En décidant de mesurer l’audience des contenus sur Netflix, Médiamétrie donne aux chaînes et aux producteurs les moyens de se comparer avec la plateforme de sVoD. Cette dernière s’impose dans les habitudes, surtout chez les 15-24 ans.
Le mois de septembre aura été douloureux pour les chaînes françaises : la durée d’écoute individuelle y a chuté de 18 minutes, comparé à septembre 2017, la faute au beau temps probablement. En octobre, la chute n’est que de 8 minutes, la faute assurément à Netflix et aux nouveaux usages de consommation de la vidéo en ligne. Le repli est donc important alors que la durée d’écoute était stable depuis 2016 : ce qui a conduit les chaînes à demander des précisions à Médiamétrie. La réponse est sans appel.
Les 15-24 ans sont toujours plus nombreux à délaisser le poste de télévision pour consulter d’autres écrans. Selon le baromètre sVoD d’octobre 2018, 45,4 % de cette tranche d’âge a un contact quotidien avec la télévision linéaire, contre 72,9 % pour l’ensemble de la population (4 ans et plus dans la nomenclature Médiamétrie). Le déséquilibre générationnel est également constaté pour la consommation en différé et en replay sur TV qui concerne 13,9 % des Français, mais 7,6 % des 15-24 ans. Décidément, les 15-24 ans délaissent le poste de télévision. En effet, les proportions s’inversent quand il s’agit de pratiquer le « live et le replay » sur trois écrans (ordinateur, mobile et tablette) puisque la pratique concerne quotidiennement 17,7 % des 15-24 ans contre 8,2 % des Français. Quand il s’agit de sVoD (sur les quatre écrans), l’écart est encore plus important : 21,9 % des 15-24 ans déclarent un contact quotidien, mais seulement 7,1 % des Français de 4 ans et plus.
Cette tranche d’âge n’est pas la seule à délaisser la télévision. Dans son baromètre de la sVoD d’octobre 2018, Médiamétrie indique que 30 % des internautes déclarent avoir utilisé un service de sVoD dans les douze derniers mois, contre 20 % en 2017. Il y a un « effet Netflix » sur la consommation des programmes audiovisuels, mesurée ici en « trois écrans » : en septembre 2018 : 29,2 % des 15-24 ans ont regardé Netflix (+ 31 % sur un an) et 14,4 % des Français de 4 ans et plus (+ 14,8 % sur un an).
C’est pour mieux prendre en compte ces évolutions dans la consommation des programmes que Médiamétrie a annoncé, lors de la publication des résultats de son baromètre sur la sVoD, la livraison mensuelle d’un nouvel indicateur dès janvier 2019. Cet indicateur portera sur l’audience mensuelle des programmes les plus regardés sur Netflix afin de mieux identifier les programmes qui retiennent l’attention des Français dans l’univers élargi de l’offre audiovisuelle. Il s’agit d’une donnée stratégique car Netflix ne donne pas de chiffres d’audience. Le service ne communique en effet que son nombre d’abonnés (4 millions en France mi-2018). Les producteurs sauront à cette occasion si les programmes qu’ils vendent aux plateformes de sVoD touchent un public large ou ciblé. S’ils touchent largement le public, cet indicateur leur conférera immanquablement un attrait nouveau pour les chaînes. À l’aune des audiences des séries de Netflix, les chaînes pourront de leur côté rappeler la puissance de leurs soirées, les plus grandes chaînes parvenant à mobiliser plusieurs millions de téléspectateurs simultanément autour d’un programme.
Si le nouvel indicateur permet aux chaînes de rappeler l’intérêt de leurs écrans pour la communication publicitaire, quand le « payant » génère des audiences plus confidentielles et éclatées, il n’en reste pas moins que le succès constaté de la sVoD constitue une réelle menace. Selon le CSA, le marché de la sVoD a représenté 249 millions d’euros en France en 2017, un chiffre en hausse de 91 %. La propension à payer pour disposer d’une offre enrichie de programmes semble ainsi s’installer en France même si le taux de pénétration de la sVoD y est seulement de 10 %, contre 53 % en Norvège, 50 % au Danemark ou encore 43 % au Royaume-Uni, la faute au piratage et à l’efficacité des offres triple play des opérateurs français. Même en retard, la France finira par rattraper les autres pays européens, le taux maximal de pénétration des offres de sVoD étant encore inconnu. Ainsi, aux États-Unis, où Netflix a prospéré en premier, la sVoD concernait déjà deux tiers des foyers en 2018. Mais ces derniers ont depuis toujours l’habitude de payer pour regarder la télévision, le cord cutting ayant conduit à remplacer un abonnement par un autre (voir La rem, n°45, p.74).
En France, la situation est différente, et le succès de la sVoD ne menacera pas de la même façon les chaînes en clair, solidement installées. Il reste qu’aux États-Unis le succès de la sVoD s’est traduit par une baisse des audiences des chaînes en clair, par une baisse corrélative de leurs recettes publicitaires, et aussi de leur cours en Bourse. C’est cet avenir sombre que Morgan Stanley a d’ailleurs prédit pour les chaînes européennes en clair. Dans une note aux investisseurs, relayée par Reuters le 29 juin 2018, la banque d’affaires estime à 20 % le taux de pénétration de Netflix à partir duquel s’enclenche la baisse de la consommation des chaînes linéaires et de leurs revenus publicitaires, un seuil qui devrait être atteint en Europe dans cinq ans.
La chaîne la plus touchée sera « mécaniquement » TF1, qui dispose des plus fortes audiences et des recettes publicitaires les plus importantes ; sauf à résister à la concurrence des plateformes de sVoD grâce à une connaissance plus fine des audiences que leurs programmes génèrent et que Médiamétrie s’apprête à communiquer. Selon NPA Conseil cité par Les Echos, l’audience des plateformes recule en effet quand la télévision programme des séries qui touchent les jeunes, comme Les Bracelets rouges sur TF1 ou un film attrayant le dimanche soir. La télévision peut donc résister à la sVoD en travaillant son antenne. Mais NPA Conseil ne délivre pas que des bonnes nouvelles pour les chaînes. Dans une étude portant sur 2 000 personnes, dont les résultats ont été révélés en janvier 2019, NPA Conseil estime par extrapolation que 1,7 million de Français regardent tous les jours la sVoD en prime time, dont 60 à 70 % sur Netflix. Si la différence n’est plus faite dans les classements entre chaînes linéaires et consommation à la demande, ces chiffres signifient qu’en prime time Netflix est déjà la cinquième chaîne française.
Sources :
- « 12 ans de SVOD en France : le marché et la stratégie des plateformes vus par le CSA », Sébastien Gavois, nextinpact.com, 29 mai 2018.
- « Morgan Stanley prédit un sombre avenir aux TV européennes », Reuters, lesechos.fr, 29 juin 2018.
- « Les télévisions européennes mises à mal par le rouleau compresseur Netflix », Caroline Sallé, Le Figaro, 4 juillet 2018.
- « Les Français, même les moins jeunes, regardent la télévision moins longtemps », Marina Alcaraz, Les Echos, 8 novembre 2018.
- « Médiamétrie intègre Netflix dans ses mesures d’audience », Marina Alcaraz, Les Echos, 15 novembre 2018.
- « Vidéo sur Internet. Quelles audiences pour Netflix ? », NetLetter, Médiamétrie, 22 novembre 2018.
- « Netflix, « cinquième » chaîne en prime time », Marina Alcaraz, Les Echos, 30 janvier 2019.