À propos des 70 ans du CNC, une longue marche vers le statut du cinéma

La malédiction foraine
D’une commission l’autre
Des rapports sans effet
Organisation et double jeu
La sanction de l’unanimité

La création en 1946 du Centre national de la cinématographie, en vertu de la loi votée le 5 octobre par l’Assemblée nationale constituante, promulguée le 25, n’a pas été seulement, pour le cinéma français, le début d’une nouvelle histoire qui se poursuit aujourd’hui. Elle fut d’abord un aboutissement : celui, longtemps différé, d’une revendication incessamment réitérée des professionnels du cinéma, désireux, dès les premiers temps, d’obtenir pour leur industrie et pour l’art original qui en est issu, une vraie reconnaissance de leur identité et de leur dignité. En clair, un statut juridique et administratif qui lui soit propre. En fait de statut, les gouvernements s’étaient souvent bornés jusqu’alors à des aménagements successifs de la censure, assortis parfois, mais pas toujours, des meilleures intentions. Ce sont bien du reste les abus de la censure, associés aux rudesses de la fiscalité, qui ont nourri, plusieurs décennies durant, cette revendication devenue lancinante.

La malédiction foraine

Dès les premiers temps du cinéma, les « fabricants de films », ainsi qu’on les désignait alors, auront eu à subir occasionnellement des mesures d’interdiction ; Georges Méliès lui-même en a fait les frais, en 1899, avec son Affaire Dreyfus. Pourtant tout commence vraiment, à cet égard, en 1909, soit un an après le lancement du premier journal d’actualités filmées dans les salles de cinéma, le Pathé Journal, d’abord mensuel, puis rapidement devenu hebdomadaire. Georges Clemenceau, alors président du Conseil et ministre de l’intérieur, enjoint par circulaire télégraphique aux préfets de s’opposer, par tous les moyens, à la projection des journaux d’actualités filmées sur la quadruple exécution capitale, le 10 janvier à Béthune (Pas-de-Calais), de membres d’une bande criminelle qui défrayait la chronique locale depuis plus d’un an. Cette affaire de Béthune est alors l’occasion, historiquement, du premier acte de censure cinématographique à l’échelle nationale, d’autant plus mal perçu qu’il ne s’appuie, comme tel, sur aucun texte législatif formel.

UNE REVENDICATION INCESSAMMENT RÉITÉRÉE DES PROFESSIONNELS
DU CINÉMA

Nouvelle alerte du même ordre, en 1912, où cette fois deux films de fiction dans la ligne des « actualités reconstituées » en vogue quelques années plus tôt, relevant de la série Les Bandits en automobile produite par la compagnie Éclair sous la direction de Victorin Jasset, relancent les débats sur la censure, et plus généralement sur ce qui peut être toléré ou non à l’écran. Inspirés par les exploits sanglants des anarchistes de la bande à Bonnot, encore d’actualité au moment de leur sortie, ces films touchent à des questions trop brûlantes et trop sensibles pour que les pouvoirs publics ne s’inquiètent pas des atteintes à l’ordre public qu’ils pourraient susciter. C’est pain bénit pour les milieux bien-pensants et la presse qu’ils inspirent, demeurés majoritairement hostiles au cinéma en dépit du fait que, depuis 1906, ce dernier s’éloigne de plus en plus de ses origines foraines, supposées malsaines, pour s’orienter vers l’installation de salles urbaines. Sous l’influence de ces milieux, bien représentés dans les conseils municipaux et les sphères qui en sont proches, de nombreuses municipalités, dans le souci ou sous le prétexte constant de l’ordre public, se mettent à interdire sur leur territoire la projection de films auxquels elles croient pouvoir reprocher des scènes susceptibles de heurter la sensibilité ou l’humeur de telle ou telle fraction de leurs administrés – voire à ordonner la fermeture des salles coupables de les avoir projetées.

AFFAIRE DE BÉTHUNE, PREMIER ACTE DE CENSURE CINÉMATOGRAPHIQUE

Face à cette mise en cause de leur industrie, les professionnels ont tardé à faire front commun. Les exploitants de salles, en particulier, groupés depuis 1911 au sein d’organisations syndicales structurées et agissantes, se sont d’abord divisés quant à l’appréciation à porter sur ces censures municipales entachées d’arbitraire. C’est pourtant l’une de ces organisations, le Syndicat des exploitants cinématographistes du Sud-Est, présidé à Marseille par Léon Richebé, qui va appeler l’attention sur cette question. En effet, son avocat, Me Maxime Miane, à la suite d’une série de conflits locaux où des exploitants ont eu maille à partir avec les autorités municipales, demandera haut et fort devant la justice, pour le cinéma, un traitement équivalant à celui qui est consenti au théâtre depuis 1906 – année où les parlementaires se sont refusés à reconduire le budget de la commission ad hoc, la censure théâtrale se trouvant ainsi supprimée par défaut. La plaidoirie du 12 décembre 1912, lors de laquelle Me Miane soutient la spécificité du cinéma parmi les autres spectacles et la nécessité d’un statut qui lui soit propre, fera date à cet égard. D’autant plus qu’à partir de là le syndicat Richebé, à qui les tribunaux avaient donné partiellement satisfaction, voudra pousser son avantage et fera porter le dossier devant le Conseil d’État.

LA PLAIDOIRIE DU 12 DÉCEMBRE 1912 FERA DATE

Contre toute attente, ce dernier, qui ne statuera qu’en avril 1914, rendra alors un arrêt qui va plonger l’industrie cinématographique et ceux qui la font vivre dans une malédiction dont il leur faudra trois décennies pour se relever. Aux yeux des hauts magistrats du Palais-Royal, les établissements cinématographiques ne sont nullement assimilables aux théâtres, ils appartiennent au contraire, assure le texte, à la catégorie des « spectacles de curiosités, de marionnettes, les cafés dits cafés chantants, les cafés-concerts, et autres établissements du même genre », régis par une législation qui leur est propre, et qu’à ce titre ils sont soumis à la tutelle des autorités municipales, lesquelles peuvent donc à bon droit interdire la projection de « toutes scènes qu’elles jugeraient susceptibles de provoquer des désordres ou dangereuses pour la moralité publique ». Chez les « cinématographistes », c’est la consternation devant cette légitimation du règne de l’arbitraire, qui revient à « soumettre le cinéma à la censure des trente-six mille maires de France », comme l’écrit alors le journaliste spécialisé Georges Dureau.

D’une commission l’autre

Les années de guerre n’arrangeront évidemment rien, compte tenu des précautions exigées pour la protection des opérations militaires et la sécurité des combattants. C’est toutefois une censure civile, siégeant au ministère de l’intérieur (dont le titulaire est alors le radical-socialiste Louis-Jean Malvy, reconduit sans discontinuer à ce poste depuis mars 1914) qui se met en place en juin 1916, sous la forme d’une Commission de contrôle des films, chargée en particulier de s’opposer au déferlement croissant de scènes à caractère délictueux ou criminel diffusées par les séries de films à épisodes qui se multiplient alors sur les écrans. Il s’agit en l’espèce du tout premier organisme doté de pouvoirs de censure sur le plan national ; c’est aussi la première fois qu’est institué, pour les films, un visa d’exploitation censé valoir sur l’ensemble du territoire. Comme tel, c’est pour certains un moindre mal. Mais cette commission, constituée exclusivement de fonctionnaires du ministère et de la préfecture de police sans aucun contrepoids professionnel, ne met pas fin à la possibilité de décisions abusives.

SOUMETTRE LE CINÉMA À LA CENSURE DES TRENTE-SIX MILLE MAIRES DE FRANCE
GEORGES DUREAU, JOURNALISTE

Conscient de cette difficulté, Malvy, qui passe pour être un amateur de cinéma, constitue en mai 1917 au sein de son ministère une nouvelle commission, qui a pour objectif « d’étudier les meilleures conditions de réglementation et de perfectionnement du cinématographe », dans le cadre d’un statut qu’elle a également pour tâche de définir. Cette Commission du statut, à laquelle participent cette fois des professionnels, aux côtés de parlementaires et de hauts fonctionnaires, est porteuse, comme jamais, des espoirs de toute une corporation. Ils seront déçus : la commission rendra au début de l’automne, par la voix du sénateur Étienne Flandin, un rapport en demi-teinte, préconisant le classement du cinéma « au rang des spectacles privilégiés », sans toutefois remettre en question les pouvoirs de police des préfets et des maires.

Le rapport Flandin formule cependant le vœu que le visa d’exploitation délivré à un film vaudra désormais sur tout le territoire national, de telle sorte qu’aucun élu local ne puisse se prévaloir de considérations personnelles pour l’interdire. Mais ces modestes avancées auront d’autant moins de chances de se concrétiser que Malvy, mis en cause par Clemenceau, dans le cadre d’affaires liées à la défense nationale, a été contraint fin août à la démission, celle-ci entraînant la chute du cabinet Ribot et ouvrant à court terme la route du pouvoir à Clemenceau. Le successeur de Malvy, Théodore Steeg, transmettra le projet au Conseil d’État, lequel, cohérent avec lui-même, ne jugera pas utile de revenir sur son arrêt de 1914.

Après la fin du conflit, la nouvelle législation qui se mettra en place au 1er janvier 1920 libérera certes le cinéma des mesures les plus contraignantes propres au temps de guerre, mais reconduira pour l’essentiel le régime né du décret de 1916, sans introduire dans la composition de la commission de contrôle la moindre équité. Les années vingt seront ainsi marquées par des faits de censure mémorables, caractérisés notamment par des pressions exercées sur la commission par tel ou tel ministère, pour les motifs les plus divers. Par la même occasion, c’est aussi, pour les professionnels, une décennie de combat, où les manifestations succèdent aux revendications, jusqu’à la menace – souvent exprimée mais rarement mise à exécution – de recourir à l’arme absolue de la fermeture des salles. Parfois apparaîtra une perspective positive, liée à la compréhension manifestée un temps par un ministre, ou à un soubresaut de la vie politique. Mais celle-ci est ainsi faite, sous la Troisième République, avec des ministères fragiles et un pouvoir fluctuant, que le monde du cinéma, toujours en manque de reconnaissance et en quête de statut, n’y trouvera encore qu’une suite d’illusions perdues.

Il faudra attendre les dernières années de la décennie, après le retour de Raymond Poincaré aux affaires en juillet 1926, pour qu’à la faveur de la stabilité politique retrouvée (ce cabinet restant en fonction durant trois ans), de la croissance économique restaurée, l’industrie cinématographique se voit prise sérieusement en considération. Ce sera l’une des tâches prioritaires d’Édouard Herriot, ministre de l’instruction publique et des beaux-arts, que de s’attaquer à l’organisation du cinéma français en même temps qu’à sa protection, devenue nécessaire et urgente face à une aggravation constante due à la concurrence américaine.

À cet effet, le ministre décide, le 17 février 1927, de mettre en place au sein de son ministère une nouvelle Commission du cinéma. Composée à parts égales de représentants de l’État et de professionnels, elle est chargée à la fois de définir un statut du cinéma et d’organiser un « contingentement » équitable des films importés sur le marché français. Ses travaux aboutiront au décret Herriot du 18 février 1928, lequel, sur le moment, passera en la matière pour une avancée décisive. Ce décret avait certes le mérite d’abroger, en matière de censure, la réglementation contestée de juillet 1919 et de libéraliser sensiblement les conditions d’exercice du métier d’exploitant de cinéma ; il étendait en outre explicitement au cinéma le régime administratif du théâtre. Il instituait par ailleurs une nouvelle commission de contrôle des films au sein de laquelle les professionnels étaient censés pouvoir faire valoir leurs points de vue (ils étaient en fait quatorze sur trente-deux membres), et instituait un système rigoureux autant que complexe de contingentement, qu’il revenait à la même commission de mettre en application.

En revanche, le nouveau texte, une fois encore, confirmait la validité des mesures de police locale qui pouvaient aller à l’encontre du visa national. Ainsi le nouveau texte entrait-il, d’emblée, dans la nomenclature déjà riche des fausses promesses et des rendez-vous manqués. Des faits significatifs ne tarderont pas à le confirmer, telle, avant la fin de la même année, l’interdiction du film de Jacques Feyder Les Nouveaux Messieurs, qui fustige par la fantaisie et l’ironie les mœurs parlementaires. En décembre 1930, le scandale de LÂge d’or, né des mesures prises par le préfet de police Jean Chiappe à l’encontre du film de Luis Buñuel, achèvera de faire la preuve que rien n’a fondamentalement changé.

Des rapports sans effet

Les années trente, quant à elles, vont être, pour le cinéma français, le théâtre d’une double révolution. Celle du parlant, avec les profondes mutations techniques, industrielles, économiques et artistiques qu’il génère. Celle aussi des structures professionnelles elles-mêmes : à la suite, d’abord, de la cession de la compagnie Pathé à Bernard Natan, et presque simultanément du retrait de Léon Gaumont après la cascade de fusions qui a donné naissance à la Gaumont-Franco-Film-Aubert (GFFA), puis, à terme, des faillites successives de ces deux grandes entreprises, l’une et l’autre associées aux origines mêmes de l’industrie cinématographique. Aussi considérables qu’ils aient été, ces bouleversements (dans un contexte de crise mondiale) n’ont pourtant pas modifié fondamentalement le regard porté sur le cinéma par les détenteurs du pouvoir.

L’ARME ABSOLUE DE LA FERMETURE DES SALLES

Et la décennie, à très peu près, s’écoulera avec la même succession d’occasions manquées, de promesses illusoires, d’intentions inabouties, qui a caractérisé les précédentes. Occasion manquée, à coup sûr, que la création en août 1931 par Maurice Petsche, sous-secrétaire d’État aux beaux-arts dans un cabinet Laval, d’un Conseil supérieur du cinématographe dont l’objet est de réorganiser cette industrie, rien de moins : d’une composition pléthorique (il compte quatre-vingt-sept membres, dont à peine plus d’un tiers de professionnels), rarement réuni, vite oublié ou dédaigné par les successeurs de Maurice Petsche à ce poste, il disparaîtra en novembre 1934 faute pour ses membres d’avoir été reconduits ou remplacés en temps utile. Cette même année verra naître, cette fois sous l’égide du ministre du commerce et de l’industrie dans le cabinet Doumergue issu du 6 février, une nouvelle Commission du statut, mais ce cabinet ne restera en place que neuf mois.

En juin 1935, Maurice Petsche, redevenu simple député, présentera au nom de la Commission des finances de la Chambre un rapport qui, partant du problème posé à l’État par le renflouement de la GFFA (dont il se trouve être créancier), sera reçu comme un cri d’alarme sur la situation, à ses yeux dramatique, de la cinématographie tout entière. Il inspirera quelques mois plus tard un projet de décrets-lois, portés cette fois par le ministre de l’éducation nationale du quatrième cabinet Laval, Mario Roustan, et annoncés comme d’une importance décisive. Ils ne seront toutefois jamais promulgués, l’approche des élections législatives de 1936 ayant convaincu les parlementaires et les cabinets ministériels qu’il serait, sur des questions aussi controversées, urgent d’attendre.

Au terme de cette attente, viendra l’heure de Jean Zay. Ministre de l’éducation nationale dans le premier gouvernement du Front populaire du 4 juin 1936, maintenu à ce poste dans quatre cabinets successifs (sa longévité ministérielle dépassant même celle du Front populaire en tant que tel), il sera porteur dès octobre 1937, en matière de cinéma, d’un projet de réorganisation tendant à la mise en place d’un statut. Longuement débattu avec les professionnels et les juristes qualifiés, déposé sur le bureau de la Chambre en mars 1939, ce projet de loi, le plus élaboré qui ait jamais été conçu sur le sujet, se heurtera à son tour à l’hostilité conjuguée du conservatisme corporatif et des circonstances, une nouvelle guerre survenant avant qu’il n’ait pu être réellement discuté au Parlement et soumis au vote.

Dans l’intervalle, cependant, le Conseil national économique s’était lui-même emparé du problème et avait suscité en juillet 1936 un autre rapport, dû cette fois à une personnalité étrangère au monde politique comme au milieu professionnel, l’inspecteur des finances Guy de Carmoy. Ce rapport, fondé sur une analyse rigoureuse et lucide des conditions d’existence et du fonctionnement du cinéma dans ses différents secteurs, sans en masquer les errements ni les abus, préconisait en particulier la constitution d’un Comité central du cinéma disposant de larges attributions. Il s’agissait d’assurer l’organisation générale de l’industrie, de la production des films et de leur financement (par la réforme du crédit) à leur programmation dans les salles et au contrôle des recettes, sans omettre la refonte de la fiscalité. Restait à définir ce que devrait être, dans ce contexte, le rôle des pouvoirs publics, au regard des menaces d’étatisation que la plupart des professionnels avaient redouté, lors de la crise née de la faillite de la GFFA, qu’elles ne deviennent une réalité.

Organisation et double jeu

Bien qu’il ait suscité aussitôt beaucoup d’intérêt, le rapport Carmoy n’aura pas de suite effective avant la fin de la Troisième République. D’une manière à première vue surprenante, mais dans la logique même du texte, il reviendra au gouvernement de Vichy de le mettre en pratique. Il sera ainsi à la base de la réorganisation définie par la loi du 26 octobre 1940 portant réglementation de l’industrie cinématographique, suivie le 2 novembre de la création, par décret, du Comité d’organisation de l’industrie cinématographique (COIC) lequel demeurera jusqu’à la Libération et même au-delà. Le premier directeur en sera le producteur Raoul Ploquin, connu jusqu’alors comme superviseur des versions françaises de films réalisés en coproduction à Berlin. Guy de Carmoy, qui avait contribué directement à la préparation de cette loi en qualité de chef du Service du cinéma rattaché à la vice-présidence du Conseil, est alors nommé commissaire du gouvernement auprès de la direction du COIC, qui est en outre assistée d’une commission consultative représentant tous les secteurs de l’industrie cinématographique.

LE RAPPORT CARMOY À LA BASE DE LA CRÉATION, PAR DÉCRET, DU COMITÉ D’ORGANISATION DE L’INDUSTRIE CINÉMATOGRAPHIQUE

Ainsi structuré, le COIC se voit confier une large mission qui, au cours de ses quatre années d’activité, l’amènera à intervenir dans les domaines les plus divers, à commencer par la relance, à partir de février 1941, de la production de films et la mise en place de nouvelles institutions politiques et administratives. À ce titre, il aura à faire preuve de beaucoup de mesure et d’habileté, entre les exigences des autorités d’occupation et les préoccupations et revendications légitimes des professionnels, en ayant au surplus l’obligation de mettre en application, quoi qu’en pensent ses responsables, les dispositions les plus insoutenables du nouveau régime (en ce qui concerne le statut des Juifs, en particulier). Une réorganisation interviendra par décret en mai 1942, après le départ de Raoul Poquin revenu à la production, et l’éviction, dès septembre 1941, de Guy de Carmoy. Le Service du cinéma sera alors remplacé par une Direction générale, confiée à l’architecte Louis-Émile Galey, le COIC étant de son côté doté d’une direction collégiale. Après la démission du comité directeur, en novembre 1943, un nouveau décret de mars 1944, peu suivi d’effet, réorganisera une fois de plus le COIC, pourvu cette fois d’un président, d’un conseil consultatif et de services, le fonctionnement de cet organisme restant toutefois quelque peu nébuleux.

À l’approche de la Libération, les instances gouvernementales provisoires, établies à Alger, prendront, au cours de l’été 44, des mesures concernant le cinéma qui auront essentiellement pour objet d’assurer sans heurt excessif la transition entre les institutions en place et celles qui seront appelées à les remplacer après le rétablissement de l’ordre républicain. Le COIC et la Direction générale du cinéma seront donc maintenus, sous la tutelle du commissariat à l’information du gouvernement provisoire, puis du ministère de l’information dont le premier titulaire est Pierre-Henri Teitgen. Fin août, après la Libération, la direction générale est confiée au cinéaste et scientifique Jean Painlevé, avec pour mission principale de relancer l’activité cinématographique. Deux mois plus tard, le COIC sera doté d’une direction provisoire avec comme administrateur Philippe Acoulon, chargé de faire évoluer cet organisme vers une structure rénovée et durable, en liaison avec le Comité de Libération du cinéma français (CLCF) qui, dans la clandestinité, avait toujours œuvré pour préparer sa renaissance.

LE 5 OCTOBRE, LE VOTE UNANIME, SANS DÉBAT, DE LA LOI PORTANT CRÉATION DU CENTRE NATIONAL DE LA CINÉMATOGRAPHIE

Cette organisation, en apparence harmonieuse, sera toutefois mise à mal, en mai 1945, par le remplacement brutal de Jean Painlevé par le haut fonctionnaire Michel Fourré-Cormeray à la Direction générale du cinéma. Dans les milieux professionnels et syndicaux, les protestations sont unanimes, mais ne peuvent rien contre le fait du prince – dû, apprendra-t-on un peu plus tard, au louable mais tardif souci de confier cette responsabilité à un véritable administrateur plutôt qu’à un technicien. Une nouvelle réforme, en août suivant, verra le changement de dénomination du COIC, qui deviendra alors l’Office professionnel du cinéma (OPC), avec le même administrateur, mais dont le comité consultatif sera désormais constitué de représentants des principaux syndicats professionnels.

La sanction de l’unanimité

Reste alors à mener à bien la refonte définitive des institutions héritées du régime de Vichy et la réorganisation, en profondeur, de l’industrie cinématographique. Ce sera précisément la tâche de Michel Fourré-Cormeray, sous l’autorité de ministres successifs qui, à l’instar de leurs prédécesseurs d’avant-guerre, ne resteront guère à leur poste. Après Pierre-Henri Teitgen, André Malraux et Gaston Defferre, qui, à des degrés divers, se sont préoccupés de la question, il reviendra en définitive à Robert Bichet, sous-secrétaire d’État dans le cabinet de Georges Bidault où le MRP, la SFIO et le PCF se partagent encore les portefeuilles, de conduire jusqu’à son terme le projet. Élaboré en plusieurs étapes, avec des variantes où chaque autorité de tutelle, l’une après l’autre, a apposé sa marque, il débouchera, le 5 octobre (à quelques jours du référendum du 13 octobre approuvant la Constitution de la IVe République), sur le vote unanime, sans débat – procédure exceptionnelle imposée par l’urgence constitutionnelle – de la loi portant création du Centre national de la cinématographie (CNC).

Le Parti communiste avait pour sa part déposé en septembre sur le bureau de l’Assemblée nationale constituante sa propre proposition de loi, prévoyant la création d’un Commissariat du cinéma qui aurait regroupé la Direction générale et l’OPC ; il se ralliera en fin de compte au texte gouvernemental. Promulguée le 25 octobre, la loi entrera en vigueur le 1er janvier 1947, après la publication, la veille, du décret du 28 décembre qui en définit les modalités d’application. Il précède de trois jours un autre décret, nommant à la direction générale du CNC Michel Fourré-Cormeray qui, quoique dans une fonction nouvellement créée, se succède ainsi à lui-même. Cette loi, dont le premier effet est de dissoudre simultanément la Direction générale du cinéma et l’OPC en leur substituant un nouvel organisme (doté, aux côtés du directeur général, d’un conseil professionnel paritaire), lui donne notamment pour mission, suivant son article 2, « d’étudier les projets de loi, décrets, arrêtés relatifs à l’industrie cinématographique et particulièrement ceux destinés à doter cette industrie d’un statut juridique adapté à ses besoins ». Une longue route s’achevait là.

Il ne nous appartient pas d’évoquer ici les soixante-dix années qui ont suivi. À coup sûr, elles n’ont pas baigné, pour le CNC (placé en 1959 sous la tutelle du ministère de la culture et qui en 2009 est devenu Centre national du cinéma et de l’image animée) dans une constante harmonie, en dépit de l’étroite association des organisations professionnelles à son administration. On peut assurer en tout cas qu’à partir de la création du CNC, les rapports entre les professionnels du cinéma et l’État ont cessé de se situer exclusivement dans un registre protestataire et revendicatif pour les uns, autoritaire et répressif, voire méprisant, pour l’autre, afin de prendre la forme d’une relation de partenaires, œuvrant de concert à la gestion et à la modernisation d’une industrie culturelle dont la complexité même, et l’histoire, exigent et méritent toutes les attentions. On peut en définitive relever dans l’évolution du cinéma français un temps d’avant le CNC et celui qui se poursuit désormais avec lui.

Source :

  • Histoire de la politique du cinéma français, Paul Léglise : I. Le Cinéma et la Troisième République. Paris, 1969, Librairie générale de droit et de jurisprudence (Filméditions depuis 1977) et II. Le Cinéma entre deux républiques. 1940-1946. Paris, Filméditions, 1977.
Auteur, éditeur : créateur notamment de la collection « Cinéma d’aujourd’hui » aux éditions Seghers et auteur des Annales du cinéma français. Les voies du silence 1895-1929, Nouveau Monde éditions, 2012.

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