Vidéo over the top et sur mobile : nouveaux acteurs, nouveaux publics ?

Le succès de Netflix a favorisé une multiplication des services over the top proposés par les pure players et de plus en plus souvent par les chaînes. La génération des millenials est visée, surtout pour la consommation de vidéos sur mobile.

En annonçant avoir conquis 7 millions de nouveaux abonnés au cours du dernier trimestre 2016, Netflix a dépassé les attentes, le groupe ayant initialement tablé sur une hausse de 5,2 millions d’abonnés. Les offres de Netflix à l’échelle internationale contribuent à elles seules au recrutement de 5,1 millions de nouveaux abonnés, quand le marché américain continue de progresser avec presque 2 millions de nouveaux abonnés. Désormais acteur central sur son marché domestique, avec 44,4 millions d’abonnés fin 2016, Netflix impose également son modèle à l’international, avec en tout 49,4 millions d’abonnés pour ses offres disponibles dans 190 pays. Le cumul de ses abonnés, évolué à 93,8 millions dans le monde, permet d’ailleurs au groupe d’envisager le franchissement de la barre symbolique des 100 millions d’abonnés dès le début 2017.

À l’évidence, la rapidité avec laquelle Netflix parvient à recruter de nouveaux abonnés témoigne de la pertinence de son offre commerciale, au moins en termes d’usage. Alors que les chaînes de télévision se sont multipliées, complexifiant l’offre en même temps qu’elles l’ont l’enrichie – ce qui explique l’émergence d’initiatives comme Molotov (voir La rem n°40, p.38), les téléspectateurs ont tendance à délaisser les abonnements onéreux aux bouquets de chaînes payantes, mais aussi les chaînes en clair quand la programmation n’est pas suffisamment distinctive, pour privilégier le confort des offres thématiques bon marché, à l’instar de Netflix. En effet, en proposant d’explorer à la demande un catalogue où les productions exclusives dominent de plus en plus, Netflix a cassé les codes de la télévision, reposant sur des rendez-vous réguliers et répétés, pour autoriser une consommation de programmes individualisée. Le binge watching en est l’une des conséquences, cette possibilité de visionner à la suite les uns des autres tous les épisodes d’une série mise à disposition en ligne en intégralité (voir La rem n°29, p.63), quand les chaînes préfèrent au contraire distiller les épisodes dans la durée pour maintenir le suspense et l’intérêt pour leur offre de programmes.

Le succès de Netflix a toutefois un coût, que seule l’internationalisation de l’offre doit permettre d’amortir. Facturé 9,99 dollars aux États-Unis depuis octobre 2016 (contre 7,99 dollars auparavant) et 9,99 euros en France (contre 8,99 euros auparavant), l’abonnement à Netflix reste très bon marché, comparé aux offres payantes de télévision (voir infra sur Canal+). Ce tarif s’est historiquement imposé parce que Netflix a déployé son offre de vidéo en streaming d’abord aux États-Unis et sur PC. N’ayant pas accès au réseau des câblo-opérateurs, Netflix a dû passer par l’internet pour se distribuer en over the top, indépendamment par conséquent des décodeurs et box des fournisseurs d’accès (voir La rem n°24, p.50) . Cette stratégie a d’abord cantonné le groupe à l’écran des PC, les évolutions technologiques (téléviseurs connectés, clés de type Chromecast) permettant de plus en plus de transformer l’écran de télévision en écran relié directement à l’internet. Ce handicap initial, ainsi qu’un catalogue d’abord constitué de séries en rediffusion, a conduit Netflix à proposer un abonnement à bas prix afin de se démarquer face aux bouquets de chaînes facturés très cher par les câblo-opérateurs américains. Le succès aidant, Netflix a fini par fragiliser ces derniers en captant une partie de leurs abonnés, ce qui a conduit les producteurs de droits à exiger bien davantage du nouvel entrant, pour combler sur un nouveau marché ce qui était perdu sur le marché historique.

Confronté à une inflation forte du coût des programmes, Netflix a alors opté pour une politique de séries exclusives, qui ne cesse de monter en puissance. Le 1er février 2013, Netflix proposait sa première grande série originale, House of Cards, qui restait une exception dans son catalogue et servait d’abord de vitrine au service. La tendance s’est depuis inversée et Netflix a augmenté ses investissements dans la production originale au point de compter parmi les principaux acteurs du marché. Netflix a ainsi investi quelque 6 milliards de dollars dans la production de séries et films originaux en 2016 et ambitionne de dépenser 7 milliards de dollars en 2017, ce dont le résultat s’inscrit dans son catalogue. En 2015, le groupe a produit 320 heures de programmes originaux, puis 600 heures en 2016 et vise 1 000 heures en 2017, à tel point que le catalogue de Netflix est de plus en plus constitué de ses seules productions exclusives. Netflix commence d’ailleurs à mettre fin à certains des partenariats qu’il avait conclus pour proposer des films ou séries en rediffusion, à l’instar du partenariat avec la chaîne câblée Epix, conclu en 2010 et abandonné en août 2016.

Cette envolée des coûts de production, avec le maintien de tarifs peu élevés pour les abonnements, a obligé le groupe à amortir sur un marché élargi le coût de ses programmes, conduisant Netflix à une politique ambitieuse d’internationalisation de son offre depuis 2011, renforcée encore en 2016 (plus 130 nouveaux pays). Les coûts de déploiement à l’échelle internationale et la hausse des dépenses de production empêchent encore Netflix d’être rentable, mais son modèle révolutionne la télévision, au moins aux États-Unis, où le recours à des offres payantes était quasi systématique.

Ailleurs, l’équation est plus complexe. Aux États-Unis, les câblo-opérateurs ont dû réagir en urgence à la concurrence de Netflix en lançant des bouquets de chaînes à bas coût, qualifiés de skinny bundle, telle l’offre DirecTV Now, lancée en novembre 2016, qui abaisse de 88 à 35 dollars le coût de l’abonnement d’entrée de gamme aux offres de DirecTV. En effet, la compétitivité des offres de SVOD avait séduit 63 % des foyers américains fin 2016 selon Park Associates, même si s’abonner à Netflix ou à ses concurrents ne s’accompagne pas toujours d’un désabonnement aux offres du câble. En revanche, dans les pays où la télévision payante est moins développée, où la chronologie des médias est plus contraignante pour les plates-formes en ligne, l’urgence n’est pas la même. Une segmentation de l’offre payante, avec une gamme élargie de tarifs d’abonnement, peut alors être présentée comme une alternative aux services de SVOD, ce que tente actuellement Canal+.

Les offres de streaming se multiplient néanmoins, Amazon ayant ouvert son service Prime Video à 200 pays le 14 décembre 2016 (voir infra). Dans un premier temps, ces concurrences nouvelles vont plutôt obliger les acteurs de la SVOD à surenchérir sur leurs dépenses en programmes et à retarder le moment où elles équilibreront leurs comptes. Mais elles contribuent à attirer un public nouveau qui laisse espérer une rentabilité à terme. C’est d’ailleurs tout l’enjeu des offres actuelles dites over the top qui s’adressent aussi aux cibles jeunes, les 15-35 ans, pour lesquels le visionnage des programmes passe de plus en plus par l’internet, et de moins en moins par la télévision. Pour cette catégorie de la population, de nouveaux usages émergent d’ailleurs qui les coupent chaque jour de plus en plus de la consommation classique de programmes à la télévision.

Après le binge watching, se développe le speed watching, qui consiste à accélérer le défilement des images grâce à son lecteur vidéo en ligne afin de voir plus de séries en moins de temps. À l’explosion de l’offre correspond ainsi une explosion de la consommation qui doit trouver les moyens d’optimiser sa durée d’exposition aux contenus au sein de journées déjà saturées de sollicitations. Même s’il s’agit de tendances nouvelles et non encore majoritaires, les évolutions des pratiques de consommation de programmes, accompagnées par l’enrichissement de l’offre over the top, risquent de menacer toujours davantage l’économie des distributeurs comme des éditeurs de chaînes.

Concernant les éditeurs de chaînes payantes, la menace est réelle et immédiate car leur rémunération dépend des distributeurs historiques comme CanalSat en France. Parce que ces derniers perdent des abonnés, ils cherchent à réduire leurs coûts, supprimant certaines chaînes de leurs offres élargies quand leur plus-value éditoriale n’est pas suffisante, ou en baissant la rémunération des chaînes qu’ils souhaitent conserver, même si s’assurer de la distribution exclusive de certaines chaînes peut conduire à des surenchères. Pour les chaînes payantes, une diversification de leurs ressources est alors nécessaire, qui les conduit elles aussi à envisager des offres over the top.

Parce que les programmes sont de plus en plus regardés en ligne, les chaînes payantes optent à leur tour pour une distribution over the top, espérant toucher une population qui leur échappe, parce qu’elle n’est pas abonnée à un fournisseur d’accès à internet et se contente de sa connexion mobile, ou tout simplement quand les chaînes n’ont pas trouvé d’accord avec les fournisseurs d’accès pour être reprises dans leurs bouquets de chaînes payantes. Ainsi Orange a-t-il décidé de proposer ses chaînes OCS en over the top depuis novembre 2016, constatant que 4 millions de Français n’ont pas de téléviseurs et consomment pourtant des programmes vidéo sur leurs PC, smartphones et autres tablettes. Facturée 9,99 euros par mois, l’offre OCS est proposée à un tarif attrayant en over the top car elle ne permet pas de visionner les chaînes sur l’écran roi que reste le téléviseur. Moyennant 2 euros de plus par mois, il est possible, en revanche, de basculer les programmes du PC vers son téléviseur grâce à une clé Chromecast ou, demain, avec l’Apple TV.

Pour Orange, cette offre ne menace pas le modèle économique d’OCS, qui repose sur des accords de distribution avec les fournisseurs d’accès internet lui apportant 2,5 millions d’abonnés fin 2016, car elle s’adresse essentiellement à de nouveaux publics. Quand les fournisseurs d’accès refusent de reprendre certaines chaînes, parce que leur éditeur en réclame trop, ou bien parce qu’il affiche la marque d’un opérateur concurrent, alors le choix d’une distribution over the top peut s’imposer comme alternative aux interfaces contrôlées des fournisseurs d’accès à internet. C’est cette stratégie qui a été adoptée par SFR Sport, depuis novembre 2016, afin de pouvoir toucher les abonnés d’Orange, Bouygues et Free, les chaînes SFR Sports, lancées à l’été 2016, étant jusqu’alors réservées aux seuls abonnés SFR (voir La rem n°40, p.46). Moyennant 9,99 euros par mois, elles sont désormais accessibles directement sur internet. La même stratégie a été initiée par le Groupe M6 qui propose Paris Première et Téva en over the top, lui aussi depuis novembre 2016, pour 1,99 euro par mois.

Aux chaînes et bouquets proposés directement sur internet s’ajoutent les services de SVOD dérivés des chaînes afin de contrer les pure players comme Netflix ou Amazon Prime. Le phénomène est avéré aux États-Unis où le succès de la SVOD impose des stratégies nouvelles. Les chaînes disposant de contenus exclusifs capables d’incarner une alternative aux productions originales de Netflix, telles que HBO, Starz ou Showtime, ont lancé un service de SVOD sous leur marque, moins cher que l’abonnement classique à la chaîne, mais moins complet aussi. Si ces initiatives permettent aux chaînes de résister à la concurrence des plates-formes de SVOD sur leur marché national, elles leur offrent également la possibilité d’une internationalisation à moindre coût. HBO Now, le service de SVOD de HBO lancé en 2015, a ainsi été proposé en dehors des États-Unis afin d’aller chercher à l’étranger les revenus perdus sur le marché national. Disney a lancé son service de SVOD Disney Life au Royaume-Uni en 2015.

Au reste, ces initiatives se multiplient qui utilisent la SVOD pour organiser l’internationalisation des chaînes grâce à la facilité de distribution offerte par l’internet. Sky envisage de lancer Sky Now en Espagne, un pays où le groupe n’est pas présent en Europe. De leur côté, la BBC et ITV se sont associées pour proposer une offre de SVOD baptisée Britbox, laquelle fédère leurs deux catalogues afin de constituer la plate-forme de référence pour la production audiovisuelle britannique. Britbox doit être lancée aux États-Unis début 2017. Le même type d’initiative est porté par France Télévisions qui envisage cette fois-ci un service de SVOD dédié à la production audiovisuelle francophone.

Ces initiatives dans la SVOD, comme la mise à disposition des chaînes en over the top, masquent toutefois une réalité plus conservatrice, à l’exception peut-être du marché américain. La vidéo à la demande, qu’il s’agisse de replay, de téléchargement payant ou de SVOD, passe encore majoritairement par les services gérés des fournisseurs d’accès à internet, ce qui explique pourquoi SFR Sports a souhaité être distribué par les concurrents de SFR et pourquoi Canal s’allie avec Orange et Free pour élargir la distribution de ses chaînes payantes et de son service over the top MyCanal. Même aux États-Unis, le rôle central des câblo-opérateurs est loin d’être révolu : les bonnes performances de Netflix en termes de recrutement sur son marché historique s’expliquent notamment par l’accord récent passé avec Comcast qui a poussé le service auprès de ses abonnés.

En dernier ressort, les services over the top pourraient donner lieu à des créations originales et des manières radicalement nouvelles d’accéder aux programmes en fonction des terminaux utilisés plutôt qu’en fonction des réseaux et des intermédiaires dans la distribution. C’est tout le pari en France de Studio+, lancé par Vivendi en avril 2016, qui cherche à inventer ce que sera la « télévision » sur mobile 4G.

Depuis novembre 2016, l’application Studio+ propose des mini-séries de 10 épisodes de 10 minutes chacun, adaptées à la consommation sur mobile. Ces mini-séries sont soit achetées, soit financées par Vivendi Content, la filiale qui gère Studio+. Confiées à des réalisateurs chevronnés, elles sont tournées dans différents endroits du monde, dans différentes langues, afin de constituer un catalogue diversifié et international, avec des éléments de « glocalisation », à l’instar de Netflix. Mais, cette fois-ci, le catalogue fédère d’abord les formats du petit écran. Le service est proposé au prix de 4,99 euros par mois en France, pour l’instant en téléchargement sur les magasins d’applications, donc en over the top, et il sera repris courant 2017 par Orange et Bouygues Telecom, donc intégré dans certaines des offres des opérateurs. Comme Netflix, il vise l’internationalisation pour être rentable : avant la France, Studio+ avait déjà été lancé en Amérique latine depuis octobre 2016, grâce à un partenariat avec Telefonica en Argentine, au Chili, au Pérou et en Colombie, et avec Vivo au Brésil.

Telefonica et Telecom Italia, deux opérateurs dans lesquels Vivendi est présent grâce à des participations, vont pousser le service également en Europe. Studio+ devrait être également étendu à la Russie. L’expansion du service passe ici principalement par des accords avec les opérateurs qui pourront soit commercialiser Studio+, soit l’inclure par défaut dans certains de leurs forfaits haut de gamme, une stratégie déjà adoptée par les services de streaming musical, dont le marché naturel est celui des smartphones. Les accords passés entre Studio+ et les opérateurs doivent permettre au service de toucher en tout 600 millions de personnes, dont une partie acceptera de s’abonner.

Sources :

  • « Studio+ crée un mode nouveau de consommation sur mobile », interview de Dominique Delport, DG de Havas Media et président de Vivendi Content, par Alexandre Debouté, Le Figaro, 10 octobre 2016.
  • « Studio+ en France en novembre », Paul Molga, Les Echos, 25 octobre 2016.
  • « OCS, les chaînes cinéma d’Orange désormais en accès direct sur le Net », Fabienne Schmitt, Les Echos, 10 novembre 2016.
  • « SFR Sport devient accessible directement sur Internet », Enguérand Renault, Le Figaro, 16 novembre 2016.
  • « Miniséries sur mobile : les clés du pari de Vivendi », Nicolas Madelaine, Les Echos, 25 novembre 2016.
  • « Les chaînes de télévision débarquent en accès direct sur le Net », Marina Alcaraz, Fabienne Schmitt, Les Echos, 28 novembre 2016.
  • « La BBC et ITV unissent leurs forces dans la VoD », Nicolas Madelaine, Les Echos, 16 décembre 2016.
  • « Speed watching : mais pourquoi regarder en accéléré les séries TV ? », Stéphanie Guerrin, leparisien.fr, 7 janvier 2017.
  • « Netflix va franchir dès le début de 2017 le cap des 100 millions d’abonnés », Nicolas Madelaine, Les Echos, 20 janvier 2017.
  • « L’ogre Netflix engrange toujours plus d’abonnés », Caroline Sallé, Le Figaro, 20 janvier 2017.
Professeur à Aix-Marseille Université, Institut méditerranéen des sciences de l’information et de la communication (IMSIC, Aix-Marseille Univ., Université de Toulon), École de journalisme et de communication d’Aix-Marseille (EJCAM)

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