Au Royaume-Uni comme aux États-Unis, les géants de la presse magazine limitent leurs tirages papier en réponse à la baisse des recettes publicitaires. La propension à payer du lecteur devient ainsi le critère principal de la survie des titres.
Partout dans les pays développés, la diffusion de la presse magazine grand public recule, au moins dans sa version imprimée. Les news magazines sont toutefois une exception, certains titres ayant bénéficié en 2016 de l’intérêt renouvelé pour la politique, notamment dans le monde anglo-saxon, avec le Brexit et l’élection présidentielle américaine. Pour les titres à centre d’intérêt, les chiffres sont en revanche souvent négatifs : ce fut le cas notamment au Royaume-Uni où, en 2016, les titres people et de presse féminine ont perdu massivement des lecteurs. Et les ventes numériques ne viennent pas compenser les pertes sur le papier : Glamour UK a ainsi vu sa diffusion payée, papier et internet, reculer de 25,6 % au second semestre 2016, victime de la guerre des prix lancée par son concurrent Cosmopolitan. La publicité ne propose pas d’alternative sérieuse à la baisse des recettes de ventes. Les tarifs des espaces sont en repli, que ce soit dans l’imprimé ou en ligne, la baisse des audiences papier et le contexte du marché en ligne jouant en défaveur des titres.
En effet, sur l’internet, l’offre d’espaces excède de loin la demande tandis que la publicité programmatique permet de faire du ciblage sans passer nécessairement par des titres dont la ligne éditoriale correspond au positionnement de l’annonceur. Ainsi le cabinet PWC estime qu’entre 2015 et 2020, les revenus issus de la vente des titres de la presse magazine devraient légèrement reculer dans le monde, au moins de 0,5 % par an, et passer de 68,4 à 66,6 milliards de dollars, quand ceux de la publicité s’effondreront, passant de plus de 75 milliards de dollars en 2011 à moins de 60 milliards de dollars en 2020. Par ailleurs, le papier restera dominant dans le chiffre d’affaires des éditeurs puisque la part du numérique dans les revenus des éditeurs de magazines doit passer de 16 % à 30 % du total entre 2015 et 2020.
Les éditeurs de la presse magazine spécialisée se retrouvent donc, en Europe comme aux États-Unis, contraints de sécuriser leurs marges sur le papier, alors même que les revenus publicitaires sont en berne. Ils se savent aussi contraints d’explorer en ligne de nouvelles stratégies de valorisation de leur audience. Ce double mouvement s’est illustré en 2017, tant aux États-Unis qu’au Royaume-Uni, deux pays où l’absence de soutien à la presse engendre plus rapidement qu’ailleurs des réactions de la part des éditeurs.
Condé Nast, l’éditeur de Glamour au Royaume-Uni, a ainsi décidé de stopper l’hémorragie financière en limitant les parutions papier de son magazine à deux éditions par an à partir de 2018. Il s’agira de versions enrichies du magazine Glamour, toutes deux programmées durant les périodes de défilés, au printemps et à l’automne, au moment où les annonceurs traditionnels du magazine sont les plus demandeurs d’espaces publicitaires. La suppression de la parution mensuelle va ainsi générer des économies, autant sur les coûts d’impression et de distribution que sur les coûts rédactionnels.
En effet, en basculant en ligne pour le suivi de l’actualité quotidienne, Glamour n’aura plus de volume d’information imposé, comme c’est le cas avec une publication papier, ce qui permettra à la rédaction d’ajuster sa production à l’intensité ou non de l’actualité de la mode, caractérisée par sa saisonnalité. L’offre d’information se fera donc avec moins de journalistes, même si le nombre de postes supprimés n’a pas été confirmé. Déjà coutumière du fait, la presse magazine, en devenant « web first », risque d’accentuer encore plus le recours à des pigistes.
Si la direction de la version britannique de Glamour envisage de s’adapter à un nouveau lectorat plus connecté et moins friand de papier, il reste que cette adaptation traduit une inflexion rédactionnelle. En effet, même si le titre s’engage encore à produire une information digne de ce nom, le passage au « web first » se traduira par l’intégration des équipes rédactionnelles et des équipes commerciales, afin notamment de développer le brand content. Il s’agit donc de développer des activités qui exploiteront la marque « Glamour » en dehors du champ journalistique stricto sensu. Mais nécessité fait loi, et l’abandon du papier, en deçà d’un seuil critique de lecteurs, semble de plus en plus s’imposer dans la presse magazine britannique, le magazine de mode InStyle, propriété du groupe Time Inc., ayant déjà abandonné sa version papier au Royaume-Uni en octobre 2016 après avoir vu sa diffusion baisser de 18 % tout au long des six premiers mois de l’année.
La même tendance se retrouve sur le marché américain où Condé Nast a annoncé l’arrêt de la publication de Teen Vogue, pour la basculer définitivement en ligne, ainsi que la suppression d’un numéro par an de magazines aux marques pourtant puissantes, comme GQ, Allure ou Glamour. Cette réduction des éditions imprimées se traduit, comme sur le marché britannique, par une réduction de la masse salariale, Condé Nast ayant annoncé la suppression de 80 postes sur 3 000 salariés aux États-Unis. En France, la même démarche a commencé, mais plus tranquillement, la distribution du papier restant bon marché et efficace malgré le recul du nombre de kiosques : l’édition française de Vanity Fair doit passer de douze à onze numéros par an, et GQ à 10 numéros par an.
Pour le groupe Time Inc., le précédent britannique d’InStyle s’est reproduit en 2017, mais cette fois-ci aux États-Unis. Le groupe a annoncé une vague massive de réduction de ses tirages aux États-Unis dès janvier 2018, parfois en conservant la périodicité des titres, mais pour des tirages moins élevés, souvent en supprimant certaines éditions. Annoncée le 10 octobre 2017, cette décision répond au recul du chiffre d’affaires publicitaire des magazines de Time Inc. et vient compléter un plan d’économies engagé au printemps 2017 portant sur la suppression de 300 postes.
Le magazine le plus prestigieux du groupe, le Time, est concerné par la seule réduction des tirages qui passent de trois à deux millions d’exemplaires par édition hebdomadaire. Il s’agit de limiter les exemplaires imprimés qui relèvent de la vente par tiers ou encore ceux distribués gratuitement. En effet, si la publicité recule fortement, la mise à disposition gratuite du magazine papier afin de gonfler les audiences n’a plus d’intérêt économique majeur, ce qui conduit les éditeurs à se concentrer sur l’impression des seuls magazines effectivement payés par leurs lecteurs. Un autre magazine prestigieux, Sports Illustrated, est également touché puisqu’il passe de 38 à 27 éditions par an, ce qui le transforme en magazine bimensuel. Il s’agit ici d’augmenter la qualité de chaque publication et de raréfier tout à la fois l’offre d’espaces en direction des annonceurs.
La même logique s’applique à Fortune, qui devient mensuel en passant de 16 à 12 éditions par an ; à Money, qui passe de 11 à 10 éditions ; à Essence qui passe de 12 à 10 éditions ; à Sunset, qui passe de 12 à 11 éditions. Même Entertainment Weekly, le magazine culturel grand public à l’origine des Emmy Awards, est concerné puisqu’il passe de 38 à 34 éditions par an. Enfin, People en Español subit la double peine avec une diminution du nombre d’exemplaires imprimés, qui passe de 540 000 à 500 000 par numéro, et une diminution du nombre d’éditions, qui passe de 11 à 9 éditions par an. Ces diminutions génèrent d’abord des économies sur le papier et sur la distribution, tout en adaptant l’offre aux besoins des annonceurs. Elles ne se traduisent pas nécessairement par une baisse drastique de l’offre éditoriale : ainsi, Sports Illustrated, en devenant bimensuel, va augmenter de 20 % la partie rédactionnelle dans chaque numéro sans pour autant augmenter le nombre de pages de publicité. Il s’agit avant tout de retrouver un équilibre commercial dans un environnement où moins de magazines seront disponibles, mais probablement avec une offre éditoriale enrichie, seule à même de fidéliser les lecteurs, et donc aussi les annonceurs.
La nécessité de réduire le coût de ses éditions imprimées, tout en devant à terme compter sur le développement des recettes en ligne, aura sans doute conduit Time Inc. à accepter de perdre son indépendance. Séparé de Time Warner depuis 2014 parce que la presse était déjà jugée trop peu rentable, Time Inc. a finalement accepté, le 26 novembre 2017, de se faire racheter par Meredith Corp. Moyennant 1,85 milliard de dollars et une prime de 46 % sur le dernier cours en Bourse, le groupe de presse magazine et de télévision locale de Des Moines s’empare de l’un des fleurons de la presse magazine américaine, le montant total de l’opération étant de 2,4 milliards de dollars avec la reprise de dette.
Pour Meredith comme pour Time Inc. l’opération permet d’atteindre une taille critique, notamment sur internet, où il s’agit de lutter contre les inventaires démesurés proposés par les régies de Google ou de Facebook. Aux États-Unis, le groupe affichera en effet 170 millions de visiteurs uniques par mois et une diffusion payée de 60 millions d’exemplaires. Mais Meredith Corp. est connu d’abord pour son marketing efficace grâce à ses télévisions locales et ses titres spécialisés en gastronomie et style de vie, et moins, assurément, pour le prestige de ses rédactions et de ses marques. En intégrant Time Inc., le groupe change donc d’échelle et de positionnement, avec pour véritable enjeu l’évolution des titres issus de Time Inc., dont Meredith a indiqué qu’il comptait préserver l’indépendance éditoriale.
D’autres opérations de rachat dans la presse américaine ne sont pas à exclure, la Federal Communications Commission (FCC) ayant entrepris d’alléger les dispositifs anti-concentration dans les médias, arguant du fait que les Américains s’informent de plus en plus sur internet. Ainsi, le 15 novembre 2017, la FCC a simultanément mis fin à l’interdiction de posséder un journal local en plus d’une radio et d’une télévision locales, tout en autorisant également les groupes de télévision locale à détenir deux des quatre principales chaînes sur un marché, contre une seule chaîne précédemment.
Sources :
- « InStyle UK magazine to shut print edition », Jasper Jackson, www.theguardian.com, October 19, 2016.
- Global Entertainment & Media Outlook 2016 2020, PWC, 2016.
- « News magazines enjoy circulation boost while celebrity titles suffer », Graham Ruddick, theguardian.com, August 10, 2017.
- « Glamour magazine goes « digital first » and cuts back print editions », bbc.com, October 6, 2017.
- « Time magazine publisher cutting circulation, print issues for its iconic brands, report says », Kevin McCoy, USA Today, October 10, 2017.
- « Time Inc (Time) to publish fewer issues of Fortune, Sports Illustrated », William White, investorplace.com, October 11, 2017.
- « Les magazines anglo-saxons réduisent la voilure », Chloé Woitier, Le Figaro, 13 octobre 2017.
- « Condé Nast réduit la périodicité de ses titres », Jean-Philippe Louis et Nicolas Madelaine, Les Echos, 6 novembre 2017.
- « F.C.C. opens door to more consolidation in TV business », Cecilia Kang, nyt.com, November 16, 2017.
- « Meredith is buying Time Inc. for $ 1,8 Billion », Reuters, fortune.com, November 27, 2017.
- « Meredith Corp met la main sur Time Inc. », Pierre-Yves Dugua, Le Figaro, 28 novembre 2017.
- « Time, Fortune et People changent de mains », Elsa Conesa, Les Echos, 28 novembre 2017.