Grâce à une technique d’impression numérique utilisée pour la première fois en Europe, le groupe éditeur d’hebdomadaires locaux souhaite offrir à ses lecteurs des journaux sur mesure, afin de s’adapter aux nouveaux usages.
« Il faut arrêter de faire le même produit pour tout le monde et proposer des offres variables dans l’espace et dans le temps », a déclaré Jean-Pierre Vittu de Kerraoul, président du groupe de presse Sogemedia lors de la 9e édition des Assises du Journalisme, à Tours, en mars 2016. Editeur d’une vingtaine d’hebdomadaires locaux essentiellement dans Les Hauts de France (L’Observateur, La Sambre, Le Bonhomme picard…), le groupe a acquis une rotative numérique pour lancer un nouveau concept de journal personnalisé. A terme, 80 000 exemplaires de dix-sept de ses hebdomadaires sortiront chaque semaine de Digitaprint, sa nouvelle imprimerie située à Avesnes-sur-Helpe (Nord), inaugurée en décembre 2015.
Le président de Sogemedia en est convaincu, la survie de la presse imprimée passe par l’innovation : « Ce qui est dépassé, ce n’est pas le papier ; c’est ce qu’on met dessus ». Quel que soit le support, l’offre de contenus doit répondre aux attentes des lecteurs, habitués désormais, grâce aux technologies numériques, à sélectionner ce qu’on leur propose en fonction de leurs centres d’intérêt, à être considérés comme uniques. A l’instar des applications mobiles élaborées par les éditeurs de presse, l’impression sélective permettra de proposer une personnalisation des contenus rédactionnels et publicitaires, de composer un journal spécifique pour chaque lecteur. Ainsi, différentes versions de l’édition du jour seront publiées, chacune correspondant précisément aux données recueillies auprès du lecteur, selon les thématiques choisies par ce dernier, son lieu de résidence ou de travail.
« Nous ne faisons pas une révolution mais une transmutation pour transformer l’entreprise. Ce n’est pas qu’un projet technique, c’est aussi un projet rédactionnel qui va nous faire penser différemment les infos que l’on diffuse. De toute façon, vu le déclin de la presse traditionnelle papier, il fallait agir. Et tout repenser », a déclaré Jean-Pierre Vittu de Kerraoul lors de l’inauguration de Digitaprint. Avec un effectif de 180 salariés, Sogemedia a réalisé un chiffre d’affaires de 27 millions d’euros en 2015. Lancé en 2013, son projet englobe tous les métiers de l’entreprise de presse (rotativiste, responsable commercial, journaliste, maquettiste…) afin de mettre en place une nouvelle organisation, tant sur le plan éditorial que commercial.
Six millions d’euros ont été investis pour réaliser cette mutation de l’entreprise de presse, notamment grâce à une subvention de 2,5 millions d’euros en provenance du Fonds stratégique pour le développement de la presse (FSDP). Ce montant inclut les équipements matériels et les logiciels ainsi que la formation des équipes. Le modèle choisi de rotative numérique à jet d’encre de la marque Kodak permet d’imprimer en quadrichromie 200 000 pages au format tabloïd par heure et, surtout, de fabriquer en continu les différentes versions d’une édition à faible tirage. Afin d’être rentabilisé, cet équipement doit être partagé avec d’autres titres, Le Journal de la Haute-Marne, Liberté Hebdo et La Semaine de l’Allier. Les titres du groupe suffiront à assurer 80 % du plan de charges. Néanmoins, Sogemedia envisage de commercialiser son équipement auprès d’éditeurs européens pour de faibles tirages de titres destinés à leurs concitoyens vivant en France ou en Belgique, toute proche.
Premier hebdomadaire du groupe à expérimenter ce nouveau modèle économique, La Sambre de Maubeuge ne proposera donc plus une édition unique, mais quatre éditions distinctes, avec des pages communes, destinées chacune à une petite zone géographique, à un lieu de vie. La pagination s’en trouvera réduite, passant de 48 pages en moyenne à 32 pages. A cette spécialisation géographique s’ajoutera à l’avenir une sélection des thématiques par le lecteur – quatre sur les huit proposées – que ce dernier pourra modifier à sa guise. Seuls les abonnés au journal bénéficieront de cette innovation. Sogemedia voudrait s’appuyer notamment sur les marchands de journaux pour servir les abonnés depuis leur point de vente, assurant ainsi une visibilité aux exemplaires personnalisés auprès des acheteurs au numéro.
La personnalisation des contenus s’adresse également aux annonceurs qui pourront adapter à l’avenir leurs annonces à une zone géographique bien précise ou encore adresser un message publicitaire personnalisé en fonction du profil socio-économique du lecteur. Les annonceurs de proximité, commerçants et artisans, pourront concevoir et insérer automatiquement des publicités ou des promotions personnalisées selon différents modèles proposés sur une plate-forme web, à un prix très accessible.
Des expériences similaires de presse imprimée à la demande ont déjà été tentées, notamment avec le lancement du journal allemand Niiu en 2009 (voir La rem, n°13, p.19) ou du magazine Otograff en septembre 2011 (voir La rem n°21, p.57).
Sources :
- « La première imprimerie au monde qui personnalise les journaux est lancée… dans le Nord », Presse et Tablette, presseettablette.com, 4 décembre 2015.
- « « A chaque lecteur son journal », telle est l’ambition de M. Jean-Pierre Vittu de Kerraoul, président de Sogemedia, en lançant une nouvelle imprimerie numérique Kodak à éditions variables, une première en Europe », La Correspondance de la Presse, 9 décembre 2015.
- « Comment Sogemedia prépare l’avènement d’un journal local personnalisé », Didier Falcand, Les Clés de la presse, n° 42, février 2016.
- « Vers une nouvelle presse locale », compte rendu de la conférence « Quand la presse locale innove », Les Assises du Journalisme 2016, lesassisesdujournalisme2016.wordpress.com, 9 mars 2016.
- « Innovation dans les médias : ce qu’il faut retenir des Assises du Journalisme », Ouest Médialab, ouestmedialab.fr, 23 mars 2016.