Conséquences d’une hausse de la consommation des biens électroniques, le gaspillage et la surexploitation de l’écorce terrestre constituent deux fléaux qui menacent la planète, tant sur le plan environnemental que sur le plan géopolitique.
Le recyclage, « une impérieuse nécessité »
En augmentation de 8 % par rapport à 2014, ce sont 44,7 millions de tonnes de déchets électroniques en tout genre, du réfrigérateur au smartphone, qui ont été produits dans le monde en 2016 – l’équivalent de 4 500 tours Eiffel – avertit le rapport intitulé « The Global E-waste Monitor 2017. Quantities, Flows, and Resources », publié en décembre 2017 par l’Université des Nations unies (UNU), l’Union internationale des télécommunications (UIT) et l’Association internationale des déchets solides (International Solid Waste Association, ISWA). Cette pollution engendrée par les produits électroniques en fin de vie connaîtra la croissance la plus forte de l’ensemble des ordures ménagères de la planète, atteignant 52,2 millions de tonnes en 2021, selon un taux de croissance annuel de l’ordre de 3 à 4 %.
Les organisations UNU, ITU et ISWA pointent dans leur rapport l’important défi que représente le recyclage nécessaire des flux grandissants de déchets électroniques. Les effets positifs de l’augmentation du niveau de vie liés à l’économie numérique, particulièrement dans les pays en développement, notamment dans les domaines de la santé, de l’éducation et du commerce, se conjuguent avec des effets dévastateurs pour la santé et l’environnement, par manque de politiques efficaces, ne serait-ce que pour répertorier et ensuite recycler de manière appropriée les grandes quantités d’équipements électroniques en fin de vie – téléphones, ordinateurs portables, réfrigérateurs, capteurs et téléviseurs –, tous conçus avec des substances à risque pour les hommes comme pour la planète. La plupart des déchets électroniques ne sont pas correctement signalés et ne sont pas traités par des chaînes et des méthodes de recyclage appropriées.
La quantité globale de déchets électroniques engendrés en 2016 se compose de petits matériels tels que les appareils électroménagers, les postes de radio, les caméras vidéo ou encore les jouets (16,8 millions de tonnes), et de grands équipements tels que les machines à laver, les photocopieurs ou les panneaux photovoltaïques (9,1), les appareils producteurs de chaleur ou de refroidissement (7,6) et les écrans (6,6). Les lampes et les équipements informatiques de petite taille en représentent la plus faible part, respectivement 0,7 et 3,9 millions de tonnes. Si la production de déchets électroniques est, en moyenne, à l’échelle de la planète, de 6,1 kilos par tête, l’écart est important entre les pays développés et les pays en développement. En 2016, le pays le plus riche du monde a ainsi produit en moyenne 19,4 kg de déchets électroniques par habitant contre 0,6 kg pour les pays les plus pauvres.
En 2016, l’Asie est la zone géographique qui a produit la plus importante quantité de déchets électroniques (18,2 millions de tonnes) mais ce continent se situe en dessous de la moyenne mondiale, s’agissant du ratio par habitant, avec 4,2 kg par tête, le taux de collecte étant de 15 %. À l’inverse, l’Océanie, avec la plus faible quantité de déchets électroniques au monde, 0,7 million de tonnes, enregistre le plus fort ratio par tête, soit 17,3 kg, et un faible taux de collecte de 6 %. C’est le continent africain qui présente le plus faible ratio par habitant, 1,9 kg, produisant un total de 2,2 millions de tonnes dont cependant moins de 1 % aurait été collecté, selon les données disponibles.
Avec un ratio comparable à l’Océanie (16,6 kg par tête), le continent européen (Russie incluse) enregistre le taux de collecte le plus élevé, avec 35 %, pour une production totale de déchets électroniques de 12,3 millions de tonnes. Une « performance » supérieure à celle du continent américain, qui a généré 11,3 millions de tonnes de déchets électroniques en 2016 (7 millions de tonnes pour l’Amérique du Nord, 3 millions de tonnes pour l’Amérique du Sud et 1,2 million de tonnes pour l’Amérique centrale), soit une moyenne de 11,6 kg par habitant, mais qui en a recyclés seulement 17 %.
Alors que le gaspillage atteint un niveau record à l’échelle de la planète, 20 % seulement des déchets produits en 2016 ont été correctement collectés et recyclés. Les 80 % restants ont été incinérés, stockés dans des décharges à ciel ouvert ou enfouis dans le sol sans aucune récupération des matières premières qui les composent, comme l’or, l’argent, le cuivre ou le platine, malgré une valeur estimée à 55 milliards d’euros en 2016, montant supérieur au produit intérieur brut (PIB) d’une majorité de pays, comme le soulignent les auteurs du rapport. Selon les estimations de l’UNU, la valeur intrinsèque des métaux précieux et des plastiques contenus dans un téléphone mobile d’un poids moyen de 90 grammes est de 2 euros par pièce, montant d’ailleurs particulièrement faible au regard du prix de vente, neuf ou d’occasion, de ce type d’appareil. Ainsi, la mise au rebut d’environ 435 000 tonnes de téléphones portables à travers le monde sur l’année 2016 correspond à une perte de matières premières d’une valeur de 9,4 milliards d’euros.
Seuls 41 pays établissent des statistiques officielles sur les déchets électroniques. En conséquence, le sort des trois quarts des déchets électroniques (34,1 millions de tonnes) est tout simplement inconnu. En l’absence d’une législation nationale, les déchets électroniques sont probablement déversés, échangés ou traités de façon inappropriée, au risque que les produits polluants ne soient pas pris en charge et qu’en outre les travailleurs ne soient pas protégés.
Le rapport note toutefois un progrès : 67 pays, l’équivalent de 66 % de la population mondiale, disposaient d’une législation nationale en matière de collecte et de traitement des déchets électroniques en janvier 2017, contre seulement 61 pays en 2014, soit 44 % de la population mondiale. Cette amélioration est due essentiellement à l’adoption par l’Inde d’une nouvelle réglementation en 2016. Néanmoins, l’établissement d’une législation nationale ne suffit pas toujours à la mise en œuvre de bonnes pratiques, nuancent les auteurs du rapport, pour qui davantage d’efforts doivent être faits pour encourager un plus grand nombre de pays à élaborer et à appliquer des politiques sur les déchets électroniques.
Il faut aller plus loin. Au-delà des actions de collecte et de recyclage, des mesures concrètes doivent être prises en faveur de la réutilisation et de la remise à neuf des appareils électriques et électroniques en fin de vie. Sachant que la plupart des impacts environnementaux sont prédéterminés dès la phase de conception des produits, la législation sur les déchets électroniques devrait s’appliquer au stade de leur production. Produire des équipements faciles à réparer, et donc plus durables, constitue la clé pour encourager le recyclage, selon les auteurs du rapport. Une conception « responsable » des équipements électriques et électroniques pourrait permettre le démontage et la réutilisation des composants, ou la récupération de matériaux précieux, alors qu’il est encore plus coûteux aujourd’hui de réparer un téléphone portable ou un ordinateur que d’en acheter un neuf.
À l’appui de mesures politiques, il faut « boucler la boucle » avec le développement de modèles d’économie circulaire, selon lesquels les déchets électroniques sont traités comme des ressources. Les modèles d’économie circulaire permettraient d’augmenter la valeur des équipements électriques et électroniques hors d’usage, tout en réduisant l’impact environnemental lié à l’extraction des ressources ainsi qu’aux déchets. Créer un circuit de production et de consommation vertueux limite de fait l’exploitation de matières premières, l’élimination des déchets et la consommation d’énergie, tout en créant de nouveaux emplois et de nouvelles opportunités économiques.
Chercheur à l’Institut des sciences de la Terre, Olivier Vidal conduit ses travaux sur la modélisation du recyclage des matières premières minérales. Dans un article publié par Les Echos en décembre 2017, il avertit de « l’impérieuse nécessité » de recycler les matériels obsolètes. Son constat est sans appel : avec l’augmentation du niveau de vie dans les pays émergents et 9 milliards d’habitants sur la planète à l’horizon 2050, « la quantité de métaux à produire d’ici à 2050 pourrait être supérieure à la quantité totale produite jusqu’à aujourd’hui, avec des flux qui pourraient atteindre dix fois les valeurs actuelles ». Mettant en avant qu’une tonne de téléphones portables contient 10 à 30 fois plus d’or qu’une tonne de roche de gisement d’or exploité, cet expert en minéralogie s’interroge sur la pérennité du niveau croissant d’exploitation des ressources en matières premières minérales, particulièrement des métaux rares indispensables aux technologies numériques que sont l’antimoine, le béryllium, le cobalt, le gallium, le lithium, le germanium et le molybdène. Avec pour ambition de faire évoluer l’économie du recyclage selon un mode industriel – alors qu’effectué manuellement il est encore trop peu rentable pour les appareils électroniques miniaturisés –, il a élaboré un modèle économique prédictif afin de faire du recyclage une activité rentable. À l’image des industries minières, il va falloir désormais apprendre à exploiter efficacement, notamment par la maîtrise de l’énergie requise, cet important gisement, de nature nouvelle, que constitue l’incommensurable masse des équipements numériques obsolètes.
« Le cri d’alarme est géopolitique »
C’est en ces termes que l’ancien ministre des affaires étrangères, Hubert Védrine, résume, dans la préface de l’essai intitulé La guerre des métaux rare. La face cachée de la transition énergétique et numérique (Éd. Les Liens qui libèrent), les conclusions de l’enquête journalistique menée dans une douzaine de pays durant six ans par Guillaume Pitron, lauréat 2017 du prix Erik-Izraelewicz. Son sujet d’investigation est « The Next Oil », expression consacrée par les décideurs de la planète pour désigner les métaux rares, dont font partie les terres rares, qui constituent les matières premières indispensables à la troisième révolution énergétique et industrielle, comme le fut au cours du XIXe siècle le charbon, puis le pétrole le siècle suivant.
L’auteur y dénonce le « paradoxe des énergies vertes ». En substituant les énergies fossiles, émettrices de gaz carbonique, à l’exploitation des métaux rares, les pays industrialisés participent à un autre désastre écologique, tout aussi préoccupant que le précédent. Avec le seul exemple du lutécium, l’étendue des dommages irréversibles est démontrée : il faut purifier 1 200 tonnes de roche pour obtenir un seul kilogramme de ce précieux métal. Avec le doublement prévisible environ tous les quinze ans de la production de métaux rares et l’extraction au cours des trente prochaines années d’une quantité de minerais supérieure à celle que les hommes ont prélevée en 70 000 ans, la pénurie, doublée d’une explosion des prix, est au bout de cette transition énergétique et numérique vers laquelle volent sans penser au long terme les économies modernes.
« Les métaux rares sont en train de changer le monde à leur tour. Non contents de polluer l’environnement, ils mettent les équilibres économiques et la sécurité de la planète en péril. Ils ont déjà conforté le nouveau magistère de la Chine sur le XXIe siècle et accéléré l’affaiblissement de l’Occident au tournant du millénaire », prévient Guillaume Pitron. Le développement de secteurs entiers du nouveau monde, construit sur l’intelligence artificielle, la robotique, les objets connectés, les nanotechnologies et la cybersécurité, est dépendant des métaux rares. Or, explique Guillaume Pitron, la Chine contrôle à elle seule 95 % de la production de terres rares, ainsi qu’une part très importante d’une grande variété de métaux rares, et cela, au mépris des principes environnementaux et sanitaires les plus élémentaires. Dans la région de Baotou, riche en terres rares, les habitants de villages « se meurent à petit feu ».
Le commerce des métaux rares redessine les zones d’influence sur la carte du monde, chaque pays producteur pouvant influer sur les cours ou jouer sur la pénurie : la République démocratique du Congo avec le cobalt, l’Afrique du Sud avec le platine, l’iridium et le ruthénium, le Brésil avec le niobium, les États-Unis avec le béryllium, la Russie avec le palladium et la Turquie avec le borate. « En engageant l’humanité entière dans la quête de métaux rares, la transition énergétique et numérique va assurément aggraver les dissensions et les discordes. Loin de mettre un terme à la géopolitique de l’énergie, elle va au contraire l’exacerber », nous alerte Guillaume Pitron, qui est régulièrement entendu par le Parlement français et la Commission européenne au sujet des métaux rares.
Sources :
- The Global E-waste Monitor 2017. Quantities, Flows, and Resources, C.P. Baldé, V. Forti, V. Gray, R. Kuehr, P. Stegmann, United Nations University (UNU), International Telecommunication Union (ITU) & International Solid Waste Association (ISWA),
Bonn/Geneva/Vienna, December 2017. - « Nos téléphones portables contiennent davantage d’or que le minerai », interview d’Olivier Vidal, chercheur à l’Institut des sciences de la Terre, propos recueillis par Paul Molga, Les Echos, 12 décembre 2017.
- « La grande bataille des métaux rares », Bonnes feuilles de l’ouvrage La guerre des métaux rares, Guillaume Pitron, Les Liens qui libèrent, 2018 in Le Monde, 12 janvier 2018.