Reprise du signal : SFR se met d’accord avec TF1 et M6

En repensant la nature des accords entre chaînes en clair et opérateurs, SFR et TF1 ont inauguré un mouvement qui aligne la France sur les pratiques européennes. En même temps, ces accords renforcent tout à la fois les chaînes et les opérateurs face à la menace des services over the top.

Après la mise à exécution, le 29 juillet 2017, de la menace de TF1 de couper son replay pour les fournisseurs d’accès à internet (FAI) en l’absence d’accord de rémunération pour la reprise de ses chaînes (voir La rem n°44, p.35), le groupe Altice, qui contrôle SFR, s’est finalement mis d’accord avec le Groupe TF1 comme avec M6. Alors que les fournisseurs d’accès internet proposent un bouquet élargi de chaînes, qui pénalise les audiences des chaînes historiques, tout en développant pour certains leurs propres chaînes, la reprise sans contrepartie des chaînes en clair était de plus en plus mal vécue par les leaders historiques. Le Groupe TF1 représente ainsi 25 % de l’audience en clair et considère que la puissance de ses chaînes est indispensable à n’importe quel bouquet, ce qui mérite rémunération. En effet, les box des FAI perdraient de leur intérêt sans les chaînes des leaders de la télévision en clair. Cependant, les chaînes en clair, elles aussi, peuvent difficilement se passer de ces nouveaux modes de distribution si elles comptent tout à la fois défendre leurs parts d’audience sur la diffusion linéaire et développer leurs offres numériques, notamment leurs services de télévision de rattrapage.

Parce que les chaînes en clair comme les opérateurs avaient tout à perdre d’une absence d’accord, c’est une solution bénéfique aux deux parties qui a finalement été trouvée. Le 6 novembre 2017, le Groupe TF1 et Altice annonçaient s’être entendus, le nouvel accord réinventant la relation éditeur-distributeur en France. Cet accord s’aligne sur les pratiques constatées ailleurs en Europe où les opérateurs rémunèrent les chaînes en clair, mais avec des contreparties. TF1 va ainsi proposer une offre enrichie de contenus et de services adaptée aux possibilités offertes par les box TV : le cast, à savoir la possibilité de basculer des programmes du poste de télévision vers un mobile ou une tablette, ou encore le start-over, qui permet de reprendre dès le début un programme en cours de diffusion. Enfin, le service de replay, qui fédère les programmes des chaînes du groupe, est enrichi avec l’allongement, quand la chaîne dispose des droits, de la durée de mise à disposition des programmes qui pourra aller jusqu’à 15 ou 27 jours après la diffusion d’un programme sur la chaîne.

Certaines saisons de séries seront par ailleurs mises à disposition en intégralité sur le service de replay. Enfin, TF1 s’est engagé à lancer en 2018 une chaîne « bonus » en ligne qui regroupera le meilleur des contenus du groupe. L’accord porte sur la totalité des chaînes du groupe, à savoir les cinq chaînes en clair (TF1, TMC, NT1, HD1 et LCI), mais également sur les chaînes thématiques TV Breizh et Ushuaia TV. En contrepartie, SFR va pouvoir proposer un service enrichi à ses abonnés, l’opérateur disposant par ailleurs d’une exclusivité de distribution de six mois pour la chaîne « bonus » que va lancer le groupe TF1. Enfin, SFR va facturer la distribution de ses chaînes au Groupe TF1, la mise à disposition gratuite des chaînes, précisant les raisons pour lesquelles cette distribution des chaînes n’était pas facturée jusqu’alors. Le nouvel accord s’aligne également sur les pratiques américaines : il est assorti d’un accord publicitaire où SFR, grâce à la connaissance de ses clients et à ses régies spécialisées dans la publicité numérique vidéo et dans la publicité adressée (Teads, Audience Partners), va contribuer à mieux valoriser les écrans sur les services non linéaires proposés par TF1. Autant dire que les deux partenaires se partageront les recettes publicitaires ainsi générées, ce qui répond aux ambitions d’Altice de développer ses activités de régie publicitaire (voir La rem n°42-43, p. 55).

Un accord du même type a été conclu entre Altice et M6 le 3 janvier 2018, l’ancien contrat de distribution des chaînes du Groupe M6 par SFR prenant fin le 31 décembre 2017. Là encore, M6 accepte de prendre en charge les coûts de distribution quand SFR accepte de rémunérer M6 pour la reprise de ses chaînes en clair (M6, W9, 6Ter) et de ses chaînes thématiques (Paris Première, Teva, M6 Boutique, M6 Music, Girondin TV, Best Of Shopping). En contrepartie de la rémunération obtenue, le Groupe M6 va enrichir son service de replay en proposant également le start-over et le cast, ainsi que des bonus. Le Groupe M6 s’est également entendu avec Orange, l’information ayant été annoncée par le site ElectronLibre le 15 janvier 2018, et avec Canal+, le 16 janvier 2018, pour la reprise de ses chaînes et de ses services, puis avec Bouygues Telecom, le 18 janvier 2018. Orange accepte de rémunérer les services « premium » et non la reprise des chaînes en tant que telle, tandis que l’accord avec Canal+ est intégré dans un partenariat global entre M6 et le Groupe Vivendi. Les contenus de M6 vont être mis à disposition dans les bouquets des abonnés à Canal+, mais également sur Dailymotion qui les valorisera en ligne.

Pour le Groupe TF1, l’accord avec SFR n’aura pas été le premier d’une longue série comme pour M6. L’arrivée à échéance de son contrat avec Orange le 31 janvier 2018 a conduit le Groupe TF1 à suspendre son service de replay MyTF1 sur les box d’Orange, tout en assignat Orange en justice afin qu’il cesse de distribuer sur sa box les chaînes du groupe. Après le bras de fer entre SFR et le Groupe TF1, celui engagé avec Orange sera déterminant, parce qu’il engagera le premier groupe privé de télévision et le premier opérateur français.

Ces accords sont dans leur ensemble vertueux pour le marché audiovisuel français et pour les opérateurs français. En effet, ils permettent aux opérateurs de conserver leur place centrale dans la distribution des programmes de télévision grâce à leurs box TV, un avantage qui retarde d’autant plus le développement de la consommation de vidéos grâce à des services over the top, directement accessibles en ligne. Autant dire que les opérateurs conservent la possibilité de continuer à prescrire la consommation de programmes de télévision, en partenariat avec les groupes historiques de télévision. Ces partenariats devraient au moins forcer les acteurs de la sVoD à trouver des accords de reprise de leur service par les opérateurs français, plutôt que de les court-circuiter comme le fait Netflix aux États-Unis, où la pratique du cord cutting se répand inexorablement.

Sources :

  • « SFR et TF1 trouvent enfin un accord », Nicolas Madelaine, leschos.fr, 6 novembre 2017.
  • « TF1 et SFR trouvent un accord de distribution après un long bras de fer », Caroline Sallé, Le Figaro, 7 novembre 2017.
  • « M6 et Altice-SFR trouvent un accord de distribution après un long bras de fer », Caroline Sallé, Le Figaro, 4 janvier 2018.
  • « M6 en paix avec SFR, en guerre avec les autres », Nicolas Madelaine, Les Echos, 4 janvier 2018.
  • « M6 signe avec les principaux opérateurs télécoms pour ses chaînes », Marina Alcaraz et Fabienne Schmitt, Les Echos, 18 janvier 2018.
  • « Le coup de poker de TF1 face à Orange », Elsa Bembaron, Caroline Sallé, Le Figaro, 2 février 2018.
  • « TF1 prêt à assigner Orange en justice », Marina Alcaraz, Les Echos, 2 février 2018.
Professeur à Aix-Marseille Université, Institut méditerranéen des sciences de l’information et de la communication (IMSIC, Aix-Marseille Univ., Université de Toulon), École de journalisme et de communication d’Aix-Marseille (EJCAM)

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