Spotify joue la carte du podcast

Le rachat de trois entreprises de podcasts par Spotify témoigne du succès de ce nouveau format. Il prend acte de l’élargissement de l’offre du leader du streaming musical qui se positionne ainsi comme un « Netflix de l’audio ».

Si le marché des podcasts semble émerger dans la plupart des pays développés, c’est aux États-Unis qu’il commence à compter véritablement. Ainsi, selon le cabinet eMarketer, les auditeurs américains de podcasts seront 76,4 millions en 2019 et 80 millions en 2020, soit 37,3 % des auditeurs américains en ligne. À côté de la radio en streaming, le podcasting s’impose donc dans les habitudes avec, comme sources principales de financement, les ressources publicitaires et les micro-paiements (voir La rem n°48, p.61). Selon l’IAB, le chiffre d’affaires publicitaire du podcast dans le monde était de 650 millions de dollars en 2018, dont 400 millions pour les États-Unis, et devrait dépasser le milliard de dollars dès 2020, dont 620 millions aux États-Unis. S’ajoute à ce chiffre d’affaires publicitaire celui généré par les abonnements, le marché étant encore embryonnaire avec des initiatives comme Sybel en France ou Luminary aux États-Unis. Le podcast sur abonnement peut également se retrouver au sein d’offres plus larges, comme des abonnements à Spotify, le groupe suédois de streaming musical ayant fait du podcast un axe stratégique de ses futurs développements.

Pour Daniel Ek, son fondateur, le podcasting devrait représenter à terme 20 % du temps d’écoute sur le service de streaming musical. Leader dans le monde avec 100 millions d’abonnés payants au premier trimestre 2019 et 217 millions d’utilisateurs actifs en incluant les écoutes gratuites, Spotify joue donc désormais la carte du podcast sur laquelle avait très tôt misé Apple Music pour se garantir des exclusivités. En effet, sur le marché du streaming musical, les offres sont relativement universelles parce qu’elles fédèrent l’ensemble des catalogues des majors et des indépendants, à l’inverse du marché de la sVoD construit sur des exclusivités. Cette logique d’exclusivité impose aux distributeurs d’investir également dans la production, sur le modèle de Netflix. C’est le choix fait par Spotify qui a annoncé investir entre 400 et 500 millions de dollars dans les podcasts en 2019.

Cet investissement confirme une stratégie élaborée depuis l’été 2018, quand Spotify a distribué ses premiers podcasts originaux, comme « 3 Girls, 1 Keith » de la comédienne Amy Schumer, de « Chapo » produit par Vice News ou encore du podcast du rappeur Joe Budden. En disposant de ces exclusivités, Spotify tente de mieux fidéliser ses utilisateurs. Il fait également évoluer son modèle économique. En effet, les offres de streaming musical dépendent d’accords de licence avec les majors qui indexent les reversements sur le nombre d’écoutes. Dès lors, toute hausse du nombre d’abonnés se traduit par une hausse mécanique des reversements aux plateformes, qui sont les premières bénéficiaires du succès du streaming musical. Ainsi, Spotify reverse 70 % de son chiffre d’affaires aux producteurs. En contrôlant une partie de son offre grâce aux podcasts, Spotify pourra abaisser la part de son chiffre d’affaires reversée aux majors et donc augmenter mécaniquement sa marge. En effet, la distribution de contenus dont les droits sont contrôlés engendre de très importantes économies d’échelle, ce qui avantage les acteurs en position de leader sur leur marché, à l’instar de Spotify. Enfin, cette augmentation espérée de la marge s’impose également à Spotify qui est entré en Bourse en avril 2018 et doit donc répondre de ses performances devant ses actionnaires. Créé en 2006, Spotify est toujours déficitaire avec un chiffre d’affaires 2018 de 5,3 milliards d’euros et une perte opérationnelle de 43 millions d’euros (contre 378 millions d’euros en 2017).

Fort de cette nouvelle stratégie, le groupe s’est lancé dans une politique d’acquisitions qui s’est traduite, le 6 février 2019, par l’annonce du rachat de deux sociétés de podcasts, Gimlet Media et Anchor, pour 340 millions de dollars. L’investissement principal concerne Gimlet Media, avec 230 millions de dollars. Il faut souligner que cet acteur américain du podcast, créé en 2014, s’est fait remarquer grâce au succès de son podcast « Homecoming », dont Amazon a racheté les droits pour une adaptation à l’écran. C’est d’ailleurs là tout l’intérêt du podcast pour un groupe comme Spotify : de simple distributeur, il le transforme en acteur global des industries culturelles. Une entreprise comme Gimlet édite ainsi des podcasts, mais elle fabrique aussi des personnages, des histoires, des ambiances qui, à partir du podcast, deviennent des licences exploitables dans d’autres univers médiatiques, ce dont se charge sa division Gimlet Pictures qui « licencie » les droits des podcasts pour des adaptations cinématographiques et audiovisuelles. Et ces droits sont enrichis d’une connaissance fine des réactions des auditeurs de podcasts.

La deuxième société de podcasts rachetée par Spotify, Anchor, vise principalement les nouveaux talents puisqu’elle propose un outil de production de podcasts et des services de monétisation. C’est d’ailleurs sur la monétisation que Spotify pourra également faire évoluer son modèle économique. Alors que son chiffre d’affaires est principalement constitué par les revenus des abonnements, son développement dans le podcast lui permettra de profiter de la dynamique du format sur le marché publicitaire en ligne.

Depuis, Spotify continue d’enrichir son offre de podcasts avec l’annonce, en mars 2019, du rachat du studio Parcast, lequel produit des podcasts centrés sur la fiction et les affaires policières. À cette date, le catalogue de podcasts de Spotify comptait déjà 7 millions de références, dont une grande partie des droits ne sont pas contrôlés par l’entreprise suédoise. C’est donc un parcours à la Netflix que le service de streaming inaugure, qui doit le conduire à s’affranchir progressivement de sa dépendance aux ayants droit du podcast grâce au contrôle de ses propres studios.

Sources :

  • « Hollywood se tourne vers les podcasts pour ses nouvelles séries », Anaïs Moutot, Les Echos, 15 janvier 2019.
  • « Spotify veut racheter un studio de podcasts », Lucie Ronfaut, Le Figaro, 4 février 2019.
  • « Spotify pourrait miser 200 millions sur les podcasts », Sébastien Dumoulin, Les Echos, 4 février 2019.
  • « Spotify va monter le volume des podcasts », Caroline Sallé, Le Figaro, 7 février 2019.
  • « Spotify accélère dans le podcast avec deux acquisitions », Gabriel Nedelec, Les Echos, 7 février 2019.
  • « Avec les podcasts, Spotify se rapproche du modèle Netflix », Jean-Philippe Louis, Les Echos, 13 mars 2019.
  • « Spotify rachète sa troisième entreprise de podcasts », N.M., Les Echos, 28 mars 2019.
  • « 100 millions d’abonnés payants sur Spotify », Kesso Diallo, Le Figaro, 3 avril 2019. 
Professeur à Aix-Marseille Université, Institut méditerranéen des sciences de l’information et de la communication (IMSIC, Aix-Marseille Univ., Université de Toulon), École de journalisme et de communication d’Aix-Marseille (EJCAM)

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