Vivendi en conflit avec Mediaset

La remise en cause de l’accord scellé avec Mediaset en avril 2016 a conduit Vivendi à forcer le capital du groupe contrôlé par Berlusconi, annonçant soit une rupture entre les deux partenaires, soit un nouvel accord plus favorable à Vivendi.

En annonçant, le 8 avril 2016, s’être mis d’accord pour faire émerger le futur Netflix européen, les groupes Vivendi et Mediaset confirmaient leur rapprochement : Vivendi s’engageait à reprendre les chaînes payantes de Mediaset regroupées dans Mediaset Premium ; il prenait également 3,5 % du capital de Mediaset, tandis que le groupe italien en obtenait autant au sein de Vivendi (voir La rem n°38-39, p.63). Cette annonce avait révélé les projets ambitieux du groupe Vivendi en Europe du Sud, où Mediaset est un acteur majeur de la télévision en clair, en Italie et en Espagne. Pour Vivendi, trois fois plus gros que Mediaset en chiffre d’affaires (10,7 milliards d’euros en 2015 contre 3,5 milliards d’euros), la contrepartie de l’alliance entre acteurs de taille différente devait être la prise de contrôle de Mediaset Premium, une contrepartie à double tranchant qui obligeait le groupe français à intégrer dans ses comptes les pertes récurrentes de Mediaset Premium.

Lancé en 2005 et présent sur la TNT payante en Italie, le bouquet Mediaset Premium est le concurrent du leader Sky Italia. Il compte en tout quelque 2 millions d’abonnés, en incluant notamment le service de SVOD Infinity et ses 600 000 abonnés. Or Mediaset Premium a besoin de 2,5 millions d’abonnés pour équilibrer ses comptes depuis que Mediaset s’est emparé des droits de retransmission de la Champions League pour les saisons 2015-2018 moyennant 700 millions d’euros. Le bouquet affiche donc des déficits, de trimestre en trimestre, dont 63,7 millions d’euros au premier trimestre 2016 et 37,1 millions d’euros au second. En transférant ces pertes au groupe Vivendi, Mediaset aurait pu de nouveau afficher des résultats à l’équilibre, le groupe creusant ses pertes principalement à cause de Mediaset Premium.

La situation difficile de Mediaset Premium a conduit Vivendi à revoir sa position, à la suite d’une évaluation de l’activité payante de Mediaset réalisée de manière indépendante par le cabinet Deloitte. Annoncée le 25 juillet 2016, la remise en cause de l’accord signé le 8 avril a conduit Vivendi à proposer une alternative qui lui est beaucoup plus favorable. Le groupe français est prêt à recapitaliser Premium, mais il souhaite n’en contrôler que 20 % du capital, ce qui lui permet de ne pas consolider dans ses comptes les pertes du bouquet. En contrepartie, Vivendi souhaite pouvoir monter jusqu’à hauteur de 15 % au capital de Mediaset en trois ans, cette participation se faisant sous forme d’obligations convertibles en actions. L’alliance stratégique devant faire émerger un Netflix européen est en revanche maintenue et présentée comme le motif principal du renforcement des liens capitalistiques entre les deux groupes.

En montant au capital de Mediaset, Vivendi acquiert aussi des positions nouvelles dans la télévision en clair en Italie et en Espagne, les deux secteurs qui constituent le cœur d’activité du groupe transalpin. Il dilue également la participation de Fininvest dans le capital de Mediaset, rendant possible une perte de contrôle de la holding de la famille Berlusconi sur le groupe. L’annonce de Vivendi eut un effet immédiat, à savoir la chute du cours de l’action Mediaset, qui se voit dans l’obligation de continuer à intégrer les pertes de Premium dans ses comptes. L’italien a réagi dans un premier temps en rappelant les engagements initiaux de Vivendi, un contrat ayant été signé le 8 avril 2016. Dans un second temps, il a assigné Vivendi en justice et a déposé une plainte auprès du tribunal de Milan pour réclamer 50 millions d’euros par mois de retard dans la mise en œuvre de l’accord, et jusqu’à 1,5 milliard d’euros de dédommagement en cas de rupture du contrat.

La riposte de Mediaset va conduire Vivendi à revoir sa stratégie. En octobre 2016, le groupe va invoquer les actions en justice intentées par Mediaset pour se considérer comme « libéré de sa volonté de privilégier une solution amicale », une contre-attaque devant les tribunaux semblant alors probable. La contre-attaque fut finalement financière avec l’annonce, le lundi 12 décembre 2016, de la montée de Vivendi au capital de Mediaset à hauteur de 3,01 %, et de la volonté du groupe français de monter jusqu’à 20 %. Le lendemain, Vivendi annonçait contrôler 12,3 % du capital de Mediaset, faisant augmenter le cours de Mediaset de 30 % en une journée. Quarante-huit heures plus tard, le mercredi 14 décembre 2016, Vivendi annonçait dans un communiqué contrôler 20 % du capital de Mediaset. En réaction, Fininvest, la holding de la famille Berlusconi, annonçait le même jour avoir augmenté sa participation dans Mediaset de 35 % à 38,3 % du capital. Las, le 22 décembre 2016, Vivendi annonçait détenir 28,8 % du capital de Mediaset et 29,94 % des droits de vote, une position plaçant le groupe français tout proche du seuil de déclenchement des OPA à 30 % du capital.

Le déclenchement d’une OPA de Vivendi sur Mediaset est peu probable, d’abord parce que le cours de Mediaset a augmenté de 80 % depuis la première annonce du 12 décembre 2016, ensuite parce que le contrôle de 30 % des droits de vote doit en toute logique obliger la famille Berlusconi à trouver un accord avec Vivendi, sauf à prendre le risque de perdre le contrôle de Mediaset. Et Vivendi a désormais intérêt à trouver un accord avec Mediaset pour relancer les activités du groupe italien, notamment dans le payant avec Mediaset Premium et le projet de Netflix européen, afin de valoriser sa participation importante au capital de l’italien. Enfin, toute tentative d’OPA conduirait à des problèmes concurrentiels.

Le dispositif anticoncentration en Italie, qui repose sur la loi Gasparri de 2004, interdit à un même groupe de contrôler plus de 40 % du marché des télécommunications et plus de 10 % du marché audiovisuel. Or Telecom Italia, où Vivendi est l’actionnaire principal avec 24,9 % du capital, contrôle 44,7 % de son marché, quand Mediaset contrôle 13,3 % du marché italien de l’audiovisuel grâce à ses recettes publicitaires (près de 40 % du marché publicitaire italien est contrôlé par les différentes chaînes de Mediaset). L’Agcom, l’autorité italienne de régulation des télécommunications, aurait donc les moyens d’opposer son veto à toute tentative de prise de contrôle de Mediaset par Vivendi, l’autorité devant également se prononcer sur une plainte déposée par Mediaset qui accuse Vivendi d’avoir manipulé les cours au moment de son montée au capital du groupe italien.

Un nouvel accord devrait mettre fin à toutes les plaintes, et Mediaset semble prêt à l’envisager. En présentant ses résultats le 18 janvier 2017, la Fininvest a annoncé qu’elle comptait faire progresser les résultats de Mediaset de 26,8 millions d’euros en 2015 à 468 millions d’euros en 2020, signe de son contrôle des destinées du groupe. Le même jour, Pier Silvio Berlusconi, le fils de Silvio Berlusconi, à la tête de Mediaset, indiquait toutefois que son groupe restait « ouvert à toute proposition de Vivendi pouvant créer de la valeur et qui ait un sens industriel ». À cet égard, Vivendi devra probablement présenter une proposition plus détaillée de ses projets de distribution vidéo over the top en Europe du Sud et dans le monde. Le 31 décembre 2016, Vivendi a en effet fermé Watchever, sa plate-forme allemande de SVOD, déficitaire, alors même qu’elle avait été présentée comme le socle du futur Netflix européen. Par ailleurs, le groupe a annoncé début janvier 2017 relancer Dailymotion en y proposant une offre « éditorialisée » de contenus premium dans l’information, le sport et la télévision, le statut d’hébergeur de Dailymotion devant toutefois être préservé.

Sources :

  • « Vivendi va fermer Watchever, sa plate-forme de sVoD allemande », Nicolas Madelaine, Les Echos, 22 juillet 2016.
  • « Bras de fer entre Vivendi et Mediaset », Nicolas Madelaine, Les Echos, 27 juillet 2016.
  • « Vivendi et Mediaset sont au bord de la rupture », Nicolas Madelaine et O.T., Les Echos, 29 juillet 2016.
  • « Mediaset met ses menaces à exécution contre Vivendi », Nicolas Madelaine, Les Echos, 22 août 2016.
  • « Vivendi prêt à poursuivre en justice l’empire télé de la famille Berlusconi », Nicolas Madelaine, Les Echos, 20 octobre 2016.
  • « Vivendi prêt à passer en force et à monter à 20 % du capital de Mediaset », Nicolas Madelaine, Les Echos, 13 décembre 2016.
  • « Berlusconi – Bolloré : la guerre fait rage », Richard Heuzé, Le Figaro, 14 décembre 2016.
  • « Vivendi – Mediaset : questions sur un coup de force », Nicolas Madelaine, Les Echos, 14 décembre 2016.
  • « Vivendi a déjà 20 % de Mediaset mais Berlusconi reste ferme », Nicolas Madelaine, Les Echos, 15 décembre 2016.
  • « Vivendi prêt à monter à 30 % du capital de l’empire télé des Berlusconi », Nicolas Madelaine, Les Echos, 20 décembre 2016.
  • « Berlusconi – Bolloré : la grande bataille », Enguérand Renault et Richard Heuzé, Le Figaro, 22 décembre 2016.
  • « Le plan de Vivendi pour relancer DailyMotion », Nicolas Madelaine, Nicolas Rauline, Les Echos, 18 janvier 2017.
  • « Mediaset : Vivendi face au patriotisme économique italien », Olivier Tosseri, Les Echos, 19 janvier 2017.
  • « Berlusconi ouvre la porte à Vivendi », Richard Heuzé, Le Figaro, 20 janvier 2017.
Professeur à Aix-Marseille Université, Institut méditerranéen des sciences de l’information et de la communication (IMSIC, Aix-Marseille Univ., Université de Toulon), École de journalisme et de communication d’Aix-Marseille (EJCAM)

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