Le Luxembourg part à la conquête du New Space

Au Grand-Duché, pays du premier opérateur mondial de satellites SES et par ailleurs membre de l’Agence spatiale européenne (ESA), le gouvernement multiplie les initiatives afin de devenir un acteur majeur du nouvel âge spatial.

Des services d’observation de la Terre de haute précision, une couverture internet mondiale grâce à des constellations de microsatellites (voir La rem n°33, p.21), le tourisme orbital, la conquête de la planète Mars ou l’exploitation des ressources de l’espace : ces projets illustrent ce que l’on nomme aujourd’hui le New Space. L’expression désigne une industrie spatiale de services développée par des entrepreneurs privés, principalement américains, start-up ou géants de l’internet. Ces nouveaux entrants viennent bouleverser l’économie d’un secteur porté depuis sa création par les agences spatiales des États, historiquement la Russie, les États-Unis et l’Europe, dont les objectifs étaient tout à la fois scientifiques et géopolitiques.

Un nouveau marché de l’espace est en train d’émerger avec l’entrée de jeunes entrepreneurs, notamment des milliardaires issus de la Silicon Valley comme le patron d’Amazon, Jeff Bezos, fondateur de Blue Origin et Elon Musk à la tête de SpaceX (voir La rem n°41, p.30), promoteurs d’une économie de l’espace à bas coût et guidée par les services à proposer sur ce marché. C’est en effet la baisse importante des coûts de l’accès à l’espace, notamment avec les fusées réutilisables, qui nourrit cette ambition de développer des activités spatiales commerciales ; une baisse occasionnée par les progrès technologiques, mais qui doit beaucoup aussi à la politique de la Nasa, agence spatiale gouvernementale américaine, consistant notamment à soutenir le développement d’un secteur privé de l’espace.

Des contrats de plusieurs milliards de dollars soutiennent la croissance de ces nouvelles entreprises de l’espace, comme SpaceX ou Orbital ATX, auxquelles la Nasa confie les missions de ravitaillement de la Station spatiale internationale, et qui pourraient dans un proche avenir y convoyer des astronautes, une opération jusqu’ici dévolue à l’agence spatiale russe avec Soyouz. Comme l’explique Phil McAlister, responsable du développement des vols commerciaux de la Nasa, dans une interview accordée aux Echos en décembre 2017, « les États-Unis voient l’accès à l’espace comme stratégique. Nous voulons pouvoir nous appuyer sur une industrie domestique pour atteindre nos objectifs. […] Nous avons toujours voulu ouvrir l’espace à une forme de commercialisation, cela fait partie de la charte de la Nasa. […] La concurrence est bénéfique pour tout le monde ». Nouvel axe de développement pour l’industrie spatiale aux objectifs commerciaux, le New Space rassemble aujourd’hui plus d’un millier d’entreprises aux États-Unis, qui travaillent au lancement de nouveaux services de l’espace. « Dans le monde spatial, la figure de l’entrepreneur innovant et visionnaire se substitue graduellement à celles du scientifique et de l’ingénieur, qui avaient marqué le premier âge spatial », écrit Xavier Pasco dans son ouvrage intitulé Le nouvel âge spatial. De la guerre froide au New Space (CNRS Éd., 2017).

En juillet 2017, le Luxembourg a créé la surprise en devenant le premier pays européen et le second à l’échelle de la planète, après les États-Unis avec le Space Act promulgué en 2015, à se doter d’une législation autorisant l’exploitation et l’utilisation des ressources de l’espace. Afin d’assurer sa croissance économique principalement soutenue par ses activités dans la finance, le gouvernement luxembourgeois a pris seul l’initiative de miser sur les perspectives économiques du New Space. L’État luxembourgeois espère, par ce biais, attirer les entreprises privées qui cherchent à développer des activités d’exploration minière, ainsi que des start-up. Entrée en vigueur dès le 1er août 2017, cette loi autorise les sociétés établies au Luxembourg à extraire et à s’approprier des ressources spatiales, telles que des métaux, des hydrocarbures ou de l’eau, qu’elles peuvent, le cas échéant, ramener sur Terre. Le vice-premier ministre luxembourgeois, Étienne Schneider, également ministre de l’économie et ministre de la défense, a salué « un accord gagnant-gagnant » à l’adresse des entreprises à la recherche de capitaux.

Un an auparavant, en février 2016, le Luxembourg avait lancé un programme baptisé SpaceResources.lu, dont l’objectif est de « contribuer à l’exploration pacifique et à l’utilisation durable des ressources spatiales au profit de l’humanité ». Doté d’un budget de 200 millions d’euros, il vise à soutenir des entreprises spatiales ou des secteurs de pointe tels que la robotique et l’intelligence artificielle. Pour en assurer la promotion, une mission économique, avec à sa tête le vice-premier ministre, a été envoyée en Californie en avril 2017, mission au cours de laquelle a été annoncée la création d’une agence spatiale nationale qui agirait, selon un partenariat public-privé, avec des fonds de capital-risque afin d’encourager les investissements dans des entreprises spatiales. Puis, en novembre 2017, le Luxembourg a organisé la première conférence européenne consacrée au New Space, à laquelle ont assisté près de 150 acteurs, dont SpaceX et l’ESA.

L’opération est réussie puisqu’à ce jour, le Luxembourg compte sept start-up ayant ouvert un siège social sur son territoire : les américaines Spire Global, Planetary Resources et Deep Space Industries ; la japonaise Ispace, la britannique Kleos Space, la suédoise GomSpace et l’allemande Blue Horizon. Cette dernière détenue en partie par le fonds de capital risque du groupe allemand OHB SE – numéro 3 des entreprises européennes du secteur spatial – a pour projet de développer, dès 2020, une forme de vie sur La lune, en y cultivant des plantes grâce à l’oxygène extrait des roches lunaires.

Conseillé notamment par Jean-Jacques Dordain qui fut directeur général de l’ESA de 2003 à 2015, le vice-premier ministre luxembourgeois Étienne Schneider se félicite du succès de son programme qui a reçu une cinquantaine de candidatures de sociétés et de centres de recherche. L’État luxembourgeois a pris lui-même une participation, pour 25 millions d’euros, dans Planetary Resource. Fondée en 2010 par le milliardaire Peter Diamantis et l’ingénieur Eric Anderson, cette start-up américaine, dans laquelle ont investi notamment Richard Branson (Virgin Group) ainsi que Larry Page et Eric Schmidt (Alphabet), se consacre au développement de techniques d’exploitation minière des astéroïdes, riches en ressources rares telles que le platine. Le Luxembourg est même parvenu à rallier l’ESA à son initiative Spaceresources.lu, à la faveur de la signature d’une déclaration commune en juin 2017. Enfin, divers accords de coopération dans l’exploration et l’utilisation commerciale des ressources spatiales ont également été signés par le Luxembourg avec le Portugal, les Émirats arabes unis, le Japon, mais aussi, pour la création d’un centre de recherche installé au Grand-Duché, avec la Chine en janvier 2018.

Pour l’heure, le « Google Lunar X Prize », d’une valeur de 30 millions de dollars, ne sera finalement pas attribué, faute de vainqueur. En janvier 2018, Google a annoncé la fin du concours organisé pour envoyer un robot sur la Lune, le piloter à distance sur 500 mètres afin de retransmettre des vidéos et autres informations à la Terre. Sur les trente-six entreprises inscrites au 31 décembre 2010, cinq étaient encore en compétition – dont Moon Express, première et unique entreprise à ce jour, à détenir une autorisation d’exploitation commerciale sur la Lune – mais aucune n’y arrivera avant la date limite fixée au 31 mars 2018. Soutenu à l’origine par la Nasa, puis finalement parrainé par le géant de Mountain View, « Google Lunar X Prize » figure parmi les diverses compétitions internationales organisées par la fondation américaine X PRIZE consacrée à des projets technologiques de rupture œuvrant pour « le bienfait de l’humanité ». Des personnalités comme Elon Musk, James Cameron, Larry Page, Arianna Huffington et Ratan Tata, dirigeant du groupe indien du même nom, figurent à son conseil d’administration.

L’exploitation minière spatiale envisagée comme un marché lucratif inquiète cependant certains spécialistes qui y voient une incitation à poursuivre le gâchis des ressources terrestres en abandonnant tout progrès dans les activités de recyclage (voir infra), quand d’autres s’alarment du risque aggravé du « syndrome de Kessler », dû à l’augmentation des débris dans l’espace qui sera ainsi engendrée (voir La rem n°41, p.32). Mais avant même de s’insurger contre les abus et les gâchis industriels, cette nouvelle conquête de l’espace par des acteurs privés soulève une question de droit. En autorisant l’appropriation des richesses de l’espace par des sociétés privées, les États-Unis et le Luxembourg ont en effet agi de façon unilatérale.

Et pourtant, le Traité des Nations unies sur les principes régissant les activités des États en matière d’exploration et d’utilisation de l’espace extra-atmosphérique, entré en vigueur le 10 octobre 1967, dispose dans son article premier que « l’exploration et l’utilisation de l’espace extra-atmosphérique, y compris la Lune et les autres corps célestes, doivent se faire pour le bien et dans l’intérêt de tous les pays, quel que soit le stade de leur développement économique ou scientifique ; elles sont l’apanage de l’humanité tout entière » et dans son article 2 que « l’espace extra-atmosphérique, y compris la Lune et les autres corps célestes, ne peut faire l’objet d’appropriation nationale par proclamation de souveraineté, ni par voie d’utilisation ou d’occupation, ni par aucun autre moyen ».

Comme la haute mer et les fonds marins, l’espace restera-t-il un patrimoine commun ou sera-t-il le prochain far-west, alors que la Chine investit à son tour des milliards d’euros dans des programmes spatiaux ?

Sources :

  • Initiative Spaceresources.lu, news, spaceresources.public.lu
  • Traités et principes des Nations Unies relatifs à l’espace extra-atmosphérique, adoptés par l’Assemblée générale des Nations Unies, ST/SPACE/11, New York, unoosa.org, 2002.
  • « New Space », définition, Rémy Decourt, Futura Sciences, futura-sciences.com
  • « Les odyssées de l’espace », Marc Semo, Le Monde, 29 juin 2017.
  • « L’eldorado à portée de fusée », Florence Bauchard, Les Echos week-end, 13 juillet 2017.
  • « Luxembourg : une loi pour exploiter les ressources spatiales », Catherine Kurzawa, AFP, tv5monde.com, 13 juillet 2017.
  • « Le Luxembourg rêve de New Space », Anne Bauer, Les Echos, 20 novembre 2017.
  • « Le capitalisme extraterrestre », Rapport d’étonnement, Frédéric Joignot, Le Monde, 16 décembre 2017.
  • « La Nasa a toujours voulu ouvrir l’espace à une forme de commercialisation », interview de Phil McAlister, propos recueillis par Elsa Conesa, Les Echos, 27 décembre 2017.
Ingénieur d’études à l’Université Paris 2 - IREC (Institut de recherche et d’études sur la communication)

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