L’Italie, un exemple prémonitoire
Les télécoms, le Qatar, les Espagnols : le foot français échappe à ses médias
Royaume-Uni et Espagne : le foot pour les télécoms
Italie, France, Royaume-Uni, Espagne : les droits de retransmission des matchs des ligues nationales tiennent les acteurs en haleine, avec à chaque fois la perspective d’un grand perdant qui serait de facto menacé de mort, ou au moins contraint de revoir complètement son modèle d’affaires, à l’instar du Groupe Canal+ en France. Le phénomène est nouveau, ce que résume parfaitement Didier Quillot, directeur général exécutif de la Ligue de football professionnel (LFP) en France : « Le foot est devenu une industrie mondiale du spectacle. »
« LE FOOT EST DEVENU UNE INDUSTRIE MONDIALE DU SPECTACLE »
DIDIER QUILLOT (LFP)
Il se vend donc au plus offrant, les surenchères des uns menaçant à chaque appel d’offres de bouleverser les équilibres fragiles de l’écosystème des médias où chaque chaîne, chaque service, a besoin de temps pour construire son identité et fidéliser un public. Parmi les adeptes des surenchères, les télécoms peuvent être en première ligne, mais également des investisseurs étrangers, prêts à payer très cher leur entrée sur un marché national, ou encore des fonds d’investissement qui profitent des plus-values promises à la revente pour ces droits de diffusion prestigieux.
L’Italie, un exemple prémonitoire
Avec la libéralisation introduite par l’arrêt Bosman en 1995, qui supprime pour les ressortissants européens les quotas de joueurs étrangers jusqu’alors en vigueur dans les clubs, la course aux stars surpayées va conduire à une inflation des budgets des clubs. Celle-ci va s’accompagner d’une « spectacularisation » des matchs de foot en contrepartie de l’augmentation des droits télévisés pour financer les nouveaux besoins des clubs. Symbole du sport spectacle, le Milan AC de Silvio Berlusconi s’imposera comme une équipe de référence au tournant des années 2000 et profitera des surenchères sur les droits sportifs entre Telepiù (Canal +) et Sky avant que les deux ne fusionnent en 2003 au profit de Sky.
Depuis, Mediaset, le groupe contrôlé par la famille de Silvio Berlusconi, a tenté en vain de détrôner Sky Italia sur le marché de la télévision payante avec le lancement de Mediaset Premium en 2005. Or, cette initiative aura fragilisé le premier groupe audiovisuel italien : en misant 700 millions d’euros pour avoir le droit de diffuser la Champions League pour les saisons 2015-2018, Mediaset Premium a perdu son pari. Les abonnés n’ont pas été suffisamment nombreux au rendez-vous, obligeant Mediaset à trouver un allié, le groupe Vivendi, avec lequel les choses se sont très vite envenimées (voir La rem n°41, p.65). Désormais, Mediaset est sous la menace de Vivendi qui a dénoncé en juillet 2016 l’accord conclu avec le groupe italien, juste avant de s’emparer de 30 % de son capital en décembre 2016, à la suite d’un raid boursier non sollicité. L’attaque de Vivendi, en menaçant le contrôle de Silvio Berlusconi sur Mediaset, l’a ainsi conduit à céder son club de cœur, le Milan AC, à des investisseurs chinois. Finalisée en 2017, l’opération se révélera bancale, le partenaire chinois n’ayant pas les moyens de faire face aux échéances de sa dette, contractée auprès du fonds américain Eliott, qui a ainsi récupéré les clés du Milan AC en juillet 2018.
LES SURENCHÈRES MENACENT, À CHAQUE APPEL D’OFFRES, DE BOULEVERSER LES ÉQUILIBRES FRAGILES DE L’ÉCOSYSTÈME DES MÉDIAS
Mediaset étant mal en point, les droits du football en Italie exacerbent aujourd’hui les tensions entre acteurs de l’écosystème italien des médias et des télécoms. Infront, la société de gestion de droits qui commercialise les droits de la Série A italienne, avait ainsi imaginé en 2017 un appel d’offres complexe, découpé en plusieurs lots, pour attirer le plus d’acquéreurs possible et faire monter les prix à l’occasion de la mise en vente des droits de rediffusion pour les saisons 2018-2021. Malheureusement, en juin 2017, Infront devait se résoudre à déclarer l’appel d’offres infructueux : en espérant franchir la barre du milliard d’euros par saison, Infront a dissuadé Mediaset de concourir. Comptant sur les télécoms pour surenchérir, Infront a été confronté à l’attentisme de Telecom Italia, dont Vivendi est l’actionnaire majoritaire. Sky Italia en a profité, ne proposant que 494 millions d’euros par saison, alors que la série A italienne a été vendue 945 millions d’euros par saison pour la période 2014-2018. Quelques jours plus tard, Sky Italia s’emparait des droits de la Champions League pour les saisons 2018-2021, au détriment de Mediaset, qui leur doit l’essentiel de ses difficultés. Pour cette compétition, Sky a accepté de payer plus que Mediaset, en s’engageant à débourser entre 260 et 290 millions d’euros par saison.
L’exemple italien est révélateur : à jouer la surenchère entre chaînes payantes, l’un des acteurs finit toujours par s’essouffler, comme ce fut le cas en France avec TPS et Orange face à Canal+. Reste alors à trouver de nouveaux investisseurs. Pour la Série A, ils n’ont pas été au rendez-vous, au moins dans un premier temps : les opérateurs télécoms et les Gafa, convoités par toutes les ligues de football professionnel, ne se sont pas positionnés. À l’occasion de la remise en jeu des droits de diffusion de la série A en janvier 2018, l’International Bank of Qatar a proposé quelque 13 milliards d’euros sur dix ans, soit plus que le prix de réserve fixé par la Ligue italienne, 1,05 milliard d’euros par saison pour la période 2018-2021. Cette prime n’en est pas une car les Qataris souhaitaient s’emparer des droits pour dix saisons au lieu de trois, anticipant à terme une hausse de ces derniers.
Fragilisée par son premier appel d’offres infructueux, la Ligue italienne va finalement trouver un investisseur inattendu : le groupe espagnol Mediapro qui proposera 1,05 milliard d’euros, le prix de réserve fixé, avant d’annoncer souhaiter revendre les droits acquis à Sky Italia et Mediaset, mais à un tarif plus élevé. Sans la Série A, ces derniers se savent menacés par une hémorragie d’abonnés. Pour mener à bien son opération sur le marché italien des droits, le groupe espagnol Mediapro a dû s’appuyer sur son nouvel actionnaire, le chinois Orient Hontai, mais son entrée au capital de Mediapro n’étant pas finalisée au moment de l’appel d’offres, Sky a obtenu l’annulation de ce dernier. Il n’en reste pas moins que la présence d’investisseurs chinois et qataris sur le marché italien comme les attentes de la ligue à l’égard des opérateurs télécoms ou des Gafa sont en train de bouleverser complètement l’écosystème italien des médias. Pour l’instant, Sky ou Mediaset peuvent encore espérer les droits de la Série A. En France, les choses sont désormais plus malaisées.
Les télécoms, le Qatar, les Espagnols : le foot français échappe à ses médias
En France, les droits de diffusion de la Ligue 1 sont historiquement le monopole du groupe Canal+, même si ce dernier a été menacé à intervalles réguliers. Le bouquet satellitaire TPS, création des principales chaînes en clair, a dû renoncer à ses ambitions face à la surenchère sur les droits sportifs (voir La rem n°4, p.34). Après la disparition de TPS, la Ligue de football professionnel, pour soutenir la hausse des droits de la Ligue 1, a dû trouver de nouveaux acheteurs pour inciter Canal+ à surenchérir davantage, préservant ainsi son modèle de chaîne premium généraliste. Les entreprises des télécoms ont été les premières à être au rendez-vous au nom de la convergence, Orange ayant en son temps tenté ce à quoi s’essaie aujourd’hui SFR (voir La rem n°6-7, p.10). Cependant Orange a finalement préféré jeter l’éponge, laissant Canal+ seul en lice. Mais la LFP, qui s’est longtemps plainte de la faiblesse des droits du foot en France, comparés aux autres grands marchés européens, a finalement toujours réussi à trouver un nouvel enchérisseur.
AU PRIX DEMANDÉ, LES DROITS DU FOOT REVIENNENT AUSSI CHER QUE D’INVESTIR DANS UN RÉSEAU EN FIBRE OPTIQUE !
Après le retrait d’Orange, la bonne surprise fut l’arrivée de BeIn Sports en France, qui a pris à Canal+ l’essentiel des affiches, à l’exception des meilleures rencontres (voir La rem n°20, p.26 et n°30-31, p.32). À vrai dire, face à BeIn Sports et aux investisseurs qataris, Canal+ a renoncé une première fois : le groupe ne souhaite plus payer très cher la totalité des droits pour la Ligue 1, ce qui l’a conduit à dégrader l’offre de sa chaîne thématique Sport+, mais il s’engage au contraire à disposer des meilleures affiches pour sa chaîne généraliste payante. Entre-temps, en effet, les groupes spécialisés dans une « verticale », le sport avec BeIn, les films et les séries avec Netflix, se sont imposés, interdisant désormais à un acteur généraliste de pouvoir être aussi exhaustif dans sa proposition de contenus.
Le scénario qui s’est joué pour les droits de la saison 2020-2024 est en revanche tout autre. La LFP a historiquement compté sur une entrée de SFR dans la compétition pour les droits, entrée qui fut fracassante lors des enchères pour les droits de rediffusion des matchs de la Premier League britannique et de la Champions League. Mais les difficultés financières d’Altice ont conduit ses dirigeants à se dégager prudemment de la surenchère annoncée sur la Ligue 1 française. Il faut dire qu’au prix demandé, les droits du foot reviennent aussi cher que d’investir dans un réseau en fibre optique ! Pourtant, la LFP avait tout fait pour permettre à SFR de se porter candidat : pour la première fois, l’acheteur avait la possibilité de sous-licencier les droits acquis, et pouvait donc en cas de besoin récupérer sa mise à terme. Cette garantie n’aura pas été suffisante.
La LFP a même craint une alliance entre SFR et Canal+ pour la distribution par ce dernier de la Champions League, après celle déjà nouée entre BeIn Sports et Canal+. En effet, parce que le sport coûte très cher, BeIn Sports a dû se rapprocher de Canal+, seul à même de proposer des super-bouquets intégrés combinant sa chaîne premium et une offre exhaustive de sport (voir La rem n°40, p.40 et n°41, p.91). En ajoutant la Champions League de SFR au bouquet sportif de Canal+ et de BeIn, les trois acteurs obligeaient la LFP à dépendre de leur seule bonne volonté pour surenchérir entre partenaires, une situation qui s’est produite notamment au Royaume-Uni.
RIEN NE DIT QUE LE FOOT NE SERA PAS DEMAIN UN PROGRAMME DONT ON PEUT SE PASSER. C’EST AU MOINS CE DONT CANAL+ VA DEVOIR TIRER LA LEÇON
C’est pour éviter cette situation dangereuse que la LFP a décidé de lancer son appel d’offres pour les saisons 2020-2024 dès le 25 avril 2018, les enchères devant être remises au plus tard le 28 mai 2018 pour une annonce des résultats le 29 mai 2018. Moins d’une semaine après le lancement de l’appel d’offres, SFR indiquait pourtant qu’il était « peu probable » qu’il participe aux enchères. La paix conclue entre BeIn et Canal+ semblait donc l’emporter avec, pour Canal+, le lot 1 (le grand match et le magazine du dimanche), les lots 2 et 3 pour BeIn, à savoir les matchs du vendredi et du samedi, ainsi que le lot 4, soit la diffusion de cinq matchs par journée en dehors des grandes affiches. Il fallait donc impérativement que la LFP fasse entrer dans l’appel d’offres de nouveaux acteurs pour faire augmenter le coût des droits de diffusion du football français. Ce jeu de la surenchère est pourtant suicidaire : déjà Canal+ a renoncé depuis l’arrivée de BeIn à racheter l’ensemble des droits ; BeIn, fier concurrent de Canal+, n’a finalement trouvé d’autre solution que de s’allier à Canal+ pour tenter de rentabiliser auprès d’une base plus large d’abonnés le coût des droits des matchs qu’il a acquis. À trois acteurs, à quatre acteurs, la rentabilité semble encore plus incertaine. C’est pourtant ce qu’a obtenu la LFP : si elle n’a pas convaincu les opérateurs télécoms et les Gafa d’investir en France pour s’emparer des lots les plus prestigieux, elle a convaincu le chino-espagnol Mediapro de miser 780 millions d’euros par an pour acquérir les lots 1,2 et 4, BeIn Sports sauvant la mise en s’emparant du lot 3. Canal+ n’a rien, Free fait son entrée sur le marché des droits sportifs avec le lot 6 qui porte sur les matchs en différé et la diffusion d’extraits sur smartphone.
La LFP est sortie vainqueur : elle rappelle l’attrait grandissant de la Ligue 1 depuis que le Qatar investit massivement dans le PSG, avec la recrue de la star Neymar lors de la saison 2017-2018 et l’explosion médiatique de la star Mbappé lors du mondial 2018. Monaco, l’OM, demain Bordeaux sont aussi entre les mains d’investisseurs fortunés. Tout cela justifie-t-il une chaîne dédiée à la Ligue 1 et facturée 25 euros par mois, comme Mediapro l’escompte ? Sachant qu’il faudra aussi s’abonner à RMC Sports si l’on veut voir les matchs de la Champions League (15 euros par mois), voire à BeIn pour accéder au lot 3… Comme dans la musique, quand elle était vendue très cher en CD ou en téléchargement à l’acte, des contenus à forte valeur d’usage dont l’accès devient économiquement difficile suscitent immanquablement une hausse du piratage. Il n’est donc pas sûr que Mediapro soit encore candidat lors des enchères pour les saisons 2024-2028… La surenchère actuelle sur les droits sportifs est risquée aussi pour la LFP, même si celle-ci parvient à empocher 1,15 milliard d’euros par saison sur la période 2020-2024 et cela, alors que deux des sept lots mis en vente n’ont pas encore trouvé preneur. À force d’épuiser ses clients naturels et de morceler l’offre, rien ne dit que le foot ne sera pas demain un programme dont on peut se passer. C’est au moins ce dont Canal+ va devoir tirer la leçon.
La surenchère est également risquée pour l’écosystème médiatique français. Historiquement bon marché, le football devait servir de produit d’appel à Canal+ pour rassembler une large base d’abonnés, le chiffre d’affaires ainsi généré étant soumis à une obligation d’investissement dans la production cinématographique. Cette régulation propre aux quotas dits de production a été une première fois remise en question avec l’envolée du coût des droits sportifs : de produit d’appel bon marché, le foot est progressivement devenu le premier poste de dépenses de Canal+. Mais en étant au rendez-vous, il a permis à Canal+ de continuer à investir aussi dans la production cinématographique, les deux piliers de la chaîne étant le sport et le cinéma. En perdant le football, Canal+ plonge dans l’inconnu. Certes, la chaîne n’a plus à surinvestir dans la Ligue 1 et pourra consacrer tous ses moyens à la production audiovisuelle et cinématographique, sur le modèle d’HBO aux États-Unis. Mais, sur ce segment, il faudra faire face frontalement à Netflix.
CANAL+ SANS LE FOOT ET C’EST LA RÉGLEMENTATION SUR LE FINANCEMENT DE LA PRODUCTION AUDIOVISUELLE ET CINÉMATOGRAPHIQUE QU’IL FAUT REVOIR
Certes, Canal+ pourra toujours jouer la carte de la production française et de son originalité. Là encore, cette carte n’est jouable que si les séries originales et les films français ne finissent jamais chez les concurrents en général, et chez Netflix en particulier. Or les quotas de production font plus que prévoir des obligations d’investissement en les doublant d’un impératif de production indépendante. Dès lors, les droits des films et séries financés en France par les chaînes appartiennent pour l’essentiel aux producteurs, qui finissent toujours par revendre les droits de diffusion à d’autres acteurs que les premiers financeurs afin de hausser la valeur économique de leur catalogue. Canal+ sans le foot et c’est la réglementation sur le financement de la production audiovisuelle et cinématographique qu’il faut revoir. En effet, lors du lancement de ses nouveaux forfaits en 2016 (voir La rem n°41, p.91), la moitié des abonnements incluait la chaîne premium et le pack sport.
Sans foot, c’est donc potentiellement la moitié des abonnés et du chiffre d’affaires de Canal+ qui peut disparaître à terme, donc aussi la moitié des sommes que Canal+ doit investir chaque année dans le cinéma français. Et personne ne prendra la relève : Altice, qui avait annoncé en grande pompe le lancement d’Altice Studio en 2017 (voir La rem n°44, p.68), cherche à se séparer de cette activité en s’associant avec OCS. Le cinéma coûte cher, il est très contraint réglementairement, et cela reste beaucoup plus facile d’acheter les droits des films produits par d’autres : n’est pas Netflix ou Canal+ le premier venu. Il reste toutefois deux ans avant l’ouverture de la saison footballistique 2020-2021, de quoi permettre à Canal+ de se mettre d’accord, peut-être, avec Mediapro. Ce dernier a toujours la possibilité de sous-licencier certains droits en échange de quoi il accédera à une distribution élargie de sa chaîne foot par Canal+.
Royaume-Uni et Espagne : le foot pour les télécoms
Pour les deux championnats les plus prestigieux du football européen, le Royaume-Uni et l’Espagne, les enchères ont grimpé il y a déjà bien longtemps. Le temps est désormais à l’accalmie parce que les ligues des deux pays ne sont pas encore parvenues à trouver des investisseurs prêts à tout risquer sur le football.
En Espagne, Imagina, la holding qui abrite Mediapro, disposait des droits de la Liga depuis 2015, droits qu’elle exploitait en partenariat avec BeIn avec qui Mediapro a créé la version espagnole de la chaîne sportive. Les opérateurs télécoms devaient donc négocier avec BeIn pour reprendre les différentes chaînes sportives du bouquet incluant les meilleurs matchs de la Liga, mais également la Champions League. Plutôt que de payer très cher la distribution de contenus sportifs édités par d’autres, sans disposer par ailleurs d’exclusivités, Telefonica a préféré mettre fin à l’hégémonie de Mediapro sur le marché des droits sportifs en Espagne. Le 25 juin 2018, Telefonica s’emparait des deux principaux lots de la Liga à la suite de l’appel d’offres pour les saisons 2019-2022. Moyennant 980 millions d’euros, Telefonica pourra diffuser neuf matchs par week-end, contre un seul pour Mediapro. Comme en France, le fan de foot devra jouer la carte du désabonnement/réabonnement : BeIn risque de perdre en pertinence et Telefonica devient un point de passage obligé pour trois ans. Et il n’y aura pas d’alternative : Mediapro acceptait la même semaine de céder à Telefonica les droits de retransmission de la Champions League pour les saisons 2018-2021. Au jeu des alliances, Telefonica avait tout perdu en 2015 ; BeIn le remplace en 2018.
Au Royaume-Uni, la Premier League avait bénéficié des surenchères dès 2012 avec l’arrivée de BT sur le marché, l’opérateur britannique ayant misé sur le football pour conquérir des abonnés (voir La rem n°29, p.38). Le montant des droits est ainsi devenu progressivement stratosphérique : 5,1 milliards de livres pour les saisons 2016-2019. Si elle n’est pas abandonnée, cette stratégie de convergence a donc un coût qui a conduit BT à revoir progressivement sa position. En 2017, BT Sport, la chaîne sportive de l’opérateur, est devenue payante. Et BT doit encore améliorer ses ratios financiers : un plan de départ de 13 000 salariés a été annoncé en mai 2018 pour économiser 1,5 milliard de livres. Il devient donc difficile, dans ces conditions, de surenchérir davantage sur les droits de foot. Face à BT, Sky se porte bien, mais doit affronter la concurrence de Netflix. Là encore, miser sur le foot est stratégique, mais les perspectives à long terme sont moins porteuses à mesure que la sVoD s’impose dans les foyers britanniques. Comme en France où Canal+ et BeIn ont su se rapprocher, BT et Sky ont scellé un accord en décembre 2017 pour distribuer leurs contenus de manière croisée à partir de 2019 : ne pas sortir grand vainqueur des enchères pour la Premier League devient donc subitement beaucoup moins dangereux.
Pour éviter l’inévitable tentation de sous-enchérissement, la Premier League n’a pas misé sur des intermédiaires étrangers, comme la LFP, mais au contraire sur les Gafa, le Royaume-Uni ayant une longueur d’avance sur le reste de l’Europe avec Netflix et Amazon Prime, tous deux solidement installés dans le paysage audiovisuel. En vain : lors de la première mise aux enchères des lots, les Gafa n’ont pas suivi et, le 13 février 2018, la Premier League était attribuée de nouveau à BT et à Sky pour les saisons 2019-2022, avec un net avantage à Sky pour le nombre de matchs (128 matchs contre 32 pour BT). Le statu quo a bénéficié aux éditeurs de chaînes qui ne paieront plus que 4,46 milliards de livres pour diffuser la Premier League, soit 13 % de moins comparé au précédent appel d’offres. Tous les lots n’ayant pas été attribués, un second appel d’offres a été lancé qui a abouti en juin 2018. Cette fois-ci Amazon a concouru, mais sur des budgets moins élevés. Amazon remporte l’un des deux lots mis en vente et pourra diffuser ainsi au Royaume-Uni 20 matchs par saison sur Amazon Prime. Le second lot a été attribué à BT qui corrige le déséquilibre initial créé par Sky lors du premier appel d’offres. Si les Gafa peuvent participer aux enchères, il reste qu’ils ne semblent pas prêts à les faire flamber. À la différence des chaînes payantes, les services de sVoD sont moins générateurs de chiffre d’affaires et ne sont bénéficiaires qu’à la condition d’une exploitation mondiale des droits. Les droits sportifs étant des droits nationaux, ils ne répondent pas strictement au modèle d’affaires des plateformes de sVoD.
Sources :
- « Le foot italien rate la mise aux enchères de ses droits TV », Olivier Tosseri, Les Echos, 13 juin 2017.
- « Sky rafle à Mediaset les droits de la Ligue des Champions », Olivier Tosseri, Les Echos, 16 juin 2017.
- « Droits du foot : le pari très risqué des diffuseurs français », David Barroux, Les Echos, 5 juillet 2017.
- « Le chinois Orient Hontai va racheter les droits du football espagnol », Cécile Thibaud, Les Echos, 19 octobre 2017.
- « Face aux géants du Net, BT et Sky s’allient dans le foot », Alexandre Counis, Les Echos, 18 décembre 2017.
- « Les audiences de la Ligue 1 ont bondi de 40 % depuis le début de la saison », Caroline Sallé, Le Figaro, 23 janvier 2018.
- « BT et Sky font baisser l’addition de la Premier League anglaise de football », Sébastien Dumoulin, Les Echos, 15 février 2018.
- « Droits du foot : le grand bluff de la LFP », Enguérand Renault, Le Figaro, 24 avril 2018.
- « La vente aux enchères des droits du foot est lancée », B.D., Christophe Palerse, Les Echos, 26 avril 2018.
- « La LFP lance son appel d’offres pour les droits du foot », Enguérand Renault, Le Figaro, 26 avril 2018.
- « La bataille des droits télé du foot français probablement sans SFR », B.D., Les Echos, 30 avril 2018.
- « Ligue 1 de foot : la finale de l’appel d’offres sous très haute tension », David Barroux, Nicolas Madelaine, Fabienne Schmitt, Les Echos, 18 mai 2018.
- « Le fonds espagnol Mediapro bouscule le foot français en raflant la Ligue 1 », Caroline Sallé, Enguérand Renault, Le Figaro, 30 mai 2018.
- « Football : Canal+ perd les droits de la Ligue 1 », Marina Alcaraz, Les Echos, 30 mai 2018.
- « Après la perte des droits du foot, le modèle Canal+ vacille », Fabienne Schmitt, Les Echos, 31 mai 2018.
- « La perte des droits du foot affaiblit Canal+ et fait trembler le PAF », Enguérand Renault, Elsa Bembaron, Le Figaro, 31 mai 2018.
- « Mediapro : une chaîne foot à 25 euros par mois », Caroline Sallé, Le Figaro, 1er juin 2018.
- « Mediapro va lancer une chaîne dédiée à 100 % au football en France », Fabienne Schmitt, Les Echos, 1er juin 2018.
- « Didier Quillot : « Le foot est devenu une industrie mondiale du spectacle », interview de Didier Quillot, directeur général exécutif de la Ligue de football professionnel, Enguérand Renault, Le Figaro, 4 juin 2018.
- « Droits du foot : le rival de Canal+ viré d’Italie », Olivier Tosseri, Les Echos, 6 juin 2018.
- « Le Qatar prêt à casser sa tirelire pour le football italien », Olivier Tosseri, Les Echos, 8 juin 2018.
- « Amazon s’immisce sur le marché des droits du football », Sébastien Dumoulin, Les Echos, 8 juin 2018.
- « Le patron de British Telecom écarté », Sébastien Dumoulin, Les Echos, 11 juin 2018.
- « Foot : revers pour Mediapro en Espagne », Basile Dekonink, Les Echos, 27 juin 2018.
- « L’AC Milan, monnaie d’échange des milliardaires », Jean-Yves Guérin, Le Figaro, 23 juillet 2018.