En lançant un réseau national de télévisions locales, Bruno Ledoux et le Groupe Médias du Sud comptent s’imposer auprès des annonceurs nationaux et occuper un terrain qui échappe encore aux grands groupes audiovisuels français. Mais Altice est en embuscade.
Le 4 juillet 2018, Christophe Musset, fondateur du groupe Médias du Sud, et Bruno Ledoux, ancien actionnaire majoritaire de Libération et ancien associé de Patrick Drahi, annonçaient le lancement d’un réseau national de télévisions locales baptisé Vià. Ce réseau national s’inspire dans son fonctionnement des Indés Radio, à savoir un groupement d’intérêt économique (GIE) qui associe chacune des chaînes partenaires au capital de Vià, avec des parts variables allant de 5 à 15 % du total du capital. Le réseau est en revanche majoritairement détenu par Bruno Ledoux et n’a pas vocation à posséder des participations dans les chaînes partenaires, qui conservent donc leur indépendance capitalistique. Au total, le réseau Vià fédère 22 chaînes locales, couvrant ainsi 30 millions d’habitants, et vise 30 chaînes locales en 2020, afin de couvrir jusqu’à 40 millions d’habitants, ce qui passera par une présence dans les grandes métropoles encore absentes du réseau, à savoir Lyon, Marseille, Nice, Bordeaux et Rennes.
À vrai dire, atteindre cet objectif pourrait être difficile. En effet, le réseau Vià repose historiquement sur le groupe Médias du Sud dans lequel Bruno Ledoux détient 25 % à travers le Nouvel Economiste. Médias du Sud édite quatre chaînes en Occitanie, qui émettent sous la marque Vià Occitanie depuis septembre 2017 et couvrent Toulouse, Montpellier, Nîmes et Perpignan. S’ajoutent les chaînes ultramarines d’ATV (Martinique, Guadeloupe et Guyane) contrôlées également par Médias du Sud. À côté des chaînes éditées par Médias du Sud se trouvent les chaînes de Vià Grand Paris, qui fut le partenaire historique du Groupe Médias du Sud dans l’émergence de Vià en 2017. Mais c’est bien en juillet 2018 que le réseau Vià a pris une dimension quasiment nationale avec l’arrivée des chaînes du groupe La Voix du Nord (Weo Lille et Picardie), du Télégramme (Tébéo, Tébésud) et d’autres télévisions locales. Reste donc à convaincre les chaînes locales des grandes métropoles, encore absentes de la carte du réseau Vià, afin de proposer aux annonceurs une véritable couverture nationale.
À Lyon, les choses seront difficiles car TLM, la chaîne locale de Lyon, a été rachetée par Altice, qui a annoncé, le 10 octobre 2018, sa transformation en BFM Lyon, donnant ainsi naissance à un réseau alternatif qui associe déjà Lyon et Paris, BFM Paris ayant été lancée le 7 novembre 2016 (voir La rem, n° 40, p.45). Or, SFR a les moyens de proposer très rapidement une couverture nationale, grâce à la distribution de ses chaînes locales sur les box de ses abonnés.
L’émergence annoncée de deux réseaux nationaux de télévision locale est problématique quand l’objectif de Vià, avec 30 chaînes à terme, est de réaliser une part d’audience nationale de 1 %, l’équivalent donc d’une petite chaîne de la TNT nationale. Pour Christophe Musset, la période est pourtant propice. En effet, la diffusion numérique permet une plus grande mutualisation des programmes, avec notamment la possibilité de campagnes publicitaires nationales à travers la diffusion simultanée du même spot sur l’ensemble des antennes du réseau. C’est cet objectif d’élargissement du marché publicitaire aux annonceurs nationaux qui a conduit Vià à adhérer au Mediamat de Médiametrie. Les chaînes locales continueront également de profiter de la publicité locale, quand les chaînes nationales n’ont pas obtenu pour l’instant l’autorisation de la publicité segmentée (voir La rem, n°44, p.35). Il s’agit donc pour elles d’occuper le terrain avant l’arrivée des chaînes nationales si, toutefois, une évolution réglementaire du marché publicitaire télévisé devait avoir lieu.
Pour s’imposer localement, les chaînes partenaires du réseau Vià vont notamment bénéficier d’un habillage commun, d’une marque forte, et enfin d’une tête de réseau qui pourra prendre en charge une grande partie des moyens techniques mis en commun, de la régie ou encore des opérations de marketing. Néanmoins l’opération s’inscrit dans un contexte menaçant, d’abord parce que le lobbying des chaînes nationales est de plus en plus intense pour obtenir l’autorisation de la publicité segmentée, ensuite parce que la réforme en cours de l’audiovisuel public doit conduire France 3 à augmenter significativement la part des programmes régionaux dans la grille de ses chaînes.
Sources :
- « Coup d’envoi du réseau de 22 chaînes locales », Marina Alcaraz, Les Echos, 5 juillet 2018.
- « Fort de 22 chaînes locales, le réseau national de télévisions locales Réseau Vià se lance sous l’égide de son prédisent, M. Christophe Musset, et de M. Bruno Ledoux », La Correspondance de la Presse, 5 juillet 2018.
- « Altice rachète la chaîne locale TLM pour créer BFM Lyon », bfmtv.com, 10 octobre 2018.