un investissement de 2 milliards de dollars, la moitié étant réservée au studio HBO, l’autre à l’achat de licences auprès des studios hollywoodiens. Qu’il s’agisse des chaînes du câble, des nouveaux éditeurs d’offres en ligne, l’accès à des programmes exclusifs et de qualité devient donc essentiel. Autant dire que les producteurs deviennent un enjeu, alors même qu’ils doivent accompagner une transition qui substituera à leurs interlocuteurs historiques, les chaînes du câble, de nouveaux acteurs (services de sVoD, chaînes premium comme HBO).

Plusieurs annonces récentes témoignent aux Etats-Unis du repositionnement actuel des studios de production cinématographique et audiovisuelle. La chaîne premium Starz semble devoir se rapprocher du studio Lions Gate (0,7 milliard de dollars au box-office américain en 2015) par l’intermédiaire de John Malone, un actionnaire important de Starz et de Lions Gate via Liberty Global et Discovery Communications. Il s’agit dans ce cas de sécuriser l’approvisionnement de la chaîne en séries et films exclusifs. Des logiques de concentration horizontale sont également à l’œuvre, comme 21st Century Fox qui a tenté, en 2014, de fusionner avec Time Warner (voir La rem n°32, p.49).

L’opération a été reportée du fait de la détérioration des conditions boursières, mais la stratégie n’est pas remise en cause, à savoir fusionner les numéros 3 et 4 du marché (1,9 milliard de dollars au box-office américain en 2015 pour Time Warner, 1,4 milliard pour Fox) afin de mieux s’imposer dans les négociations avec les distributeurs. Une autre fusion est espérée par DreamWorks SKG qui a annoncé, en mars 2016, souhaiter racheter Paramount, la sixième major, avec 0,7 milliard de dollars de revenus au box-office américain en 2015, à égalité avec Lions Gate.

Paramount, le studio de Viacom, cherche en effet un partenaire pour se développer, mais Viacom attend plutôt un partenaire technologique ou international pour développer son studio sur les nouveaux marchés stratégiques. De son côté, Comcast, qui contrôle NBC Universal, s’est emparé pour 3,8 milliards de dollars du studio DreamWorks Animation (0,9 milliard de dollars de chiffre d’affaires en 2015), la transaction ayant été annoncée le 28 avril 2016.

DreamWorks Animation avait été séparé de DreamWorks SKG en 2004 et cherchait un repreneur depuis cette date, son indépendance ne lui permettant pas une expansion aussi rapide qu’il l’aurait souhaité. DreamWorks Animation devrait être rapproché d’Illumination Entertainment, le studio d’animation d’Universal Studios.

L’expansion des studios à l’échelle internationale constitue en effet l’un des enjeux majeurs pour la production, au-delà de la consolidation du marché américain et des alliances avec les distributeurs, qu’il s’agisse de chaînes premium ou de nouveaux éditeurs en ligne. De plus en plus, les coûts de production devront être amortis sur un marché mondialisé, ce qui est au cœur de la stratégie de Netflix. Certains nouveaux marchés deviennent stratégiques au point de déplacer le centre de gravité du cinéma mondial, comme le marché chinois qui, pour le cinéma, devrait devenir le numéro 1 en 2017.

En 2015, le marché du cinéma en Chine a représenté 6,7 milliards de dollars, en hausse de 30 %, quand le box-office américain a réalisé une très bonne année avec 11 milliards de dollars de recettes. Les studios américains s’intéressent donc de très près à la Chine, et les producteurs chinois souhaitent aller chercher aux Etats-Unis l’expertise qui leur fait défaut.

Cette compétence leur est en effet nécessaire pour devenir de véritables acteurs mondiaux du cinéma, même si le gouvernement chinois les protège de toute concurrence frontale sur le marché intérieur (quotas limitant à un tiers des films en salle la proportion de films étrangers, censure de la SAPPRFT qui donne les autorisations, définit les dates de sortie et les durées d’exploitation). Cette situation explique ce pourquoi les studios américains sont obligés de s’allier à des producteurs chinois pour éviter le filtre de la censure, et ce pourquoi les Chinois n’hésitent pas à investir Hollywood.

Après le rachat en 2012 de la chaîne américaine de salles de cinéma AMC pour 2,6 milliards de dollars (voir La rem n°24, p.36), le conglomérat chinois Dalian Wanda a ainsi réalisé coup sur coup deux acquisitions majeures aux Etats-Unis. Début janvier 2016, des négociations avancées étaient révélées qui allaient permettre à Dalian Wanda de prendre la majorité du capital du studio Lengendary Entertainment, producteur de Jurassic World avec Universal Studio, le plus gros succès du box-office mondial en 2015.

A l’évidence, ces performances seront exploitées en Chine pour y développer la production, en même temps que Legendary trouvera avec AMC un moyen de pousser ses films en salle. Deux mois plus tard, Dalian Wanda annonçait via AMC le rachat de Carmike pour 1,1 milliard de dollars. Carmike est un réseau de salles de cinéma aux Etats-Unis qui permet au nouvel ensemble de devenir le numéro 1 mondial avec 8 380 salles, devant Regal et ses 7 361 salles.

Si le marché des salles de cinéma aux Etats-Unis est mature et peu porteur de croissance, la compétence importée des Etats-Unis devrait permettre à Dalian Wanda de développer ses activités d’exploitation sur son marché national très dynamique, afin d’atteindre 20 % du marché mondial du film en 2020, puisque c’est l’objectif que le groupe s’est fixé.

Enfin, les investisseurs internationaux peuvent également venir d’autres horizons, à l’instar de beIN Media Group qui, après s’être positionné sur le sport à l’échelle internationale, investit désormais le cinéma aux Etats-Unis en plus de son pré-carré en Afrique du Nord et au Moyen-Orient.

Le 1er mars 2016, beIN Media Group a en effet annoncé l’acquisition, pour un montant non dévoilé, du studio américain Miramax, auparavant détenu par le fonds d’investissement Colony Capital et par la Qatar Investment Authority (QIA), le fonds souverain du Qatar. Avec Miramax, beIN Media Groupe change de dimension à l’échelle internationale où le groupe n’avait de dimension mondiale que dans le sport.

Ses chaînes de cinéma et de séries, disponibles depuis le 1er novembre 2015, sont en effet accessibles uniquement dans la zone arabe (Afrique du Nord et Moyen-Orient) où beIN Media Group entend s’imposer comme leader régional. Avec Miramax, beIN Media Group entre sur le marché mondial du cinéma et se donne les moyens de déployer une stratégie de production originale avec des équipes reconnues, Miramax ayant été fondé par les frères Weinstein et développé par Disney avant d’être cédé en 2010 pour 660 millions de dollars.

Sources :

  • « Hollywood : gros budgets et nostalgie à la fête », Nicolas Madelaine, Les Echos, 29 décembre 2015. 
  • « Le chinois Wanda devrait s’emparer du producteur de Jurassic World », Alain Ruello et Elsa Conesa, Les Echos, 6 janvier 2016. 
  • « Le studio Legendary passe sous pavillon chinois », Caroline Sallé, Le Figaro, 6 janvier 2016. 
  • « Les Chinois n’ont jamais autant investi dans les médias et le divertissement », Marina Alcaraz, Les Echos, 8 janvier 2016. 
  • « Cinéma : la Chine en passe de détrôner les Etats-Unis », Le Quotidien du Peuple en ligne, 5 février 2016. 
  • « Le câble américain résiste au déclin des bouquets de chaînes », Pierre-Yves Dugua, Le Figaro, 23 février 2016. 
  • « Le studio DreamWorks rêve de racheter son glorieux aîné Paramount », Pierre-Yves Dugua, Le Figaro, 3 mars 2016. 
  • « beIN Media Group se développe hors du sport avec les studios de cinéma Miramax », Nicolas Madelaine, Les Echos4 mars 2016.
  • « beIN Media s’offre le studio Miramax », Pierre-Yves Dugua, Le Figaro, 4 mars 2016. 
  • « Le chinois Wanda, nouveau leader mondial des salles de cinéma », Lucie Robequain, Les Echos, 7 mars 2016. 
  • « La guerre entre Netflix et HBO s’intensifie », Lucie Robequain, Les Echos, 10 mars 2016. 
  • « Charter-TWC devra faire de la place à Netflix », Elsa Conesa, Les Echos, 27 avril 2016. 
  • « Les studios DreamWorks Animation rachetés pour 3,8 milliards de dollars par Comcast », Stéphane Lauer, lemonde.fr, 29 avril 2016. 
Professeur à Aix-Marseille Université, Institut méditerranéen des sciences de l’information et de la communication (IMSIC, Aix-Marseille Univ., Université de Toulon), École de journalisme et de communication d’Aix-Marseille (EJCAM)

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