L’arrivée du belge Nethys au capital de La Provence et à Nice Matin, avec une possibilité de prise de contrôle de ce dernier, annonce une consolidation de la PQR en PACA après l’éclatement de l’ensemble à la suite du retrait du Groupe Hersant Médias. Un autre quotidien isolé, Paris Normandie, est à nouveau contraint au redressement judiciaire.
Seuls, sans bénéficier des économies d’échelle et des moyens d’un groupe de presse intégré, les titres de la PQR (presse quotidienne régionale) ont bien du mal à résister à l’érosion des ventes papier et des recettes publicitaires associées, tout en devant continuer à investir toujours davantage sur l’internet et, parfois aussi, dans des activités nouvelles de diversification.
A cet égard, les difficultés de Paris Normandie sont exemplaires. Avec un recul de 6,1 % de sa diffusion en 2015, pour 40 197 exemplaires par jour selon l’OJD (Office de justification de la diffusion), le titre, qui a dû se résoudre au redressement judiciaire en 2012 (voir La rem, n°22-23, p.26), s’est retrouvé dans la même situation à peine quatre ans plus tard. Le 23 mars 2016, Paris Normandie annonçait des difficultés de trésorerie, liées notamment aux échéances de remboursement de la nouvelle rotative, et le besoin de trouver rapidement entre un et trois millions d’euros pour financer un nouveau plan social concernant 30 à 40 des 250 salariés, après 85 suppressions de postes en 2012.
S’ajoute à ces contraintes structurelles l’obligation d’étendre sa zone de couverture à toute la région Normandie depuis l’élargissement de celle-ci. Afin d’éviter que ces difficultés ne menacent à nouveau le titre, la Société normande d’information et de communication (SNIC) a préféré demander son placement en redressement judiciaire, prononcé le 1er avril 2016, le temps de trouver de nouveaux investisseurs. Le belge Rossel, qui contrôle déjà la PQR dans le nord de la France via le Groupe Voix du Nord, pourrait envisager d’élargir son périmètre en France, mais un investisseur étranger à la PQR n’est pas exclu. Il pourrait s’agir de la Région Normandie, au moment même où le groupe Ouest-France cherche à développer son édition Normandie lancée fin 2015. Cette dernière, avec une diffusion limitée à 300 exemplaires, ne concurrence pas déjà frontalement les titres de la SNIC, Paris Normandie, Le Havre Libre, Le Havre Presse et Liberté dimanche.
Dans le Sud-Est, les mêmes contraintes produisent les mêmes effets, à savoir la nécessité d’accueillir des investisseurs pour financer des développements que des trésoreries trop fragiles rendent impossibles. Après avoir engagé une stratégie ambitieuse de diversification (voir La rem n°36, p.26), le Groupe La Provence (qui contrôle désormais Corse Matin en intégralité) a dû faire également appel à un nouvel investisseur afin de financer ses projets, après les investissements consentis par Bernard Tapie dont les déboires dans l’affaire Adidas limitent désormais la marge de manœuvre. Début novembre 2015, un courrier adressé aux salariés du groupe indiquait l’arrivée du belge Nethys au capital du Groupe La Provence, à hauteur de 11 %.
Le groupe Nethys est un conglomérat public belge, présent d’abord dans la région wallonne et disposant d’activités dans l’énergie, les télécommunications (réseaux câblés) et les médias. Le groupe a notamment racheté Canal+ Belgique, connu sous le nom de BeTV, et plusieurs titres de presse en Belgique, regroupés dans sa filiale Avenir Développement (Les Editions de l’Avenir avec 87 000 exemplaires par jour, ainsi que deux hebdomadaires, dont un hebdomadaire TV). En investissant dans La Provence par l’intermédiaire d’Avenir Développement, Nethys change donc de dimension, d’abord parce qu’il internationalise ses participations dans les médias, ensuite parce qu’il entre au capital d’un titre de la PQR important en France, ce qui le positionne d’emblée comme un acteur majeur du marché, face notamment au belge Rossel, seul groupe étranger fortement implanté dans la PQR française. En effet, l’entrée au capital de La Provence, même si Nethys est pour l’instant minoritaire, est accompagnée d’un pacte d’actionnaires qui autorise Nethys à monter au capital du groupe dès 2016, faisant du conglomérat belge un acteur potentiel de consolidation de la PQR dans le sud-est de la France.
Cette éventualité s’est précisée rapidement quand les salariés de Nice Matin, qui contrôlent le titre depuis 2014 via une société coopérative d’intérêt collectif (SCIC), n’ont pu que constater la fragilité des comptes de leur entreprise engagée dans le financement de son plan social et le développement de nouvelles activités numériques. La SCIC s’est ainsi mise en quête de nouveaux investisseurs, dès janvier 2016, afin de trouver 15 millions d’euros pour financer son développement numérique et sa diversification dans l’événementiel, à l’image de la stratégie retenue également par La Provence.
Très vite, les noms de groupes actifs dans le sud de l’Hexagone ont été évoqués, comme celui de Fiducial, propriétaire de Sud Radio et Lyon capitale, un groupe dont le propriétaire, Christian Latouche, est proche du FN ; et celui de Privinvest Médias d’Iskandar Safa, qui s’est emparé en 2015 de Valeurs actuelles. Finalement, quatre propositions auront été reçues et présentées aux salariés le 19 avril 2016, une première émanant de Christian Mars, petit-fils de Michel Bavastro qui a fondé Nice Matin ; une deuxième de la Financière immobilière bordelaise, intéressée par le patrimoine immobilier de Nice Matin ; une troisième de Georges Ghosn, ancien propriétaire de France Soir et de La Tribune ; enfin une quatrième du groupe Nethys qui, après La Provence, s’intéresse à Nice Matin.
La proposition de Nethys est portée par Avenir Développement et a été adoptée par 94,78 % des voix par les actionnaires de la SCIC réunis le 10 mai 2016. Avenir Développement va entrer au capital du Groupe Nice Matin à hauteur de 20 % en versant immédiatement 10 millions d’euros, puis 5 millions d’euros supplémentaires, dans les trente mois, assortis d’une montée au capital. L’accord prévoit que Nethys puisse monter à hauteur de 51 % du capital du groupe Nice Matin en 2018, lui donnant ainsi les moyens de reconstituer dans le Sud-Est un ensemble intégré de PQR, alliant les quotidiens niçois et marseillais, que les difficultés héritées de l’ère Hersant Médias avaient finalement séparés. L’arrivée de Nethys au capital du Groupe Nice Matin devrait se traduire par une nouvelle réduction de la masse salariale, une centaine de postes étant concernés.
Sources :
- « Nethys, le belge discret qui grimpe dans La Provence de Bernard Tapie », Marina Alcaraz, Les Echos, 8 décembre 2015.
- « Fiducial en (dés)ordre de bataille », Presse News, 16 mars 2016.
- « Paris Normandie va se déclarer en cessation de paiement », filfax.com, 25 mars 2016.
- « Paris Normandie, retour à la case départ », Presse News, 29 mars 2016.
- « Un héritier Bavastro candidat à Nice Matin », Presse News, 12 avril 2016.
- « Paris Normandie devant les juges fin mai », Presse News, 12 avril 2016.
- « Nethys en pole position à Nice Matin », Presse News, 3 mai 2016.
- « Ouest-France revoit déjà sa copie normande », Presse News, 3 mai 2016.
- « Nethys entre au capital de Nice Matin », nicematin.com, 10 mai 2016.
- « Le belge Nethys entre au capital de Nice Matin », Christiane Navas, Les Echos, 11 mai 2016.
- « La razzia de Nethys et de Rossel sur la PQR », Guillaume Fischer, Presse News, 17 mai 2016.