Verizon s’empare de Yahoo! pour devenir un géant américain de l’internet

En choisissant de dissocier les activités internet de Yahoo! de ses participations dans le chinois Alibaba, les actionnaires du groupe ont mis fin à l’aventure de l’un des pionniers du web. Racheté par Verizon, qui possède déjà AOL, Yahoo! va basculer enfin dans l’internet mobile.

Yahoo!, la gloire américaine des premières années de l’internet, fondée en 1995, a perdu son indépendance le 25 juillet 2016, jour de l’annonce de son rachat par Verizon. Il s’agit là de l’épilogue d’une histoire longue de vingt ans qui a conduit Yahoo! des premières places de l’internet au rang moins enviable d’éternel second, toujours en retard d’une innovation technologique. Après avoir popularisé la recherche en ligne avec son annuaire, après avoir accompagné l’essor des messageries avec Yahoo! Mail, après avoir cherché à s’emparer de Google en 2002, quand le rapport de force n’était pas encore inversé, après avoir pris une participation stratégique dans Alibaba, le géant chinois de l’e-commerce, Yahoo! a multiplié les erreurs stratégiques.

Focalisé sur son portail et ses multiples services, il n’a pas perfectionné suffisamment vite son annuaire de recherche, qui s’est fait supplanter par Google, Yahoo! ne résistant encore dans la recherche en ligne que sur le marché américain. Alors que Microsoft était prêt à payer près de 45 milliards de dollars pour cette activité stratégique de recherche, Yahoo! a manqué en 2008 l’occasion d’être cédé à bon prix tout en intégrant l’un des géants mondiaux du logiciel et de l’internet (voir La rem n°8, p.36). L’activité recherche aura finalement été partagée avec Microsoft dès 2009, dans des conditions bien moins avantageuses (voir La rem n°12, p.36). Au même moment, Yahoo! manque le virage vers la mobilité quand Google et Facebook réagissent immédiatement au succès planétaire de l’iPhone. Ce sont ces erreurs stratégiques qui entraîneront une grave crise de gouvernance au sein de Yahoo!, conduisant finalement le conseil d’administration du groupe à une dernière tentative de relance avec le recrutement de Marissa Mayer en juillet 2012 (voir La rem n°24, p.34).

Marissa Mayer a profondément transformé Yahoo! depuis 2012. Le groupe a immédiatement revu sa stratégie, déployée en direction des services et de l’internet mobile. Pour attirer de nouveaux talents, Marissa Mayer a multiplié les rachats de start-up, le plus emblématique des rachats restant celui de Tumblr pour 1,1 milliard de dollars en 2013 (voir La rem n°28, p.90), en même temps qu’elle a modernisé la régie publicitaire de Yahoo!. Les résultats toutefois n’ont pas été assez rapidement au rendez-vous. Au troisième trimestre 2015, les résultats du groupe ont représenté un point de bascule : le chiffre d’affaires trimestriel est passé sous la barre du milliard de dollars, le résultat net affichant par ailleurs une baisse de 99 %, à 76 millions de dollars.

Ces chiffres traduisent le décrochage de Yahoo! sur le marché de la publicité en ligne aux États-Unis : alors que le groupe était historiquement positionné sur le display avec son portail, il a manqué le passage vers le mobile et la vidéo au tournant des années 2010, sa part de marché publicitaire aux États-Unis passant de 15 % en 2009 à 7 % en 2015. Constatant l’échec relatif de Marissa Mayer, qui avait probablement besoin de plus de temps pour relancer Yahoo!, les fonds d’investissement au capital de Yahoo!, parmi lesquels notamment Starboard Value, ont évoqué dès décembre 2015 la cession des activités internet du groupe, mettant un terme aux espoirs placés en Marissa Mayer, pour ne conserver que les très rentables participations de Yahoo! dans Alibaba et Yahoo! Japan (contrôlé par Softbank).

À l’inverse, Marissa Mayer espérait céder la participation de Yahoo! dans Alibaba pour retrouver les marges financières nécessaires à la relance du groupe, cette participation étant valorisée quelque 31 milliards de dollars, soit l’équivalent de la valeur en Bourse de la totalité de Yahoo!. Le 9 décembre 2015, Yahoo! annonçait regrouper dans deux sociétés distinctes ses actifs internet d’une part, et sa participation dans Alibaba d’autre part, prélude à la cession des activités historiques.

La publication des résultats annuels du groupe, le 2 février 2016, a confirmé le choix des actionnaires, qui ont nettoyé les comptes de Yahoo! afin d’en préparer la cession. Yahoo! a ainsi annoncé une dépréciation de 4,4 milliards de dollars pour le dernier trimestre de l’exercice 2015, qui correspond à la dépréciation des activités en ligne rachetées au prix fort par Marissa Mayer afin de relancer l’innovation dans le groupe. Parallèlement, la suppression de 15 % des effectifs du groupe, soit 2 000 employés sur les 11 000 que compte Yahoo!, a été décidée afin d’économiser 400 millions de dollars par an. Fort d’équilibres financiers nouveaux, le groupe a pu se mettre en quête d’acquéreurs, les actionnaires espérant récupérer entre 8 et 10 milliards de dollars pour la cession des activités internet et de la participation dans Yahoo! Japan. Les candidats potentiels devaient se manifester dès le mois d’avril 2016.

D’emblée, le nom de Verizon est apparu, mais également celui de Microsoft qui cherchait à s’associer à d’éventuels acquéreurs pour préserver son partenariat avec Yahoo!, ou encore le groupe britannique DMGT qui, avec le succès de Mailonline aux États-Unis, lorgne désormais du côté des grands portails en ligne. Trois mois plus tard, Verizon annonçait s’être mis d’accord avec Yahoo! pour lui racheter ses activités internet pour 4,8 milliards de dollars, bien moins que ne l’espéraient les actionnaires.

Malgré ses 4 milliards de chiffre d’affaires en 2015, son milliard de bénéfices, ses 205 millions de visiteurs par mois aux États-Unis et son milliard de visiteurs dans le monde, Yahoo! ne vaut plus beaucoup, parce que ses perspectives sont relativement sombres. Le groupe, certes, dispose encore d’atouts. Sa messagerie fédère 275 millions d’utilisateurs, mais sa croissance est en berne car les messageries sont de plus en plus associées à des systèmes d’exploitation dont elles dépendent (Gmail pour Android, Outlook pour Windows). Son portail dispose d’une offre de contenus élargie, mais le modèle du portail s’essouffle au détriment des réseaux sociaux pour l’accès à l’information.

Le pari de Verizon, qui a déjà racheté AOL en mai 2015 pour 4,4 milliards de dollars (voir La rem n°34-35, p.47), est d’inverser cette tendance en faisant migrer les services de Yahoo! sur le mobile, où l’opérateur dispose de 112 millions d’abonnés aux États-Unis. En exploitant les forces d’AOL (maîtrise de la publicité vidéo, marques d’information très fortes comme le Huffington Post ou Techcrunch) et celles de Yahoo! (expertise dans la recherche en ligne, qui doit certes être renforcée, portail puissant et réseau social avec Tumblr), Verizon entend ainsi devenir le nouveau concurrent de Google ou de Facebook aux États-Unis, face auxquels il espère proposer une offre alternative à ses abonnés. En effet, l’enjeu pour les opérateurs de télécommunications est de prendre pied progressivement sur le marché des services en ligne, qu’ils soient financés par la publicité (c’est le choix de Verizon) ou par abonnement, afin de récupérer des recettes sur de nouveaux marchés alors que le prix des forfaits d’accès a atteint un palier élevé.

Ces services contribueront également, pour l’opérateur qui les contrôle, à fidéliser sa base d’abonnés. Ce retour de la convergence pourrait faire de Verizon l’un des principaux pourvoyeurs de vidéo sur l’internet mobile, quand les câblos et AT&T accueillent de plus en plus les flux de SVOD sur le fixe. Ainsi, en août 2016, Yahoo! a annoncé le lancement d’un service de vidéo baptisé Yahoo View qui reprendra une partie des contenus proposés gratuitement par Hulu aux États-Unis, lequel va se concentrer sur son offre payante.

Intégré dans les mobiles de Verizon, un tel service a de véritables perspectives de développement, Verizon ayant déjà lancé une offre du même genre, baptisée Go90, mais encore peu développée. Verizon devra toutefois faire avec la révélation, le 22 septembre 2016, d’un piratage massif des comptes de messagerie de Yahoo!, ce qui pourrait fragiliser encore plus le groupe internet et conduire Verizon à renégocier les termes du rachat.

Sources :

  • « Yahoo! menacé de démantèlement faute de stratégie », Lucie Robequain, Les Echos, 3 décembre 2015.
  • « Yahoo!, un ancien champion du Web écartelé par ses actionnaires », Lucie Ronfaut, Le Figaro, 4 décembre 2015.
  • « Yahoo! sépare ses activités et se prépare à un démantèlement », N. Ra, Les Echos, 10 décembre 2015.
  • « Fin de partie pour Yahoo! dans le Web », Pierre-Yves Dugua, Le Figaro, 10 décembre 2015.
  • « Yahoo! se met au régime sec en vue de son démantèlement », Elsa Conesa, Les Echos, 4 février 2016.
  • « Que reste-t-il de Yahoo! aujourd’hui ? », Benjamin Ferran, Lucie Ronfaut, Le Figaro, 4 février 2016.
  • « Le nom de Microsoft revient dans la revente de Yahoo! », Benoît Georges, Les Echos, 29 mars 2016.
  • « Le Daily Mail intéressé par un rachat de Yahoo! », Pierre-Yves Dugua, Le Figaro, 12 avril 2016.
  • « L’opérateur Verizon grand favori pour racheter Yahoo! », Pierre-Yves Dugua, Le Figaro, 19 avril 2016.
  • « Verizon en pole position pour racheter Yahoo! », Lucie Robequain, Les Echos, 19 avril 2016.
  • « Verizon entend devenir un géant de la publicité en avalant Yahoo! », Elsa Conesa, Les Echos, 26 juillet 2016.
  • « Yahoo! tente un come-back dans le streaming de télévision », Nicolas Madelaine, Les Echos, 10 août 2016.
  • « Yahoo! victime d’une fuite massive de données », Anaïs Moutot, Les Echos, 2 septembre 2016.

 

Professeur à Aix-Marseille Université, Institut méditerranéen des sciences de l’information et de la communication (IMSIC, Aix-Marseille Univ., Université de Toulon), École de journalisme et de communication d’Aix-Marseille (EJCAM)

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