Taxe YouTube : la France fidèle à ses principes

En votant la taxe YouTube, les députés ont étendu aux plates-formes d’hébergement de vidéos les obligations de contribution au financement de la production audiovisuelle et cinématographique, sanctuarisant ainsi le principe d’une mise à contribution systématique des distributeurs.

Dans la nuit du 6 au 7 décembre 2016, les députés ont voté un amendement dans le collectif budgétaire qui instaure une taxe YouTube. L’amendement prévoit une taxe de 2 % sur les revenus publicitaires des hébergeurs de vidéos en ligne, et de 10 % s’il s’agit de vidéos à caractère pornographique ou violent. Cette taxe a fait l’objet de vifs débats, avec des points de vue opposés au sein du gouvernement. Défendue par les producteurs et le CNC, elle a été critiquée par l’Association des services communautaires (Asic), qui fédère notamment Dailymotion ou YouTube, ces derniers reprochant à cette taxe d’entraver le développement des services communautaires en ligne. Finalement votée, elle a été promulguée dans le projet de loi de finances rectificative pour 2016, publié au Journal officiel du 30 décembre 2016.

En réalité, il ne s’agit pas d’une nouvelle taxe, mais de l’extension aux hébergeurs de vidéos en ligne, financés par la publicité ou par abonnement, de la contribution créée en 1993 sur la vente de cassettes et de DVD, laquelle avait déjà été étendue à la VOD. Pour ses promoteurs, cette extension s’impose au nom de la neutralité fiscale. À l’inverse, ses détracteurs invoquent les difficultés pour recouvrer la taxe, parce que ces plates-formes d’hébergement peuvent opérer depuis l’étranger ou parce qu’elles fédèrent des contenus professionnels et amateurs.

Cette spécificité est d’ailleurs prise en compte dans l’amendement qui inclut deux abattements possibles sur le chiffre d’affaires sujet à taxation, un premier de 4 % appliqué à toutes les plates-formes, un second de 66 % pour la mise à disposition des créations d’amateurs. Les revenus issus des vidéos amateurs entrent donc désormais dans le champ du financement de la production audiovisuelle et cinématographique. Enfin, les plates-formes réalisant moins de 100 000 euros de chiffre d’affaires sont exonérées, ainsi que celles dont les contenus audiovisuels sont marginaux, ce qui exclut les vidéos sur les sites de la presse en ligne, mais qui pose toutefois la question de la taxation des sites des chaînes d’information en continu proposant majoritairement du contenu vidéo.

Si cette taxe ne fait pas l’unanimité, parce que l’internet a souvent bénéficié d’un statut d’exception, elle s’inscrit néanmoins dans la tradition française de financement des œuvres cinématographiques et audiovisuelles. Imaginé en 1948 avec la TSA (taxe sur les entrées en salle de spectacles cinématographiques), le dispositif français taxait à l’origine la distribution en salle des films de cinéma pour financer en aval la production cinématographique. Il a été ensuite étendu à la production audiovisuelle avec le développement des chaînes privées (taxe sur les services de télévision ou TST), puis à tous les nouveaux distributeurs d’œuvres cinématographiques et audiovisuelles : les loueurs et les vendeurs de VHS puis de DVD, les opérateurs télécoms avec le développement des offres triple play (TSTD), enfin les services de VOD et de SVOD. De ce point de vue, chaque nouvelle technique de distribution des œuvres a fini par être intégrée dans le dispositif français de contribution au financement de la production audiovisuelle et cinématographique, comme c’est désormais le cas pour les plates-formes d’hébergement de vidéos.

Et, pour chaque nouvelle taxe, les rendements sont allés croissants. Alors que la taxe YouTube ne devrait rapporter qu’entre 1 et 2 millions d’euros par an au début, rien n’interdit de penser que la croissance de ces services ne finira pas par en faire un vecteur important de financement de la création. Ce fut le cas avec la TSTD créée en 2007 : les opérateurs télécoms ont reversé au titre de cette taxe 94 millions d’euros en 2008, mais 217 millions d’euros en 2015. Comme pour les autres taxes, la taxe YouTube sera recouverte par le CNC.

Sources :

  • « Budget : des députés veulent instaurer une taxe YouTube », Ingrid Freuerstein, Les Echos, 12 octobre 2016.
  • « La taxe YouTube passe le cap de l’Assemblée », Ingrid Freuerstein, Les Echos, 8 décembre 2016.
  • « La taxe YouTube conforte l’exception culturelle », Enguérand Renault, Le Figaro, 12 décembre 2016.
  • « Il n’y aura pas de problème pour recouvrer la taxe YouTube auprès des Gafa », interview de Frédérique Bredin, président du CNC, par Enguérand Renault, Le Figaro, 19 décembre 2016.
  • « Au Journal officiel, « Taxe YouTube » et déclaration automatisée des revenus issus des plateformes », Xavier Berne, nextimpact.com, 30 décembre 2016.

 

Professeur à Aix-Marseille Université, Institut méditerranéen des sciences de l’information et de la communication (IMSIC, Aix-Marseille Univ., Université de Toulon), École de journalisme et de communication d’Aix-Marseille (EJCAM)

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