Arbitrageur

Dans le secteur de la publicité en ligne, un arbitrageur est une entreprise spécialisée dans la maximisation des gains par l’achat et la revente d’espace ou d’attention publicitaire (arbitrage publicitaire). Son activité réside dans l’achat d’emplacements publicitaires payés au coût par clic (CPC) dans lesquels il place des liens vers des sites lui appartenant, aux contenus rédactionnels « pièges à clics »(clickbait), ayant pour seule finalité d’offrir une visibilité aux nombreuses publicités qui y sont placées, et de générer ainsi un effet multiplicateur. Sur les sites des médias d’information, ces liens vers ces succédanés d’articles prennent la forme de vignettes composées d’un titre et d’une image à cliquer. Placée le plus souvent en bas d’une page web, à la suite d’un article de presse, une mosaïque de vignettes est repérable grâce à son intitulé « Ailleurs sur le web », « À découvrir sur le web », « À voir aussi », « Vous aimerez aussi », ou encore « Recommandés pour vous ». La gestion de ces emplacements publicitaires est confiée par les éditeurs à d’autres intermédiaires, que sont les plates-formes spécialisées dans la recommandation de contenus (content discovery), Ligatus, Taboola et Outbrain se partageant le marché français.

Présent dans neuf pays européens (Allemagne, Autriche, Suisse, France, Belgique, Pays-Bas, Espagne, Italie et Turquie), le réseau Ligatus est une filiale de Gruner+ Jahr, groupe de presse appartenant au géant allemand Bertelsmann. Ligatus annonce représenter plus de 1 200 sites premium et générer chaque mois plus de 31 milliards d’impressions publicitaires (affichage d’un élément publicitaire). En France, elle travaille pour RTL, Les Echos et Libération. Les plates-formes Taboola et Outbrain sont, quant à elles, d’origine israélienne. Comptant parmi ses clients de grands médias américains comme NBC, The Weather Channel, Fox Sports, Tribune Publishing ou encore USA Today, Taboola revendique à son actif 360 milliards de recommandations de contenus pour un milliard de visiteurs uniques chaque mois. En France, BFM TV, L’Express et Eurosport font appel à ses services. Plate-forme la plus active sur le marché français, Outbrain est présente, selon Comscore, sur plus de 400 sites et enregistre 28 millions de visiteurs uniques. Elle compte la plupart des grands médias d’information parmi ses clients, notamment TF1, Radio France, Le MondeLe FigaroL’EquipeLe ParisienLibération (en contrat également avec Ligatus), 20 Minutes, Lagardère mais également la rubrique Actualités du portail d’Orange ou Webedia (sites 750g, Purepeople, Puremédias, Terrafemina…). À l’échelle mondiale, Outbrain déclare toucher 557 millions de visiteurs uniques et proposer aux internautes plus de 200 milliards de recommandations chaque mois.

Dans les blocs de recommandation de contenus que signent Ligatus, Taboola et Outbrain, avec les formules « sponsorisé par » ou « recommandé par », sont rassemblés à la fois des liens vers des articles de presse édités par le média client lui-même ou en provenance du groupe auquel il appartient (lien vers des articles de L’Obs ou de Télérama sur le site du Monde par exemple), des contenus de marque (en provenance d’annonceurs) et des contenus proposés par les arbitrageurs. « 30 astuces pour vous simplifier la vie » « Perdre du poids »« Retomber amoureux après 40 ans » : les sujets des rédactionnels proposés par ces derniers sont des incitations à cliquer sur le lien. En parfait décalage, parfois même choquant, avec les articles de presse avec lesquels ils cohabitent sur la page web, ils trahissent bien souvent l’identité du site des médias premium qui les héberge. Image et titre racoleurs servent uniquement à rediriger les internautes vers des pages aux contenus éditoriaux pauvres (people, sexe, cuisine, bien-être, sport…) truffées d’annonces publicitaires en tout genre. Dotée d’une équipe constituée de rédacteurs et de trafic managers, la société britannique Traffic Addicts, bien nommée, alimente en contenus et gère les revenus publicitaires de ses sites Pause Fun, Pause People, Pause Sport, Foot Espagnol, Food Powa. Leur nom s’affiche discrètement en bas de chacune des vignettes composant l’espace réservé aux contenus recommandés sur les sites d’information.

L’argument commercial des plates-formes de recommandation de contenus est d’offrir aux annonceurs et aux sites web dont elles sont les prestataires une meilleure efficacité en termes d’audience et d’attention des consommateurs – qui se plaignent d’être trop sollicités par la publicité – face à la popularité des bloqueurs de publicité (voir La rem n°40, p.86) et à la contre-performance de l’affichage traditionnel sous forme de bannières. Les solutions proposées, selon Ligatus, « sont intégrées de manière harmonieuse aux flux éditoriaux de nos sites partenaires. Elles attirent ainsi l’attention des utilisateurs sans interrompre leur navigation. Moins d’intrusion, plus d’efficacité ». Si les espaces réservés aux contenus recommandés sont bien délimités, la place qui leur est accordée dans le déroulé des pages entraîne néanmoins une certaine confusion. Sans aucun rapport avec l’article de presse affiché sur la même page, ils précèdent néanmoins la liste des articles de la rédaction proposés « sur le même sujet ». « En mettant en avant des contenus parfois médiocres, ce système défigure complètement les sites et abîme les marques médias » regrette Fréderic Filloux, éditeur de Monday Note, qui ajoute : « Le recours à ces sociétés illustre surtout le fait que les éditeurs ont échoué à créer leur propre moteur de recommandation. »

L’intérêt pour les éditeurs de presse d’accueillir en bonne place sur leurs pages web des contenus rédactionnels issus d’entreprises tierces réside uniquement dans les revenus, sous la forme de minima garantis, que leur assurent les plates-formes Ligatus, Taboola et Outbrain, lesquelles par ailleurs sont censées assurer un travail de modération. Ces plates-formes qui vivent de la recommandation de contenus ne sauraient elles-mêmes être trop exigeantes quant à la qualité des contenus fournis par les arbitrageurs au regard des sommes importantes que ces derniers leur versent. « Certains acteurs peuvent vous proposer d’investir jusqu’à un million d’euros par mois, soit deux fois plus que ce que vous proposent vos annonceurs premiums », explique au Journal du Net (JDN) Victor Charpin, directeur général adjoint de Ligatus Europe du Sud, qui doit parfois refuser des offres très lucratives mais de médiocre qualité. Ainsi se pose à lui un dilemme identique à celui que les moteurs de recherche ont dû résoudre face aux fermes de contenus nées en 2005 (voir La rem n°17, p.60) : ils avaient fini par déclasser ces contenus de leurs résultats pour gagner en crédibilité (voir La rem n°18-19, p.45).

C’est le système de la course à l’audience qui est pernicieux, comme le décrit Claire Richard dans son enquête sur ce sujet pour le site Rue89/L’Obs : « Des sites médias aux abois pour qui les revenus d’Outbrain sont une manne indispensable. Un service de recommandation de contenus, lui aussi tenu aux chiffres. Des arbitrageurs qui produisent des contenus sur la base de leur viralité, c’est-à-dire leur capacité à choquer, surprendre ou titiller, et qui tentent de se démarquer de plus en plus. Et nous, qui cliquons. »

Si Ligatus, Taboola et Outbrain n’adoptent pas une politique de sélection de contenus rédactionnels plus exigeante, les éditeurs pourraient bien se passer de leurs services. « Peut-être se décideront-ils à le faire lorsque Taboola et Outbrain ne pourront plus leur verser ces fameux montants garantis, ce qu’ils ont de plus en plus de mal à faire, selon nos informations », écrit Nicolas Jaimes dans le JDN. Déjà, sur leur principal marché, leur position vacille. À la suite de graves dérapages, comme ce contenu recommandé par Taboola intitulé « Faites la connaissance de la femme qui fait des blagues plutôt drôles sur le viol » jouxtant un article sur un viol, des médias américains, notamment le New Yorker et Slate, ont choisi de rompre leur contrat avec les plates-formes de recommandation. Elles généreraient pourtant plus de 30 % des revenus publicitaires pour certains. Plus d’un quart des contenus recommandés renvoie vers des sites d’arbitrageurs, selon l’organisation Change Advertising.

Sources :

  • « Renvoyer les internautes vers un site concurrent, ça peut rapporter gros », Jamal Henni, BFM TV, bfmtv.com, 23 janvier 2016.
  • « Les arbitrageurs, ces parasites qui racolent sur les sites des médias », Nicolas Jaimes, JDN, journaldunet.com, 6 avril 2016.
  • « Pourquoi y a-t-il autant de contenus sexistes sous les articles ? », Claire Richard, Rue89/L’Obs, tempsreel.nouvelobs.com, 7 août 2016.
  • « La cash machine des contenus sponsorisés », Delphine Soulas-Gesson, Stratégies, strategies.fr, 12 septembre 2016.
  • « Les « contenus recommandés » boudés par certains médias », Nicolas Rauline, Les Echos, 2 novembre 2016.
Ingénieur d’études à l’Université Paris 2 - IREC (Institut de recherche et d’études sur la communication)

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