Joëlle Farchy, François Moreau, Conseil supérieur de la propriété littéraire et artistique, septembre 2016.
En avril 2015, face aux bouleversements du modèle économique des industries culturelles, Pierre-François Racine, président du Conseil supérieur de la propriété littéraire et artistique, a confié aux professeurs Joëlle Farchy et François Moreau une mission exploratoire dont les deux objectifs principaux étaient de « s’interroger […] sur les principales formes que prennent aujourd’hui les exploitations numériques des œuvres » et « d’examiner de quelle manière et dans quelles proportions les acteurs et les modèles économiques de la distribution numérique des œuvres financent la création ». Désormais les internautes se voient proposer en effet de multiples accès aux œuvres dématérialisées, que leur propose une « galaxie d’acteurs numériques », obligeant les industries de la culture à chercher des modèles d’affaires y correspondant.
Le numérique a bouleversé l’ensemble de la filière de la production : en amont, les activités d’édition/production ont vu apparaître de nouveaux modèles, comme l’autoproduction ou le financement participatif, même si, précise le rapport, « le recours à ces modes de production reste encore modeste au niveau macro-économique ». Les activités de fabrication sont passées « d’une logique de reproduction d’un bien matériel à une logique de reproduction d’un bien immatériel, […] dont le coût marginal de reproduction est désormais très faible, proche de zéro », alors que les coûts fixes de production sont toujours largement supportés par les éditeurs-producteurs.
En aval, du fait de la dématérialisation des œuvres, des contraintes de logistique et de gestion de stocks ont disparu ou diminué, bouleversant les pratiques de distribution. Enfin, les étapes de promotion et de commercialisation ont également été transformées sous l’influence du numérique, s’ouvrant sur de nouveaux canaux : réseaux sociaux, blogs, forums de discussion, plates-formes de vente en ligne, systèmes de recommandations personnalisées ou d’évaluation des œuvres. De cette « effervescence » née des technologies numériques ont émergé de nouveaux acteurs sur le marché de l’industrie culturelle, comme Deezer, Spotify, YouTube ou encore Amazon, Orange, Apple ou Google, « chacun brouillant les frontières entre les secteurs d’activité ».
La mission a étudié les flux financiers émanant des acteurs numériques de l’aval vers ceux de l’amont, distinguant ceux qui sont issus de « dispositifs contraints » de ceux de « nature contractuelle », les deux répondant à des logiques économiques très différentes. Les dispositifs légaux contraignent l’aval à participer au financement de la création à travers trois mécanismes : « la rémunération pour copie privée, pour l’ensemble des secteurs, les obligations de contribution à la production et le compte de soutien à l’industrie cinématographique et audiovisuelle qui ne s’appliquent qu’à ce dernier secteur ». Les flux financiers de nature contractuelle correspondent à la volonté d’un certain nombre d’opérateurs tels que les hébergeurs de contenus comme Dailymotion ou YouTube et les éditeurs de contenus comme Canalplay, Deezer ou iTunes, à contractualiser leurs relations avec les ayants droit en négociant les conditions de leur rémunération contre l’autorisation de diffusion des œuvres.
La mission révèle ainsi que les acteurs du numérique de l’aval ont, en 2014, financé 956 millions d’euros vers ceux de l’amont, dont 60 % via des financements contractuels et 40 % à travers des financements contraints. On estime à 528 millions d’euros la part revenant à l’amont au titre des contrats conclus avec les producteurs, et celle provenant des sociétés de perception et de répartition des droits (SPRD) dans les secteurs de la musique, de la vidéo et du livre.
Les financements contraints et les financements contractuels répondent à des logiques économiques distinctes. En ce qui concerne le financement contraint, « les matériels numériques (tablettes, smartphones, etc.) constituent d’ores et déjà la quasi-totalité des recettes de la rémunération pour copie privée ». Quant au financement contractuel, « même s’il reste insuffisant pour compenser la baisse des ventes physiques, l’essor des ventes dématérialisées apparaît comme un relais de croissance significatif, tout au moins dans la musique enregistrée et dans la vidéo ». Il est à noter que les contributions diffèrent nettement entre les plates-formes d’hébergement ou d’édition. Ainsi, « dans le secteur de la musique enregistrée, on peut estimer qu’entre 70 et 80 % du chiffre d’affaires des services de téléchargement ou de streaming comme Spotify ou Deezer est reversé à l’amont de la filière musicale, alors que pour un service d’hébergement comme YouTube, la part reversée aux ayants droit ne dépasse guère les 20 %, une bonne part des recettes publicitaires ne donnant lieu qu’à une très faible rémunération ».
Le numérique prend donc le relais du financement de la création, que ce soit dans la filière musicale ou dans l’industrie cinématographique et audiovisuelle, et cela, même si le cadre juridique varie en fonction du type d’opérateur économique. En l’occurrence, les rapporteurs notent que les opérateurs « de circulation » (moteur de recherche, réseaux sociaux, agrégateurs de contenus) ne contribuent à aucun financement, en raison de leur statut d’hébergeur. Ils soulignent aussi l’écart de contribution entre opérateurs, selon que leur siège social est établi en France ou à l’étranger.
En conclusion, Joëlle Farchy et François Moreau soulignent qu’en l’état actuel des marchés, les marges de manœuvre sont encore étroites et que « le jeu des facteurs régissant le partage, entre l’amont et les opérateurs de l’aval, de la valeur créée par le numérique est indissociable de l’essor préalable de la taille des marchés de contenus culturels en ligne ».
L’économie numérique de la distribution des œuvres et le financement de la création (PDF)