Le Brexit concerne aussi les médias. Plusieurs annonces majeures au Royaume-Uni tiennent compte en effet de ses éventuelles conséquences défavorables ou favorables : ITV se sépare d’une partie de ses effectifs quand 21st pense pouvoir prendre enfin le contrôle total de Sky.
L’annonce, en octobre 2016, de la suppression de 120 postes par ITV a été justifiée par « l’incertitude économique et politique » au Royaume-Uni, à la suite du référendum en faveur du Brexit et de la difficile appréhension des conditions dans lesquelles le Royaume-Uni espère sortir de l’Europe. Cette décision d’ITV, qui bénéficie pourtant depuis cinq ans du dynamisme incomparable du marché publicitaire à la télévision, renvoie à une analyse macroéconomique de celui-ci. Les dépenses des annonceurs sont en effet corrélées aux évolutions du PIB sur les marchés publicitaires des pays développés, avec une tendance à croître plus vite que l’augmentation du PIB, ou à chuter plus sévèrement en cas de récession.
Ainsi, la baisse de 6 % du PIB britannique en 2008-2009 s’est traduite par un repli de 20 % des investissements publicitaires sur le seul marché domestique. À l’inverse, la bonne santé économique du Royaume-Uni depuis 2010 a soutenu le développement des recettes publicitaires de la télévision, les investissements des annonceurs étant passés de 2,9 à 4,4 milliards de livres entre 2010 et 2015. Cette hausse s’explique par un effet de rattrapage après les mauvaises années 2008 et 2009, mais aussi par un transfert des investissements de la presse vers des supports plus attrayants, la télévision et surtout l’internet. Avec le Brexit, la chute du cours de la livre doit engendrer de l’inflation, donc limiter la consommation, et mécaniquement conduire à une baisse des investissements publicitaires à la télévision. Cette situation tendue annonce également un repositionnement des annonceurs qui risquent de favoriser les campagnes de publicité à la performance pour soutenir les ventes, ce qui favorise les supports internet (le search notamment). Pour l’heure, la crainte d’une baisse du marché publicitaire britannique est à relativiser, puisque les dépenses des annonceurs augmentaient encore de 4,2 % dans les trois mois suivant le Brexit.
Pour d’autres acteurs, le Brexit ouvre à l’inverse des perspectives nouvelles. Avec une participation de 39 % dans Sky, le groupe américain 21st contrôlé par Rupert Murdoch peut désormais envisager sereinement la prise de contrôle de Sky, un projet qu’il avait dû abandonner en 2011 après le scandale des écoutes (voir La rem n°20, p.30). Pour 21st, la prise de contrôle de Sky lui permettra d’intégrer dans ses comptes les résultats du premier groupe de télévision payante en Europe, Sky étant présent au Royaume-Uni, en Irlande, en Allemagne, en Autriche et en Italie pour un total de 22 millions d’abonnés qui ont produit sur l’exercice 2015 un chiffre d’affaires de 12 milliards de livres (14 milliards d’euros, en hausse de 7 % sur un an) et un profit de 1,6 milliard de livres (1,8 milliard d’euros).
Le 9 décembre 2016, 21st a ainsi annoncé qu’il comptait lancer une offre publique d’achat sur 61 % de capital de Sky qu’il ne détient pas encore, pour 11,2 milliards de livres, soit une prime de 36 % par rapport au cours de l’action à la Bourse de Londres avant cette annonce. Pour cette opération, 21st a le soutien des administrateurs indépendants de Sky. James Murdoch, ayant aussi des intérêts au sein de 21st, et revenu à la tête de Sky en 2016, ne participera pas au vote afin d’éviter tout conflit d’intérêt. L’opération est facilitée par le Brexit, le coût de la livre ayant chuté de 15 % par rapport au dollar depuis le référendum du 23 juin 2016. Enfin, les autorités britanniques pourraient être plus favorables qu’hier à l’arrivée d’investisseurs étrangers, afin de contrebalancer l’image négative que le Brexit a pu leur renvoyer.
Si la prise de contrôle devait aboutir, Sky bénéficierait d’un accès privilégié aux contenus de 21st, qui détient notamment le studio 21st Century Fox, permettant ainsi à Sky de mieux résister à la concurrence des pure players comme Netflix qui popularisent la SVOD sur les marchés européens où le groupe est implanté. Mais cet avantage a aussi ses inconvénients, notamment sur le marché britannique, Sky détenant la chaîne d’information en continu Sky News, réputée pour son indépendance, quand 21st édite aux États-Unis la très engagée Fox News. Enfin, par l’intermédiaire de News Corp., recentré en 2013 sur les seules activités de presse et séparé de 21st après le scandale des écoutes (voir La rem n°28, p.46), la famille Murdoch contrôle également des titres de presse stratégiques au Royaume-Uni, comme le Sun ou le Times, ce qui ne manquera pas de susciter de nouvelles interrogations sur l’indépendance de l’information au Royaume-Uni, Rupert Murdoch étant connu pour ses liens avec le monde politique.
Avec ou sans l’aide de 21st et de ses contenus à forte valeur ajoutée, Sky devra de toute façon relever des défis sur le marché britannique et européen de la télévision payante. Si le groupe a su étendre son parc d’abonnés au Royaume-Uni, avec 12 millions de foyers souscrivant aux offres de BSkyB, il est en effet fortement concurrencé par les acteurs de la SVOD comme Netflix ou Amazon, et par les opérateurs de télécommunications qui jouent la carte de la convergence, comme BT (British Telecom) qui a lancé ses chaînes sport en 2013, après avoir pris le contrôle d’une partie des droits de la Premier League en 2012 (voir La rem n°24, p.28). Ces concurrences nouvelles se traduisent par une inflation du coût des droits, qu’il s’agisse de sport, de films ou de séries, qui fragilise la chaîne payante. Ainsi, au second semestre 2016, le bénéfice de Sky s’est affiché en recul de 9 %, à 679 millions de livres, principalement à cause de l’augmentation des droits de la Premier League (voir La rem n°34-35, p.29). Le groupe aura donc intérêt à s’appuyer sur 21st pour sécuriser son accès à des contenus exclusifs, de même qu’il doit proposer une politique commerciale capable de fidéliser ses abonnés dans la durée.
À vrai dire, Sky y est pour l’instant parvenu et le groupe a augmenté le nombre de ses abonnés, notamment au Royaume-Uni, grâce à une politique commerciale consistant à proposer toute une gamme de forfaits, allant de 20 livres à 80 livres par mois, avec des déclinaisons thématiques dans le sport, le cinéma, les séries, l’animation, etc. Cette politique commerciale est celle dont s’inspire aujourd’hui Canal+. Mais Sky va plus loin en jouant la carte de la convergence. Le groupe s’est lancé au Royaume-Uni dans l’internet à très haut débit, où il occupe la deuxième place du marché après BT. Sky a aussi lancé son offre Sky Mobile en janvier 2017 et loue à O2 son réseau en se positionnant comme opérateur mobile virtuel. Le groupe vise d’abord les foyers abonnés à ses offres de télévision, ce qui représente 23 millions de personnes, pour lesquelles une réduction du coût de l’abonnement à Sky Mobile sera proposée. Ces nouveaux abonnements viennent prendre le relais des abonnements à la télévision payante, où les perspectives de croissance sont désormais limitées en raison de la très grande pénétration de la télévision payante au Royaume-Uni et du succès de la SVOD.
Sources :
- « Sky, la machine à cash du groupe Murdoch », Florentin Collomp, Le Figaro, 20 septembre 2016.
- « Le Brexit stoppe l’insolente santé de la pub télé anglaise », Nicolas Madelaine, Les Echos, 26 octobre 2016.
- « Sky se lance dans la téléphonie mobile au Royaume-Uni », Vincent Collen, Les Echos, 1er décembre 2016.
- « Murdoch veut profiter du Brexit pour renforcer son emprise en Europe », Vincent Collen, Les Echos, 12 décembre 2016.
- « Royaume-Uni : le Brexit n’a pas freiné la croissance publicitaire », Alexandre Debouté, Le Figaro, 1er février 2017.