Le rachat de Tribune Media par Sinclair accélère la concentration sur le marché des chaînes locales, quand le marché des chaînes payantes du câble poursuit sa consolidation sous l’égide de Discovery, qui s’empare de Scripps Networks.
Aux États-Unis, les chaînes de télévision et les grands studios sont la cible des « telcos » avec le retour des stratégies de convergence, tel le rachat par AT&T de DirecTV en 2014 (voir La rem n°30-31, p.65) et de Time Warner en 2016 (voir La rem n°41, p.62). Cette dernière opération doit toutefois obtenir l’accord des autorités américaines de concurrence, après l’accord de Bruxelles en mai 2017. Pour les opérateurs, ces rachats de chaînes ou de programmes doivent leur permettre de contrôler une offre en propre afin de fidéliser leurs abonnés, qu’il s’agisse de leur vendre des forfaits d’accès enrichis ou de commercialiser des bouquets de chaînes face aux nouveaux acteurs de la vidéo over the top, Netflix ou Amazon. Mais, dans ce dernier cas, les skinny bundles l’emportent (voir La rem n°38-39, p.55). Ces bouquets de chaînes amaigris, à moins de 20 euros par mois, sont seuls capables de rivaliser avec les offres commerciales de Netflix et de ses épigones.
Ils fédèrent principalement le meilleur des chaînes issues des anciens bouquets, la pratique américaine reposant historiquement sur des offres onéreuses qui fédéraient jusqu’à 200 chaînes payantes dont l’intérêt était très inégal. Pour les opérateurs télécoms et les « câblos » américains, comme pour les éditeurs de chaînes, ces offres compétitives demeurent la principale réponse face au cord cutting, à savoir la pratique qui consiste à se désabonner des offres de chaînes payantes pour se contenter d’un service over the top en sVoD. Il s’agit d’abord de conserver les derniers abonnés, plus que de relancer la télévision payante aux États-Unis : après un premier trimestre 2017 comptabilisant 760 000 désabonnements, un pic jamais atteint jusqu’alors, les grands networks américains ont tous été « chahutés » en Bourse, qu’il s’agisse de Discovery, de 21st Century Fox, de CBS ou encore de Disney. Ces difficultés croissantes des networks, si elles favorisent les rapprochements avec les fournisseurs d’accès pour distribuer des offres enrichies, conduisent également à une plus grande concentration sur le marché américain. Deux opérations récentes en témoignent.
Après que la FCC, l’autorité américaine de régulation des communications, a allégé, le 20 avril 2017, les limitations sur le nombre de chaînes qu’un même diffuseur peut contrôler, Sinclair Broadcast Group, leader aux États-Unis, s’est emparé de Tribune Media, pour 3,9 milliards de dollars. Annoncée le 8 mai 2017, l’opération devra toutefois obtenir l’accord de la FCC : en effet, l’impossibilité de toucher plus de 39 % des foyers pour un même diffuseur s’applique, mais le calcul du taux de pénétration a été divisé par deux pour la diffusion en ultra-haute fréquence (UHF), ce qui n’est pas le cas pour la VHF (très haute fréquence). Comme Sinclair recourt majoritairement aux fréquences UHF pour ses 173 chaînes, il peut désormais s’emparer des 42 chaînes de Tribune Media Group.
Le nouvel ensemble représentera plus de 200 chaînes et sera présent dans 39 des 50 marchés les plus importants aux États-Unis, Tribune Media disposant notamment de chaînes locales à New York, Los Angeles ou encore Chicago. Les deux groupes réunis afficheront un chiffre d’affaires annuel de 5 milliards de dollars et un résultat d’exploitation d’un milliard de dollars réalisé notamment grâce à la publicité locale, qui résiste mieux aux États-Unis que la publicité nationale à la télévision, menacée plus directement par la publicité en ligne. Sur ce créneau, l’ensemble Sinclair-Tribune Media sera en concurrence avec les câblo-opérateurs qui proposent aux annonceurs des publicités locales au sein des chaînes qu’ils distribuent. Ainsi, le leader Comcast, présent dans 41 États américains, réalise 20 % de son chiffre d’affaires grâce à la publicité, le reste relevant des abonnements aux bouquets de télévision et à l’internet.
La seconde opération a été annoncée le 1er août 2017 : Discovery Communications, contrôlé par Liberty Media, le groupe de John Malone, s’est mis d’accord avec Scripps Networks pour le racheter quelque 12 milliards de dollars, et 14,6 milliards de dollars dette incluse. L’opération réunit deux géants des chaînes payantes du câble américain, Discovery et ses chaînes Sciences, Nature et Découverte, Scripps et sa dizaine de chaînes consacrées à l’art de vivre, à la cuisine et aux voyages, un positionnement qui lui permet d’être très présent sur la cible féminine. Le nouvel ensemble représentera en tout 20 % de l’audience de la télévision payante par câble aux États-Unis, ce qui va favoriser pour Discovery la négociation avec les câblo-opérateurs pour la reprise de ses offres.
Avec ce rachat, Discovery compte leur proposer notamment des skinny bundles qui fédèrent le meilleur des chaînes des deux groupes, pour 20 euros par mois, afin de résister à la concurrence des plates-formes de streaming comme Netflix. L’ensemble vient donc concurrencer un peu plus le leader CBS : une fois la fusion aboutie, Discovery représentera un chiffre d’affaires de 22 milliards de dollars, réalisé dans le monde entier, juste derrière CBS et ses 27 milliards de dollars de chiffre d’affaires. Il s’agit d’une opération stratégique pour Discovery, Scripps Network étant convoité depuis longtemps par Viacom, le « câblo » voyant donc émerger un éditeur de chaînes plus puissant avec lequel il devra négocier des conditions de distribution probablement plus avantageuses.
Sources :
- « Le câble, as de la pub aux Etats-Unis », Elsa Bembaron, Le Figaro, 11 mai 2017.
- « Tribune Top Executive Payouts Disclosed as FCC Sets Sinclair Merger Comments Timetable », Cynthia Littleton, variety.com, July 7, 2017.
- « Mariage à grande échelle dans la télévision américaine », Elsa Conesa, Les Echos, 1er août 2017.
- « Un mariage à 15 milliards de dollars pour Discovery », Chloé Woitier, Le Figaro, 2 août 2017.