Après une tempête boursière à l’automne 2017 due aux difficultés de SFR, Altice se relance en France et met sur orbite ses activités américaines. Entre-temps, la stratégie de convergence aura été repensée. Iliad est à son tour pénalisé par le marché français avec Free et va chercher la croissance en Italie.
Après les grandes manœuvres autour de Bouygues Telecom afin de faire passer de quatre à trois le nombre d’opérateurs en France, toutes avortées (voir La rem n°38-39, p.42), le marché semblait s’être stabilisé avec quatre acteurs et un perdant, SFR. Ce dernier perd en effet des clients depuis son rachat en 2014 par Altice, le groupe contrôlé par Patrick Drahi (voir La rem n°30-31, p.68). À vrai dire, SFR a même été malicieusement qualifié de « donneur universel », déversant une partie de ses clients fixes et mobiles en direction des trois autres opérateurs (plus de 2 millions de clients en quatre ans). Une telle tendance est difficile à inverser car le marché des télécommunications se caractérise par la forte inertie de sa clientèle, peu encline à changer d’opérateur, surtout quand elle a souscrit des abonnements élargis incluant offre fixe et mobile (quadruple play ou plus). De ce point de vue, SFR a été pénalisé pendant près de quatre ans par la faible qualité du réseau hérité de Vivendi et par un service clientèle peu performant. À l’inverse, les investissements de son nouveau propriétaire dans ses réseaux fixes et mobiles, ainsi que dans les contenus au nom de la convergence, ne semblaient pas être perçus par la clientèle comme des signaux forts d’une amélioration de la qualité de l’offre d’accès.
Autant dire que SFR est devenu pour Altice son principal objet d’inquiétude, parce que de la réussite ou non de la relance de sa filiale dépend toute la stratégie d’expansion d’Altice. En effet, pour SFR comme pour les autres actifs télécoms d’Altice, la relance repose sur l’augmentation des marges grâce à une offre intégrée combinant fixe, mobile et contenus. Or, SFR est le seul opérateur du groupe en mesure, à ce jour, de réaliser cette convergence sur son marché national, les autres opérateurs d’Altice hors de France ne bénéficiant pas encore de la taille critique nécessaire pour une telle stratégie, à l’exception du marché israélien. Les derniers résultats de SFR semblent indiquer un renversement de tendance, qui se répercute mécaniquement sur la concurrence, Free étant en difficulté parce que son modèle économique semble désormais moins adapté à la nouvelle structure de marché.
De la superbe américaine à la crise française : Altice chahuté en Bourse
En annonçant depuis les États-Unis, le 23 mai 2017, le changement de nom de la totalité de ses opérateurs télécoms pour les basculer sous la marque Altice, Patrick Drahi signait sa volonté de faire de son groupe un géant mondial des télécoms. Il y est quasiment parvenu en faisant passer son chiffre d’affaires de 3,2 à 25 milliards d’euros entre 2014 et 2017, moyennant une dette de plus de 50 milliards d’euros. Mais cette dette, pendant longtemps, n’a jamais été une source de difficultés : les actifs détenus, comme la nature de la dette, pour l’essentiel à taux fixe, devaient permettre un remboursement serein des échéances. La chose était possible si – et seulement si – le projet stratégique que Patrick Drahi appliquait à tous les opérateurs qu’il rachetait finissait par produire ses effets : réduction des coûts, enrichissement de l’offre grâce aux contenus, hausse de la marge grâce à des forfaits enrichis, suivie d’une génération de profits permettant le désendettement.
C’est fort de cette approche que Patrick Drahi a entrepris la conquête du marché américain en 2015-2016, avec les rachats successifs des câblo-opérateurs Cablevision et Suddenlink (voir La rem n°34-35, p.31 et n°36, p.48). Le marché américain est stratégique pour Altice : deuxième acteur en France avec SFR, Altice peut y espérer augmenter sa marge mais n’a pas de perspectives de croissance ; quatrième acteur du câble aux États-Unis derrière Comcast, Charter et Cox, Altice a devant lui la possibilité de participer au mouvement annoncé de consolidation aux États-Unis. Ce n’est d’ailleurs pas un hasard si le changement de nom des opérateurs du groupe a été annoncé aux États-Unis, depuis New York : l’intervention de Patrick Drahi préparait l’introduction en Bourse de ses activités américaines, annoncée un mois plus tôt, afin de se donner les moyens d’autres opérations de rachat. En l’occurrence, Altice a visé très haut puisque la chaîne économique CNBC a révélé, en août 2018, que le groupe visait rien de moins que le rachat de Charter Communications, ce qui supposait de dépenser quelque 180 milliards de dollars. Ce rachat d’un acteur trois fois plus gros qu’Altice était loin d’être impossible, puisqu’il correspondait, sur le marché américain, à l’opération réalisée en France quand Numéricable s’est emparé de SFR.
Mais la machine va ensuite rapidement se gripper. En mai 2017, pour l’annonce du changement de nom, l’avenir d’Altice semblait bien balisé. La marque unique donnait l’image d’un groupe industriel intégré, présent dans les télécoms, les médias et la publicité (depuis le rachat de Teads en 2017, voir La rem n°42-43, p.55), mettant ainsi fin à l’idée qu’Altice n’était qu’un holding financier hollandais coiffant des activités réparties à l’échelle internationale, selon les propos de Michel Combes, à l’époque directeur général d’Altice. La marque unique permettait aussi une rationalisation du groupe, tant pour sa communication que pour sa gestion financière puisqu’elle autorisait, via des frais de franchise, la remontée d’une part des bénéfices des filiales vers la maison mère, ce qui facilitait inévitablement le désendettement du groupe. Enfin, elle annonçait l’émergence d’un groupe intégré et puissant aux États-Unis où Altice devait encore rapprocher ses deux câblo-opérateurs, tout en envisageant de nouvelles acquisitions. Ce dernier objectif était essentiel pour Patrick Drahi qui déclarait alors : « Si on n’est pas numéro un, deux ou trois dans un pays, ce n’est pas excitant, c’est comme aux Jeux olympiques ». Restait donc à Altice USA à monter sur le podium du câble américain, afin de développer ensuite une stratégie de convergence qui devait le conduire vers le mobile et les contenus.
La première étape de ce plan s’est achevée le 22 juin 2018 avec l’introduction en Bourse d’Altice USA à Wall Street, qui a reçu un bon accueil des investisseurs : Altice avait présenté une fourchette par action entre 27 et 31 dollars, le titre ayant été finalement souscrit à 30 dollars, avant de monter jusqu’à 32 dollars dans les premières heures de cotation. Altice USA a finalement introduit 7 % de son capital en Bourse pour une valorisation de la société proche de 22 milliards de dollars. Certes, c’est moins que les sommes déboursées pour les rachats de Cablevision et Suddenlink (9,1 et 17,7 milliards de dollars), mais Patrick Drahi avait dû consentir à verser une prime aux vendeurs. Enfin, avec la dette d’Altice USA (20 milliards de dollars), l’ensemble valait près de 43 milliards de dollars. Désormais introduit en Bourse, il autorisait Patrick Drahi à payer des acquisitions en actions, donc à maîtriser la hausse de la dette d’Altice USA en cas de nouvelle opération de rachat. Mais, très vite, Altice a dû lutter contre les rumeurs de rachat aux États-Unis, se considérant comme sous-valorisé et insistant à l’inverse sur le travail de désendettement. En effet, la dette du groupe Altice, au niveau de la maison mère, avait inquiété une première fois les investisseurs lors du financement du rachat de Suddenlink en 2015. Elle va les inquiéter de nouveau, et beaucoup plus sérieusement, à l’automne 2017.
Le 3 novembre 2017, Altice a présenté ses résultats trimestriels. Et ils n’étaient pas exceptionnels puisque le chiffre d’affaires reculait de 1,8 %, à 5,7 milliards d’euros, la baisse étant due aux activités d’opérateurs en France (-1,3 %), en République dominicaine (-3,6 %), au Portugal (-3,1 %) et aux États-Unis (-2,5 %). Seul Israël affichait une contribution positive, ce qui aurait été également le cas des États-Unis si le cours du dollar n’avait pas pénalisé la filiale américaine d’Altice. Parmi ces chiffres, le plus problématique est le recul de 1,3 % du chiffre d’affaires de SFR en France. Certes, le chiffre d’affaires baisse plus fortement dans les autres territoires. Mais SFR représente encore la moitié des revenus du groupe, malgré l’expansion internationale d’Altice.
Et de la bonne santé de SFR dépend la capacité d’Altice à rembourser sa dette quand elle arrivera à échéance. Autant dire que les résultats de SFR illustrent la stratégie d’Altice et annoncent avec un temps d’avance ce que le groupe espère également réaliser au Portugal ou aux États-Unis. Malheureusement, avec une baisse de 144 000 abonnés fixes sur le trimestre, SFR continue de perdre les abonnés qui produisent le plus de marge et qui devraient, par leur fidélité, légitimer la stratégie de convergence déployée, laquelle intègre des contenus médiatiques onéreux dans le coût des abonnements pour en justifier le prix relativement élevé, comparé à la concurrence. Ce n’est donc pas seulement la capacité de SFR à conserver ses abonnés qui est en cause par ces mauvais chiffres, mais bien la stratégie d’Altice dans son ensemble qui, à partir d’une promesse de convergence, a mobilisé une dette massive (51 milliards d’euros) afin de financer son expansion. C’est au moins l’interprétation que les investisseurs ont faite, ce qui a immédiatement entraîné une chute brutale du titre Altice en Bourse.
Le 3 novembre 2017, l’action Altice perdait 23 % en une séance à la Bourse d’Amsterdam. En vingt jours, c’est presque 50 % de la capitalisation du groupe qui va s’envoler, attestant de la crise de confiance des investisseurs. Le groupe, qui a été valorisé jusqu’à 36 milliards d’euros au printemps 2017, est passé en novembre sous les 11 milliards d’euros de valorisation. Pour Altice, la réaction s’est imposée, qui a d’abord conduit à privilégier les investisseurs pour les rassurer. La plus emblématique des mesures fut la refonte du management du groupe afin de clarifier les objectifs stratégiques d’Altice. Derrière la chute boursière qui est disproportionnée par rapport à la réalité des actifs détenus, c’est le manque de lisibilité stratégique qui a été reproché à Altice.
En effet, la stratégie de convergence, déployée en France et en Israël, avant d’être étendue au Portugal et aux États-Unis, conduit le groupe à investir massivement sur plusieurs fronts, celui de l’amélioration du réseau fixe avec le passage progressif à la fibre optique, celui de l’amélioration du réseau mobile avec le développement de la 4G et, demain, des investissements importants à consentir dans la 5G, enfin celui des contenus, qu’il s’agisse de médias ou de droits sportifs. Or, multiplier les dépenses en situation d’endettement élevé peut inquiéter, notamment si ces dépenses ne produisent pas immédiatement des résultats : c’est le lot des opérateurs qui s’inscrivent dans la durée quand ils cherchent à imposer une image de qualité de service sur le marché ; c’est moins le cas en revanche pour les médias qui, grâce au contrôle de certains droits, doivent attirer très vite de nouveaux clients. Pour l’instant, SFR n’a pas assez de contenus pour s’imposer parmi les offres concurrentes, même si l’arrivée sur ses chaînes des coupes européennes de football depuis août 2018 pourrait changer la donne. Des arbitrages sont donc devenus nécessaires, conduisant ainsi à la démission de Michel Combes, le directeur général d’Altice, le 10 novembre 2017.
Les proches de Patrick Drahi qui, à cette occasion, a repris la présidence du conseil d’administration d’Altice, ont été nommés aux postes clés. Dexter Goei, qui dirigeait Altice USA, a également pris la direction générale du groupe Altice, quand Armando Pereira a pris la direction opérationnelle des activités télécoms. En France, pour le très stratégique SFR, Alain Weill a été nommé PDG alors qu’il ne dirigeait au départ que les médias. Cette nomination atteste certes de la continuité stratégique du groupe, qui mise toujours sur la convergence, mais aussi de la nécessité de remettre le marketing au cœur de SFR, quand le groupe était piloté par des cadres issus des télécommunications, donc des profils plus proches des métiers de l’ingénierie. C’est ce qu’a confirmé Patrick Drahi le 15 novembre 2017 : « Nous avons mal géré la vente de contenus. » Donc, une faute de marketing.
Rassurer les investisseurs passe aussi par les fondamentaux économiques. Le même jour, Patrick Drahi faisait taire les rumeurs de nouvelles acquisitions à court terme pour se concentrer sur la baisse de la dette en Europe. Il annonçait le report du changement de nom de ses filiales, une opération toujours coûteuse, et évoquait même des cessions. Ces dernières vont se produire par étapes, sans toucher au cœur d’activité du groupe. Le groupe a cédé, le 1er décembre 2017, deux filiales suisses pour 183 millions d’euros, ce qui correspond d’abord à un signal envoyé aux investisseurs. La vraie cession arrivera six mois plus tard, le 20 juin 2018, avec la vente d’une partie de ses tours télécoms en France et au Portugal pour 2,5 milliards d’euros. Concrètement, Altice a créé deux tower companies, une en France et une au Portugal. Il cède 49,9 % du capital de la première au fonds d’investissement KKR, ce qui lui permet donc d’en garder le contrôle. Au Portugal, Morgan Stanley s’empare de 75 % du capital de la tower companies, Altice en perdant le contrôle. Le montant de la cession permet une réduction significative de la dette.
Depuis, les opérations en lien avec les fonds spécialisés dans les infrastructures télécoms se multiplient : le 30 juillet 2018, Altice a annoncé un accord avec l’américain Phoenix Tower International pour lui céder ses tours en République dominicaine moyennant 170 millions de dollars. Outre les cessions, SFR a également annoncé, en décembre 2017, renoncer à son projet de déployer seul la fibre optique dans la totalité de l’Hexagone. Pour répondre à ses engagements en matière de fibre optique, SFR a même amorcé dès fin août 2018 une procédure d’ouverture de son capital de son réseau de fibre optique afin de trouver des investisseurs pour l’accompagner dans l’installation de 4,7 millions de prises dans les zones moyennement denses. Dans les médias, Patrick Drahi a également limité la dépense en décidant de ne pas participer aux enchères sur la Ligue 1 de football en France et a renoncé au rachat de Media Capital au Portugal, un renoncement certes motivé par les décisions de l’autorité locale de la concurrence. Au moins tous ces éléments trahissent-ils une baisse de la dépense en Europe. Aux États-Unis, où Altice est dans une phase de conquête, les choses sont différentes.
C’est pour accompagner le développement de ses activités américaines et pour les protéger des incertitudes du marché européen que Patrick Drahi, après la tempête boursière de l’automne 2017, a décidé de scinder en deux son groupe. L’opération, annoncée le 9 janvier 2018, consiste à isoler les activités d’Altice USA du reste du groupe. En effet, Altice NV fédère Altice France, Altice International (Portugal, Israël, République dominicaine) et Altice Pay-TV. Autant dire qu’Altice USA ne sera plus pénalisé par les déboires de SFR, l’opération permettant également de désendetter en partie Altice Europe. Enfin, en logeant dans une entité d’Altice NV les activités de contenus, le coût de la stratégie de convergence sera clairement identifié et la participation des contenus aux résultats mesurée précisément, ce qui devrait là encore rassurer les investisseurs. Il reste que cette séparation des contenus et des réseaux ouvre la voie à un développement autonome des contenus, une indication que la convergence reste au cœur de la stratégie du groupe, mais d’abord sous forme de possibilité pour les abonnés, et non comme un prérequis. C’est ce qu’attestera la relance de SFR, et c’est ce qui correspond aussi au modèle américain, où le succès des services over the top (OTT) comme Netflix menace l’alliance historique entre câblos et chaînes de télévision.
Aux États-Unis, Altice USA poursuit donc désormais dans une voie originale qui est celle de la conquête des marchés, alors que les activités européennes sont plus matures. Altice USA innove notamment en lançant une box, Altice One, un équipement peu répandu en Europe. Altice USA profite ici de l’expérience européenne, les box offrant par ailleurs un contrôle plus facile de la consommation des abonnés grâce à la maîtrise de l’interface. Mais pour ne pas dissuader le public américain, Altice One accueillera Netflix, aux côtés des chaînes américaines d’Altice. Par ailleurs, Altice USA fait ses premiers pas dans le mobile grâce à un accord avec Sprint, Altice USA devenant de facto MVNO afin de pouvoir proposer des offres quadruple play à ses abonnés, pratique là encore peu développée aux États-Unis. Ces initiatives doivent permettre de soutenir le cours en Bourse d’Altice USA en vue de nouvelles acquisitions, d’autant que les premiers résultats publiés sont avantageux : avant même que la scission ne soit effective, Altice USA a pu annoncer un bénéfice net de 2,25 milliards de dollars au quatrième trimestre 2017, grâce à la réforme fiscale de Trump qui a fait passer son taux d’impôt sur les bénéfices de 35 à 21 %.
Pour Altice NV, donc principalement en Europe avec SFR et les activités portugaises, la stratégie est plus complexe : si la convergence n’est pas abandonnée, elle semble au moins repensée.
Altice tempère sur la convergence pour mieux gérer sa dette
La crise boursière de novembre 2017 a mis en exergue la nécessité de relancer SFR et de clarifier la stratégie de convergence revendiquée depuis le rachat de l’opérateur à Vivendi. Afin de relancer SFR avec le moins de contraintes possibles, et parce que les acquisitions ne sont plus au programme en France, SFR a été sorti de la Bourse. L’opérateur français suit donc une voie différente d’Altice USA : après la phase d’expansion financée par l’endettement et les actions vient la phase de la consolidation des actifs. Retiré de la cote en octobre 2017 après avoir lancé, en août de la même année, le processus de rachat de 5 % du capital détenu par les actionnaires minoritaires, SFR peut désormais se restructurer à l’abri des regards. La restructuration est conduite par Alain Weill, arrivé à la direction générale de l’opérateur pour redonner la priorité au client. Elle passera notamment par la qualité de service et la clarification des offres pour les abonnés.
La qualité de service, point faible de SFR, repose sur le service client, les délais de réponse et d’intervention, un bon réseau ne suffisant pas. La clarification des offres jette un doute sur la stratégie de convergence. C’est ce qu’avait indiqué Patrick Drahi, le 15 novembre 2017, quand il avait tenté d’endiguer la tempête boursière. En imposant les contenus additionnels dans des abonnements vendus sous forme de packs, avec des hausses de prix à la clé durant l’été 2017, SFR a fait une erreur de marketing. Cette erreur fut double : elle a fait fuir ceux qui ne voulaient qu’un accès à l’internet sans surfacturation de l’abonnement du fait de l’existence de services additionnels ; elle a bradé des contenus qui auraient pu être mieux valorisés auprès des fans, ce qu’a avoué Patrick Drahi en considérant avoir « vendu trop cher les contenus sportifs à ceux qui n’en voulaient pas, et pas assez cher à ceux qui en voulaient ».
Fort de ce constat, Alain Weill a présenté, le 20 mars 2018, la nouvelle offre commerciale de SFR qui repose sur une gamme de forfaits, fixes comme mobiles, avec des prix échelonnés et, à chaque fois, une palette d’options facturées en supplément. Ainsi, les chaînes SFR Sport ne font plus partie de l’offre de base mais sont facturées 5 euros, quand l’offre de cinéma et séries (SFR Play, Altice Studio, Sundance TV, Paramount TV…) est facturée 4 euros par mois. À cette occasion, SFR Presse a également été repensé pour permettre un accès plus fluide à l’actualité. Le service de kiosque sera lui aussi facturé aux nouveaux abonnés, en option. Autant dire que SFR passe d’une offre haut de gamme tout-en-un à un modèle économique de type low cost où, seul, le service de base est facturé, à savoir l’accès à l’internet, quand les services additionnels sont choisis à la demande par le consommateur.
Ce type d’offres contredit les logiques de convergence dont l’intérêt est justement d’augmenter la facture du client grâce à une gamme complète de services qui valorise l’offre de base réduite à la simple fourniture de données. Mais c’est aussi un pari en faveur d’une convergence à venir, car le modèle se veut pédagogique pour le consommateur. Pour Alain Weill, la convergence reste de mise. Avec le détail du prix de l’accès à l’internet et des options liées aux contenus, les souscripteurs, « s’ils commencent à mixer les deux dans leur raisonnement, […] vont voir que nos offres sont particulièrement compétitives ». Il s’agit bien de faire prendre conscience de la nature bon marché d’une offre qui a, par certains, été jugée trop chère, parce qu’elle incluait des services, certes facturés à bas prix, mais dont l’utilité n’était pas évidente.
Ce changement de stratégie de commercialisation se traduit également dans l’offre de contenus : celle-ci a une valeur en soi, indépendamment des offres d’accès. Elle peut donc être proposée aux non-abonnés. L’offre over the top (OTT) du groupe est donc désormais mieux valorisée, d’abord parce qu’elle seule permettra d’espérer amortir les dépenses dans les contenus en élargissant la base de souscripteurs, ensuite parce qu’elle peut servir à terme d’outil de recrutement pour SFR. Lors de la présentation des nouvelles offres le 20 mars 2018, l’offre de sports en OTT devait être facturée 15 euros et celle de cinéma et séries 10 euros. À l’évidence, les tarifs préférentiels pour les abonnés SFR (5 et 4 euros) peuvent dans ce cas devenir un motif d’abonnement. À cette occasion, Alain Weill a annoncé le changement de nom de SFR Sport, rebaptisé RMC Sport afin de pouvoir être repris par les autres opérateurs, jusqu’ici réticents à commercialiser une offre sportive sous la marque d’un concurrent. Lancé le 3 juillet 2018, l’offre RMC Sport a été repensée (cinq chaînes, une radio RMC Sport, un site et une application) et devrait attirer les autres opérateurs comme les fans de foot, SFR commençant en août 2018 la diffusion de Ligue des champions.
Entre-temps, les tarifs présentés le 20 mars 2018 ont augmenté, l’offre passant à 9 euros par mois pour les abonnés sur le fixe et le mobile de SFR, et à 19 euros pour les non-abonnés, le service étant disponible en OTT. Cette solution est pour l’instant la seule possibilité de regarder la Ligue des champions sans être abonné à SFR, le groupe n’étant pas parvenu à trouver des accords de distribution avec les autres opérateurs qui lui reprochent de demander des minima garantis trop élevés pour la reprise de ses chaînes sportives. Seul un accord avec CanalSat a été trouvé le 18 septembre 2018, pour le premier match de la compétition, les abonnés à CanalSat ayant cette particularité de ne pas regarder la télévision par internet, donc d’être exclus du marché potentiel de l’OTT. La vraie question reste toutefois celle de la fidélisation des abonnés dans la durée, le prix de 19 euros semblant élevé, comparé aux standards jusqu’ici imposés par BeIn Sports qui propose une offre sportive large, dont la majorité des matchs de la Ligue 1.
Concernant l’offre cinéma et séries, la logique est différente et Altice semble renoncer à ses grands projets dans la production. Certes, le groupe, par la voix d’Alain Weill, ne manque pas de répéter qu’il représente déjà un chiffre d’affaires de 500 millions d’euros dans les médias en incluant Libération, L’Express et les chaînes en clair, et qu’il compte atteindre très vite un milliard d’euros de chiffre d’affaires dans les médias. Mais, concernant Altice Studio, la production audiovisuelle et cinématographique, les ambitions ont été revues à la baisse, Alain Weill ayant admis, le 3 juillet 2018, qu’« investir seul dans le 7e art en France, c’est compliqué notamment en raison de la réglementation ». S’ajoute la concurrence de Netflix et d’Amazon, autant d’arguments qui plaident pour un rapprochement d’Altice Studio et d’OCS. D’ailleurs, SFR a déjà abandonné la partie : en juin 2017, Altice a signé un partenariat mondial avec Netflix pour proposer le service à ses abonnés, alors même que Netflix, à son lancement en France en 2014, n’était pas disponible pour les abonnés aux offres enrichies de SFR afin de protéger la stratégie de convergence.
Toutes ces décisions ont des conséquences positives sur la dette : SFR joue certes la carte de la convergence, mais il recule sur les médias à chaque fois que les montants en jeu sont trop importants et trop risqués, comme la Ligue 1 de football en France ou le cinéma. Ce n’est pas le cas en revanche au Portugal, mais là encore la décision a été prise de ne pas s’engager coûte que coûte dans une aventure médiatique. Annoncé en juillet 2017 (voir La rem n°44, p.68), le rachat du portugais Media Capital à Prisa, qui devait faire d’Altice le premier groupe de médias au Portugal, n’aura pas lieu. En effet, l’Autorité de la concurrence du Portugal a émis un avis négatif à l’opération le 28 mai 2018, Altice ayant la possibilité de reformuler son offre afin de rendre possible l’opération. Altice ne l’a pas fait car les demandes de l’autorité de la concurrence ont été considérées comme trop contraignantes, au point justement de remettre en question la stratégie de convergence souhaitée. En définitive, Altice économise ainsi près de 440 millions d’euros.
Ces décisions, où l’investissement dans les médias est maîtrisé, voire réduit, où l’offre commerciale de SFR est repensée, ont eu pour effet de rassurer les investisseurs. La dette ne grossit plus en Europe et les abonnés reviennent progressivement. Au premier trimestre 2018, SFR sera le premier opérateur en France à gagner de nouveaux abonnés dans le fixe, alors qu’il en perdait depuis trois ans, quand Free a, pour la première fois, vu quelques clients décliner ou renoncer à ses offres agressives. Le second trimestre 2018 a confirmé la tendance : Altice gagne des abonnés, mais doit à cette fin sacrifier son chiffre d’affaires à coup de promotions. De son côté, Free est à la peine, alors qu’il avait jusqu’ici tendance à donner le « la » du marché des télécoms après avoir bouleversé, à deux reprises, ses grands équilibres, au début des années 2000 avec les offres triple play, en 2012 avec Free mobile.
Free recule en France et se relance en Italie
Lors de la publication de ses résultats trimestriels, le 15 mai 2018, le groupe Iliad a communiqué des chiffres qui attestent de la fin, au moins provisoire, de la longue période de croissance du groupe en France, grâce à son opérateur Free. En effet, après s’être imposé dans le fixe, Free a su capter 7 % du marché mobile français en 2012, date de lancement de Free Mobile, un record en termes de recrutement d’abonnés, écrivant depuis une page de croissance ininterrompue. Ainsi, au premier trimestre 2018, le mobile est encore en progression (130 000 nouveaux abonnés), quand seul le fixe recule pour la première fois (19 000 abonnés en moins). Mais le fixe est générateur de marges. Or, Free perd des abonnés malgré une politique promotionnelle agressive sur ventreprivee.com qui fait baisser le revenu moyen par abonné (ARPU) : au premier trimestre 2018, l’ARPU a perdu un euro, à 32,90 euros, très loin de l’ARPU d’Orange à 39 euros, porté par le succès de ses offres fibre. Le second trimestre a confirmé la tendance, la perte d’abonnés concernant désormais aussi les clients mobiles : 28 000 abonnés fixes en moins et 200 000 abonnés mobiles en moins. Le modèle économique de Free est donc à revoir, ce que le groupe a admis en renouvelant sa direction la veille de la publication de ses résultats : Maxime Lombardini, directeur général d’Iliad, laisse sa place à Thomas Reynaud, ex-directeur financier, qui devra accompagner Free dans les années à venir, Maxime Lombardini accédant à la présidence du conseil d’administration du groupe.
Ces annonces se sont traduites brutalement en Bourse : après la publication des résultats du premier trimestre, le cours d’Iliad a chuté de 20 %, les actionnaires ne croyant plus aux perspectives de croissance de Free, dont la valorisation se rapproche de celle d’une entreprise mature sur le marché des télécoms. À vrai dire, dès le 15 mai 2018, l’action Iliad a retrouvé ses niveaux de 2012, à savoir la valorisation qu’avait l’opérateur avant le lancement de Free Mobile, soit 40 % de moins que son plus haut niveau historique. Free doit donc se relancer, ce qui passera par l’abandon de sa politique marketing simplifiée (deux forfaits dans le fixe, deux forfaits dans le mobile). Thomas Reynaud l’a reconnu dès le 15 mai 2018 en annonçant « une approche commerciale segmentée qui reflète mieux les attentes des abonnés ». En attendant une nouvelle Freebox, les premières annonces commerciales attestent du changement de stratégie de Free sur le marché français. Incapable de surenchérir sur la baisse de prix des forfaits fixes, qui a donné à Free son image d’opérateur bon marché, Free se résout à augmenter ses tarifs sous couvert d’offres promotionnelles.
Présentée le 31 mai 2018, la nouvelle gamme de forfaits est certes très bon marché quand il s’agit de recruter des abonnés : la Freebox Mini 4K est vendue à 14,99 euros par mois pendant un an, la Freebox Revolution 19,99 euros, et une offre nouvelle apparaît, à 9,99 euros par mois pour l’accès à l’internet et au téléphone, sans télévision. La promotion est valable directement depuis le site de Free et plus seulement sur le site venteprivee.com, autant dire que Free accepte, après Bouygues et SFR, de se lancer dans l’aventure des promotions permanentes. La contrepartie est une obligation d’engagement sur un an et une hausse des tarifs pour les clients qui resteront fidèles à Free au-delà de cette période d’engagement : après un an à prix réduit, les abonnements voient leur coût augmenter de 5 euros par rapport aux tarifs actuellement en vigueur. À cet égard, la politique commerciale agressive de Bouygues Telecom et de SFR sur le fixe, qui ont bradé leurs forfaits pour reconquérir des clients, a fini par toucher Free et ses marges. L’ARPU baisse, les promotions de Free deviennent plus accessibles et le coût des forfaits augmente pour les clients les moins opportunistes.
Comme Altice, qui mise sur les États-Unis pour aller chercher la croissance, Iliad doit donc aller explorer de nouveaux marchés, quand le marché français, mature, fait l’objet d’une politique de conservation des abonnés et de maintien des marges. L’internationalisation d’Iliad a véritablement débuté le 29 mai 2018 avec la conférence de presse inaugurant le lancement des forfaits mobiles Iliad en Italie. Sur le marché transalpin, Iliad avait en effet pu récupérer des fréquences à l’occasion de la fusion de Wind et 3 Italia, la Commission européenne ayant autorisé la fusion en contrepartie de l’émergence d’un nouvel opérateur (voir La rem n°40, p.48).
En Italie, la politique commerciale d’Iliad, qui n’a pas pu utiliser la marque Free, préemptée par ses concurrents, se veut agressive. Un forfait unique à 5,99 euros est proposé pour une connexion en 4G, avec voix et SMS illimités, 30 Go de données, sans engagement, sans coûts supplémentaires, pour le premier million de clients. Ce sera ensuite 6,99 euros mais avec 40 Go de données. Ce type de forfait tout inclus rompt avec les conditions commerciales complexes qui caractérisent le marché italien du mobile, adepte des coûts cachés. Avec cette offre, Iliad devra capter près de 10 % du marché du mobile italien pour être à l’équilibre, ce dernier étant pour l’instant partagé à parts égales entre Wind-Tre, Telecom Italia et Vodafone. Le 18 juillet 2018, Iliad annonçait avoir franchi le cap du premier million d’abonnés sur le marché italien, soit une part de marché de 1,6 % en cinquante jours seulement. Fin août, 1,5 million d’Italiens étaient déjà devenus des clients d’Iliad.
Les marchés étrangers devraient encore être mobilisés pour soutenir la croissance d’Iliad, mais cette fois-ci en Irlande, où Iliad attend l’autorisation des autorités irlandaises de la concurrence pour le rachat de l’opérateur historique Eir (voir La rem n°46-47, p.48). La même logique est d’ailleurs déployée par les opérateurs contrôlés directement par la holding NJJ de Xavier Niel, partie prenante dans le rachat en cours de Eir. En juillet 2018, Monaco Telecom, détenu par NJJ, a ainsi annoncé le rachat à l’opérateur sud-africain MTN de son opérateur chypriote pour 260 millions d’euros.
Sources :
- « La marque SFR s’efface pour laisser place à Altice », Fabienne Schmitt, Les Echos, 24 mai 2017.
- « Altice en piste pour l’introduction en Bourse de ses actifs américains », Fabienne Schmitt, Les Echos, 13 juin 2017.
- « Altice devrait partir à l’assaut de Wall Street ce jeudi », Fabienne Schmitt, Les Echos, 20 juin 2017.
- « Altice USA fait son entrée à la Bourse de New York », Elsa Bembaron, Le Figaro, 22 juin 2017.
- « Drahi à nouveau au cœur des rumeurs sur le marché américain », Nicolas Richaud, Les Echos, 10 août 2017.
- « Altice franchit 95 % de SFR et lance une offre publique de retrait », Laurence Boisseau, Alexandre Counis, Les Echos, 11 août 2017.
- « Altice se prépare à être paient aux États-Unis », Elsa Conesa, Les Echos, 13 septembre 2017.
- « SFR en difficulté, Altice plonge en Bourse », Sébastien Dumoulin, Les Echos, 6 novembre 2017.
- « Altice a perdu 25 % de sa valeur en deux jours », Elsa Bembaron, Le Figaro, 7 novembre 2017.
- « Altice se lance dans le mobile aux États-Unis », Sébastien Dumoulin, Les Echos, 7 novembre 2017.
- « Patrick Drahi crée un électrochoc pour sortir SFR du marasme », Sébastien Dumoulin, Fabienne Schmitt, Les Echos, 13 novembre 2017.
- « Patrick Drahi, le président d’Altice, fait son mea culpa », Elsa Bembaron, Le Figaro, 16 novembre 2017.
- « Altice ou la délicate reconquête des marchés financiers », Fabienne Schmitt, Les Echos, 23 novembre 2017.
- « SFR remet à plat sa stratégie OTT », Marina Alcaraz, Les Echos, 28 novembre 2017.
- « L’opérateur télécoms SFR persiste et signe dans les contenus audiovisuels », Fabienne Schmitt, Les Echos, 29 novembre 2017.
- « Altice cède deux petites filiales en Suisse », Sébastien Dumoulin, Les Echos, 4 décembre 2017.
- « SFR abandonne son plan de fibrer 100 % des foyers français », Elsa Bembaron, Le Figaro, 13 décembre 2017.
- « Altice se scinde en deux pour rassurer les marchés », Elsa Bembaron, Le Figaro, 10 janvier 2018.
- « Altice US profite à plein de la réforme fiscale de Trump », Elsa Bembaron, Le Figaro, 2 mars 2018.
- « SFR clarifie ses tarifs et ouvre ses offres de sport à ses concurrents », Elsa Bembaron, Le Figaro, 21 mars 2018.
- « Alain Weill : « Notre activité média atteindra 1 milliard d’euros » », interview d’Alain Weill, PDG d’Altice France, Enguérand Renault, Le Figaro, 26 mars 2018.
- « Free cherche un nouveau modèle pour se relancer », Elsa Bembaron, Le Figaro, 16 mai 2018.
- « Renversement de tendance dans les télécoms », Sébastien Dumoulin, Les Echos, 18 mai 2018.
- « Free casse les prix du mobile en Italie », Elsa Bembaron, Le Figaro, 30 mai 2018.
- « Free brade ses box Internet pour se relancer », Sébastien Dumoulin, Les Echos, 1er juin 2018.
- « SFR et Orange prêts à rapprocher leurs chaînes cinéma et séries », Fabienne Schmitt, Les Echos, 4 juin 2018.
- « Altice renonce au rachat du portugais Media Capital », Elsa Bembaron, Le Figaro, 19 juin 2018.
- « Altice va réduire sa dette de 2,5 milliards grâce à ses tours », Raphaël Balenieri, Anne Drif, Les Echos, 21 juin 2018.
- « SFR investit 1 milliard dans les contenus audiovisuels, soit plus que TF1 », interview d’Alain Weill, PDG d’Altice France, Marina Alcaraz, Raphaël Balenieri, Fabienne Schmitt, Les Echos, 4 juillet 2018.
- « Malgré des gains d’abonnés, Altice peine à convaincre », Raphaël Balenieri, Les Echos, 3 août 2018.
- « RMC Sport : l’heure de vérité pour les ambitions d’Altice dans le sport », Nicolas Madelaine, Les Echos, 22 août 2018.
- « Free perd des abonnés mais améliore ses marges », Sébastien Dumoulin, Les Echos, 5 septembre 2018.
- « Altice ouvre le capital de son réseau de fibre optique », Anne Drif, Les Echos, 10 septembre 2018.
- « Canal+ va distribuer RMC Sport », Elsa Bembaron, Caroline Sallé, Le Figaro, 19 septembre 2018.