Présence sur Instant Articles ou sur Discover, kiosques de presse des opérateurs télécoms, articles en version podcast, journaux livrés par Amazon, la liste est longue des innovations dans la distribution qui doivent permettre à la presse de mieux valoriser l’information.
Parce que la publicité finance de moins en moins bien la presse en ligne, la capacité des titres à susciter un acte d’achat de la part de leurs lecteurs devient de plus en plus déterminante. Ce positionnement de la presse passe par une multitude d’initiatives qui visent à chaque fois à exploiter les communautés de lecteurs fédérées autour des marques et des thématiques de la presse en ligne. Ces initiatives reposent souvent sur des modalités originales de distribution qui permettent de soustraire l’internaute des environnements classiques de lecture, le site web et son accès gratuit, pour lui imposer un nouveau comportement qui soit plus rentable pour les titres.
Certes, la publicité n’est pas abandonnée, mais son utilisation classique sur les sites web est désormais menacée, ce qui condamne les médias à s’unir pour commercialiser leurs espaces ou alors à inscrire leurs contenus dans des environnements censés être plus performants. En la matière, les déceptions sont nombreuses. En acceptant de voir leurs articles directement distribués par Facebook et son programme Instant Articles (voir La rem n°37, p.40), les éditeurs espéraient sans nul doute toucher plus facilement l’audience gigantesque du réseau social et profiter également de sa capacité à afficher des publicités adaptées à leur profil. Mais, Instant Articles, lancé en 2015, compte deux ans plus tard ses premières défections, et non des moindres puisque le Guardian, le New York Times ou Cosmopolitan (Groupe Hearst) ont décidé d’y renoncer.
Deux reproches principaux sont adressés à Instant Articles. Le premier est récurrent, puisqu’il s’agit de la faiblesse des recettes publicitaires apportées par le service. Le second est intimement lié à la stratégie globale des titres qui reprochent à Instant Articles d’exposer insuffisamment la marque des titres, tout en communiquant des données d’audience incomplètes. En effet, la connaissance des audiences et la fidélité à la marque d’un titre sont des leviers de plus en plus actionnés pour convaincre les lecteurs en ligne de s’abonner, la plupart des titres ayant désormais opté pour un paywall (à l’exception notable du Guardian). Or, la gratuité est érigée en principe chez Facebook qui, sans elle, perdrait l’essentiel de son intérêt comme « média », pour ne plus être qu’un service de communication. À l’évidence, les intérêts du réseau social et des titres sont opposés, en même temps qu’ils ont besoin l’un de l’autre, le premier pour alimenter son service en informations dignes de ce nom, les seconds pour toucher de nouveaux lecteurs. Et Facebook insiste d’ailleurs auprès des éditeurs pour qu’ils proposent le plus grand nombre de contenus gratuits s’ils souhaitent voir leurs articles « remontés » par les algorithmes du réseau social.
À l’inverse, les titres veulent qu’Instant Articles puisse renvoyer vers leur site web et les offres d’abonnement. Cette entorse à la logique intrinsèque de Facebook pourrait toutefois être acceptée. En effet, depuis février 2017, Facebook organise des rencontres avec la presse européenne pour trouver avec elle un terrain d’entente, une première décision étant d’autoriser désormais les médias à faire figurer leur logo – donc leur marque – sur les articles qu’ils publient sur Facebook.
D’autres environnements sont en revanche privilégiés, par exemple Discover. Lancé en France en septembre 2016, l’espace dédié aux médias professionnels dans Snapchat a ceci de particulier qu’il propose un environnement clos, limité à quelques médias, tout en garantissant aux annonceurs des contenus de référence. En effet Discover sépare l’information des flux d’images et de messages qui circulent par ailleurs sur Snapchat. Seuls huit médias ont été retenus pour le lancement : Le Monde, Paris Match, L’Equipe, Cosmopolitan pour les titres de presse issus du papier, Vice, Konbini, Melty, Tastemade pour les pure players. Quatre autres titres ont rejoint Discover le 30 juin 2017, Vogue, L’Express, Society et MTV, preuve de l’intérêt de ce mode original de distribution qui impose ses formats aux médias partenaires, mais leur garantit en retour des audiences et des annonceurs.
D’autres acteurs apportent à la presse les moyens de repenser sa distribution, cette fois-ci en favorisant le recours au payant. Les initiatives les plus importantes sont sans aucun doute les kiosques de presse que proposent désormais les fournisseurs d’accès à internet. Après SFR Presse en avril 2016 (voir La rem n°40, p.45), Bouygues Telecom a lancé Le Bouquet Presse le 29 mai 2017. À la différence de SFR, qui négocie directement avec les éditeurs pour constituer son offre en propre, Bouygues Telecom a préféré s’associer avec LeKiosk, l’un des premiers kiosques en ligne lancés en France, il y a dix ans en 2007. Ce partenariat permet à Bouygues Telecom d’accéder d’emblée à plus de 1 000 titres, dont des titres de la presse étrangère. Mais il transforme en même temps le modèle économique de LeKiosk. En effet, jusqu’alors, les kiosques en ligne proposaient des abonnements à un bouquet de titres à sélectionner au sein d’une offre élargie. Avec le Bouquet Presse, les clients de l’opérateur ont à l’inverse un accès illimité à l’ensemble des titres du catalogue. L’abonnement est inclus par défaut dans les forfaits de Bouygues Telecom s’ils sont facturés au moins 27 euros par mois dans le fixe, et s’ils disposent de 5 Go de données minimum par mois pour les forfaits mobiles.
Cet accès illimité réplique dans les kiosques en ligne les offres de streaming illimité de la musique, illustrées à l’origine par Deezer et Spotify, et qui permettent enfin à la musique enregistrée de retrouver petit à petit le chemin de la croissance. Au moins ont-elles permis de refaire payer l’écoute de musique quand le piratage avait imposé au début des années 2000 une gratuité destructrice. Pour LeKiosk, le partenariat avec Bouygues Telecom anticipe la mutation de son offre qui devrait être à terme proposée en lecture illimitée, les titres étant alors rémunérés pour chaque téléchargement. De son côté, Orange ne propose pour l’instant que des tarifs préférentiels au kiosque ePresse, et cela depuis juillet 2015, mais une offre de presse associée par défaut aux forfaits est envisagée. À l’évidence, la presse emprunte ici les chemins déjà tracés par la musique. D’abord adossés aux forfaits des opérateurs télécoms, Deezer et Spotify ont ensuite appris à susciter des abonnements directs, sans passer par un tiers capable dans un premier temps de faire payer le lecteur.
Ce sera peut-être encore plus nécessaire pour la presse que pour la musique. En effet, parce que la presse bénéficie d’un taux de TVA réduit à 2,1 %, contre 10 % pour la télévision et 20 % pour le téléphone, elle attire aujourd’hui les opérateurs. En incluant des kiosques de presse dans les forfaits triple play, avec un prix facial de vente élevé, la part de TVA à 2,1 % dans les forfaits des opérateurs augmente sensiblement, même si les clients ne s’en aperçoivent pas. SFR économiserait ainsi 300 à 400 millions d’euros par an, et 200 millions d’euros pour Bouygues Telecom. Autant dire que c’est l’optimisation fiscale, et non les lecteurs, qui finance les kiosques de presse des opérateurs, ce que la loi de finances 2018 doit corriger en recentrant le taux de TVA réduit sur les sommes effectivement versées par les opérateurs aux journaux à chaque téléchargement d’un titre.
D’autres innovations dans la distribution numérique vont beaucoup plus loin parce qu’elles réinventent de fond en comble la manière de lire l’information. Amazon est ici au centre de ses innovations parce qu’il s’appuie sur la presse pour développer son offre Prime. Ainsi, Amazon a lancé Audible Channels en 2016, un service de podcasts qui s’apparente à ce que Netflix est aux séries. Il ne s’agit pas ici de livres audio, le cœur de métier d’Audible, mais de podcasts documentaires, de comédies, de fictions ou d’information. Amazon a par exemple conclu un partenariat avec le New York Times pour qu’il lui livre des versions parlées de certains de ses articles. En France, Amazon a contribué au financement de Transferts, un podcast gratuit lancé par Slate.fr en juin 2016. Ces podcasts reprennent les codes de la narration des séries pour les mettre au service de sujets de société, dans des formats assez longs de 20 à 30 minutes. Pour Boris Razon, directeur de la rédaction de Slate.fr, il s’agit de « développer des formats qui répondent à de nouveaux usages et de raconter le monde différemment. Un désir de narration où le son est vecteur d’un fort engagement. Notre objectif, devenir une référence dans l’analyse de l’actualité combinée à l’art du récit sur le monde contemporain ». Dans ce cas, la publicité est mieux acceptée, parce qu’elle précède souvent sous forme d’in-stream le lancement du podcast, quand elle déserte à l’inverse les pages des sites web.
Enfin, Amazon innove également dans la distribution de la presse papier. Depuis le 23 avril 2017, le géant du e-commerce propose la livraison à domicile des titres du groupe Prisa pour les abonnés d’Amazon Premium à Madrid. Amazon met donc sa logistique de distribution au service de la presse, relançant ainsi autrement le portage en associant la livraison du quotidien à celle des autres biens commandés par le foyer. Du lancement du service au 14 mai 2017, El País a ainsi été distribué gratuitement aux abonnés madrilènes d’Amazon Premium, avant d’être proposé au prix en kiosque. Deux autres titres sont pareillement disponibles au moment de passer commande sur Prime Now, le quotidien économique Cinco Dias et le quotidien sportif As. Barcelone devrait à terme accueillir le même service.
Sources :
- « Aujourd’hui, Slate.fr lance ses podcasts gratuits », Communiqué de presse, slate.fr, 16 juin 2016.
- « El País y Amazon Prime Now firman el primer acuerdo para la distribución de periódicos », elpais.com, 21 avril 2017.
- « Bouygues Telecom lance son kiosque de presse », Chloé Woitier, Le Figaro, 23 mai 2017.
- « Kiosques presse : tous les « telcos » se positionnent », Nicolas Madelaine, Les Echos, 23 mai 2017.
- « Audible ambitionne de devenir le “Netflix de l’audio” », Chloé Woitier, Le Figaro, 26 mai 2017.
- « Facebook envisage un abonnement pour les Instant Articles », Lucie Ronfaut, Le Figaro, 14 juin 2017.
- « Facebook prêt à aider l’info payante », Nicolas Madelaine, Les Echos, 14 juin 2017.
- « Society et Vogue bientôt sur Discover de Snapchat », Nicolas Madelaine, Les Echos, 27 juin 2017.
- « TVA : SFR et Bouygues Telecom dans le viseur de Bercy », Fabienne Schmitt, Les Echos, 4 septembre 2017.