Le film long serait-il l’avenir du spot de pub ?

Court-métrage et émission de téléréalité : les grands annonceurs que sont les enseignes de la distribution veulent aller « au-delà de la pub ». Ils misent de plus en plus sur la communication narrative (storytelling) pour séduire les jeunes consommateurs, quitte à estomper les frontières entre la publicité et les programmes.

Du parrainage au placement de produits, des relations étroites entre les marques et les programmes ont été tissées depuis longtemps déjà. Plus récemment, à partir des années 2010, les investissements publicitaires ont donné naissance aux contenus de marque (brand content, voir La rem n°14-15, p.50) à la télévision, puis, quelques années plus tard, à un nouvel « enrobage » du publireportage sur les sites de presse, baptisé native advertising (voir La rem n°34-35, p.38). Dans les deux cas, des programmes de divertissement ou des articles d’information sont produits par les annonceurs. Face à la puissance d’exposition offerte par les réseaux sociaux, c’est désormais l’accroche narrative, ou storytelling, qui l’emporte dans la stratégie des annonceurs : plutôt que la simple mise en avant du produit et dans la mouvance du brand content, c’est le film publicitaire lui-même qui prend l’allure d’un programme comme les autres.

La mise en récit de l’argumentaire commercial, accroche narrative ou storytelling, était jusqu’à présent l’apanage des marques du luxe et de l’automobile, qui souhaitaient ainsi se distinguer par la création de films publicitaires de plus de trois minutes, avec un budget de plusieurs millions d’euros et au standard cinématographique. Afin de retenir l’attention des jeunes consommateurs, souvent plus exigeants que leurs aînés, les annonceurs du secteur de la grande distribution, traditionnellement plus enclins à investir dans des « spots de pub » à l’argumentaire classique, se lancent à leur tour dans une forme de communication plus sophistiquée, brouillant toujours davantage les repères habituels.

Face à la vogue des vidéos sur internet, le format du traditionnel spot de 30, voire 20 secondes, diffusé à satiété sur le petit écran, de surcroît noyé dans un tunnel publicitaire, ne répond plus aux attentes des jeunes téléspectateurs-internautes. En revanche, les films publi­citaires de plusieurs minutes, plus aptes à susciter l’émotion par le biais d’une histoire, au ton décalé, se propagent amplement sur internet. Les annonceurs de la grande distribution l’ont bien compris qui cherchent à se démarquer de la « pub » en proposant des contenus calqués sur ceux que plébiscitent les Millennials sur les réseaux sociaux. La saturation, celle des espaces tout autant que celle des esprits, n’explique pas à elle seule ce renouveau de la création publicitaire. Utilisateurs de logiciels bloqueurs de publicité (adblocks), gros consommateurs de vidéos et amateurs de services à la demande, les digital natives sont loin d’être la cible captive de la publicité traditionnelle.

« On doit apporter du spectacle, refléter ce que les gens ont envie de voir en publicité », témoigne Jean-Patrick Chiquiar, président de l’agence Rosapark (groupe Havas), qui compte parmi ses clients l’enseigne Monoprix. Pour les grands annonceurs, le spot TV n’est plus un investissement aussi rentable au regard de l’exposition gratuite offerte par les réseaux sociaux. Jouant sur la confusion des genres, la publicité qui raconte des histoires parvient à métamorphoser le message commercial en une fiction de marque. Dans le flot grossissant de l’image animée en tout genre sur internet, le film publicitaire va-t-il, ainsi devenir une œuvre audiovisuelle ou cinématographique parmi les autres ?

Précurseur dans le domaine du parrainage TV de programmes courts (Du côté de chez vous), l’enseigne de bricolage Leroy Merlin a opté récemment pour la mise en récit, afin de renouveler son image de marque, avec L’Aventure d’une vie, un film d’une durée de deux minutes. Diffusé à la télévision en mars 2017, ce film conçu par l’agence BETC Shopper joue sur la métaphore pour évoquer un jeune couple qui se lance dans la vie. Également diffusé au cinéma, il est aussi visible sur Facebook et YouTube. Pour sa nouvelle campagne lancée en mars 2017, Intermarché, a confié, de son côté, à l’agence Romance (groupe Omnicom), la production d’un film de trois minutes qui met en scène la rencontre amoureuse d’un adolescent, adepte de la malbouffe, et d’une jeune caissière. Diffusé une seule fois dans sa version longue sur TF1 en prime time (il sera ensuite raccourci à 60 secondes pour la télévision et à 90 secondes au cinéma), juste avant le télé-crochet The Voice, programme phare sur les réseaux sociaux, ce court-métrage a totalisé plus de 2 millions de vues sur Facebook et Twitter en une journée, et 10 millions en une semaine. Cette exposition gratuite dont a bénéficié l’annonceur Intermarché, baptisée earned media dans le langage des professionnels du marketing, génère, en outre, de nombreux commentaires sur ces réseaux sociaux et permet de susciter la création de communautés de fans.

#LaitDroleLaVie raconte l’histoire d’un collégien qui glisse en catimini des messages amoureux, découpés dans des emballages de produits alimentaires, dans le casier de sa camarade de classe. Lancé le 10 mai 2017, pour treize diffusions uniquement sur les chaînes du groupe M6, ainsi qu’au cinéma et sur les réseaux sociaux, ce court-métrage d’une durée de quatre minutes, produit par l’agence Rosapark pour Monoprix, s’apparente à « un film de cinéma, avec des émotions, des sourires, tous les ingrédients du septième art, en 35 mm, quelque chose au-delà de la pub », selon Florence Chaffiotte, « directrice marque et digital » du distributeur. Avec un budget total d’environ 10 millions d’euros, Monoprix présente également aux internautes la suite de l’histoire sur internet, avec dix scénarios drôles et décalés qui offrent une franche alternative au traitement très sentimental du premier film, élargissant ainsi son public. « Nous avons décidé de proposer une expérience digitale unique aux consommateurs permettant de casser la logique 100 % émotionnelle du film », explique Gilles Fichteberg, coprésident et directeur de création de Rosapark.

Présentant une compétition autour des métiers de bouche, Á l’épreuve du goût va encore plus loin dans la confusion des genres. Ce programme reprend, à l’identique, la scénarisation, le rythme et le ton des célèbres Top Chef ou Master Chef et, de surcroît, l’animateur en personne de Secret Story. Cette copie conforme d’une émission de téléréalité est en fait un contenu de marque, conçu par l’agence de publicité TBWA/Paris, TF1 Publicité et l’agence marketing My Media, pour le compte de l’enseigne Magasins U. Depuis avril 2017, des épisodes de 10 minutes sont diffusés sur MyTF1, plate-forme web de la chaîne, relayés par son site de divertissement MinuteBuzz, ainsi que sur la page Facebook, le fil Twitter et la chaîne YouTube de l’annonceur. « On s’est dit qu’à l’époque des « fake news », de la perte de crédibilité des émetteurs, de la méfiance qu’entretiennent les Français à l’égard des produits alimentaires, il fallait trouver le format le plus crédible. Et très vite, nous avons compris que passer par le spot publicitaire n’était pas la bonne idée », explique Guillaume Pannaud, président de TBWA/Paris.

Du côté du cinéma, les frontières entre la création originale et la narration publicitaire, dont le tracé est parfois déjà rendu flou par un placement de produits largement répandu, risquent de s’estomper encore davantage. Aux États-Unis, ce sera bientôt chose faite. Sorti en 2014 et réalisé par Phil Lord et Christopher Miller, le film d’animation La Grande Aventure Lego, coproduit par l’australien Village Roadshow Pictures, l’américain Warner Bros et la marque de jouets danoise, est un exemple sans ambiguïté de brand content. En revanche, la marque américaine Pepsi s’apprête à ouvrir une nouvelle ère de la création publicitaire. Début 2017, elle a annoncé la production d’un long-métrage, adaptation pour le grand écran de sa mini-série publicitaire Uncle Drew diffusée sur internet. Lancée en 2012, cette histoire en quatre épisodes d’un joueur de basket septuagénaire, interprété par le célèbre basketteur Kyrie Irving, qui marque à tous les coups après avoir bu du soda, a été conçue par l’agence BBDO (groupe Omnicom). Le premier épisode compte 40 millions de vues sur YouTube.

Très probablement présenté lors du prochain Sundance Festival en janvier 2018, puisque Pepsi en est partenaire, ce premier long métrage publicitaire devrait être accessible sur des plates-formes de vidéo à la demande. Et pourquoi pas en salle, au moins une fois, pour lancer sa carrière ? Comme l’analyse Gautier Picquet, président de Publicis Média, à propos de ce projet inédit : « Montrer le produit ne suffit plus à enchanter le consommateur. Il faut lui offrir de l’« every day content », créer de l’émotion autour de la marque, l’inscrire subtilement dans son cerveau. »

Sources :

  • « Pepsi crée son premier long-métrage », Véronique Richebois, Les Echos, 27 février 2017.
  • « Magasins U crée une émission de télé-réalité », Véronique Richebois, Les Echos, 3 avril 2017.
  • « Publicité : les films longs séduisent les annonceurs », Alexandre Debouté, Le Figaro, 9 mai 2017.
  • « Monoprix lance son court-métrage », Véronique Richebois, Les Echos, 15 mai 2017.
Ingénieur d’études à l’Université Paris 2 - IREC (Institut de recherche et d’études sur la communication)

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