Italie, Pays-Bas : les fusions dans les télécoms doivent préserver la concurrence

Avec l’interdiction du rachat d’O2 par Three au Royaume-Uni et l’ouverture d’une enquête approfondie sur le rapprochement entre Wind et 3 Italia en Italie (voir La rem n°38-39, p. 42), la Commission européenne a indiqué aux acteurs du marché que les fusions ne sont pas envisageables si elles conduisent à limiter à trois le nombre d’acteurs sur un marché, qu’il s’agisse du mobile ou du fixe. Reste alors aux opérateurs qui veulent grossir soit à rapprocher les activités fixes et mobiles sur chaque marché national quand ce n’est pas encore fait, soit à se développer à l’échelle internationale.

La première solution est celle retenue par Vodafone et Liberty Global qui avaient annoncé le rapprochement de leurs activités aux Pays-Bas, Vodafone étant positionné sur le mobile et Liberty Global sur le fixe avec le câblo-opérateur Zyggo (voir La rem n°38-39, p. 42).

Parce que cette fusion permet de faire émerger un acteur capable de proposer des offres multiple play, la Commission européenne a autorisé, le 3 août 2016, le rapprochement sous conditions, Vodafone devant céder les quelques activités de téléphonie fixe de détail qu’il détenait aux Pays-Bas.

En revanche, lorsque les fusions concernent le rapprochement des opérateurs sur un même marché, la Commission européenne se fait systématiquement plus menaçante, même si elle peut encore autoriser des rapprochements. La Commission européenne a ainsi donné son accord, le 1er septembre 2016, à la fusion entre Wind, l’opérateur mobile italien détenu par le russe VimpelCom, et 3 Italia, appartenant à la filiale H3G du groupe hongkongais Hutchison. Cette fusion devait faire passer le marché italien du mobile de quatre à trois acteurs de taille significative. En fait, il n’en sera rien car la fusion n’a été autorisée que dans la mesure où Wind et 3 Italia ont, en juillet 2016, proposé à la Commission une solution modifiant en profondeur le marché italien des télécoms.

En effet, le 5 juillet 2016, le français Free a annoncé s’être mis d’accord avec VimpelCom et H3G pour leur racheter un portefeuille conséquent de fréquences en 3G et en 4G ainsi qu’un réseau d’antennes dans les grandes villes, assorti d’un contrat d’itinérance pour le reste du territoire. Concrètement, la fusion a donc pu être autorisée parce que les deux groupes fusionnés acceptent de céder un quatrième réseau mobile à un nouvel entrant, Free, qui devra toutefois imposer sa marque sur le marché italien. La Commission européenne a apprécié l’opération, Free étant le groupe qui a animé la concurrence sur le marché français des télécoms, en même temps que son arrivée en Italie témoigne des possibilités d’internationalisation des activités des opérateurs quand leur marché national ne permet plus de grandes opérations.

Pour Free, c’est la première grande incursion à l’étranger, après l’échec du rachat de T-Mobile en 2014 et les tentatives avortées d’entrée sur le marché britannique, Free ayant été évoqué pour le rachat d’O2 après le refus européen de la fusion O2-Three. Le groupe français entre ainsi sur un nouveau marché des télécommunications, estimé au total à 30 milliards d’euros, le marché italien restant toutefois bien tenu par Telecom Italia qui dispose d’un monopole dans la fibre optique et de positions solides dans le mobile. En tout, Free devra dépenser 1,5 milliard d’euros pour racheter le réseau cédé par Wind et 3 Italia, selon les estimations des Echos, et investir entre 200 et 300 millions d’euros par an pour développer son réseau italien et constituer sa base d’abonnés. Reste que la stratégie française de Free ne pourra pas être exportée en Italie. Pour « casser » les prix sur le mobile lors de son arrivée sur le marché français en janvier 2012, Free avait pu s’appuyer sur sa très rentable base d’abonnés au fixe.

En Italie, il n’en sera rien, Free ne disposant pas de clients et encore moins de réseau fixe. Le groupe a indiqué qu’il visait une part du marché mobile de 10 % à terme, comptant sur la facilité qu’ont les Italiens à changer d’opérateur dans la mesure où le marché du mobile est structuré autour des cartes prépayées pour des raisons principalement fiscales. Free compte attirer de nouveaux clients dans un premier temps avec des offres enrichies en données, comme il l’a fait en France avec son forfait mobile 4G où le volume de données a été porté à 50 Go par mois en septembre 2015. Enfin, n’être positionné que sur le mobile n’est pas trop problématique en Italie où le marché des cartes prépayées a finalement retardé le déploiement des offres multiple play, qui commencent toutefois à se développer.

Si Free doit à son tour en proposer, il pourra toujours s’allier avec le concurrent émergent de Telecom Italia, le groupe Metroweb qui a été racheté par le géant de l’énergie Enel le 28 juillet 2016. Pour Telecom Italia, contrôlé par Vivendi, qui dispose désormais d’une participation de 24,9 %, juste sous le seuil de déclenchement d’une OPA à 25 %, l’arrivée de Free sur le marché du mobile en Italie, qui reste donc à quatre opérateurs, et l’émergence d’un concurrent dans la fibre optique avec Enel-Metroweb, sont autant de mauvaises nouvelles. L’opérateur historique comptait en effet sur une diminution de la concurrence pour restaurer ses marges et financer ses investissements.

La consolidation se poursuit par ailleurs en Europe quand elle ne concerne pas les groupes leaders sur leurs marchés. En Espagne, Masmovil, le quatrième opérateur mobile, a ainsi racheté Yoigo pour 612 millions d’euros le 21 juin 2016. Yoigo était détenu par le suédois Telia qui se retire du marché espagnol où il n’avait pas la taille critique pour espérer s’imposer. La même logique de taille critique a également conduit Altice à mettre en vente sa filiale belge SFR Belgium, distancée sur le marché depuis que Liberty Global a pu s’emparer de l’opérateur mobile Base en avril 2015 (voir La rem n°36, p.48).

Sources :

  • « Telecom Italia ne parvient pas à bloquer Enel dans la fibre », Olivier Tosseri, Les Echos, 30 mai 2016.
  • « Free prêt à bousculer le marché italien du mobile », Romain Gueugneau, Les Echos, 6 juillet 2016.
  • « Pourquoi Free jette son dévolu sur le marché italien des télécoms », Romain Gueugneau, Les Echos, 7 juillet 2016.
  • « Patrick Drahi met en vente son opérateur belge », Fabienne Schmitt, Les Echos, 8 juillet 2016.
  • « Concentrations : la Commission autorise, sous conditions, l’entreprise commune de télécommunications Vodafone/Liberty Global et rejette la demande de renvoi introduite par l’autorité néerlandaise de la concurrence », Communiqué de presse, Commission européenne, 3 août 2016.
  • « Free obtient le feu vert pour s’implanter en Italie », Romain Gueugneau, Derek Perotte, Les Echos, 2 septembre 2016.
  • « Free devient le quatrième opérateur mobile en Italie », Elsa Bembaron, Le Figaro, 2 septembre 2016.
Professeur à Aix-Marseille Université, Institut méditerranéen des sciences de l’information et de la communication (IMSIC, Aix-Marseille Univ., Université de Toulon), École de journalisme et de communication d’Aix-Marseille (EJCAM)

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