« Une rationalisation totale de l’exécution du travail où chaque mouvement est pensé pour un maximum d’ »efficacité » et de « vitesse » »
Ce rapport met en lumière les pratiques d’Amazon et, chiffres à l’appui, dénonce son impunité à la fois fiscale, sociale et environnementale. L’entreprise, capitalisée 865 milliards de dollars et dirigée par Jeff Bezos, « dissimule 57 % de son chiffre d’affaires réalisé en France » où « elle a détruit en 2018 trois millions de produits neufs, invendus ». Aux États-Unis, « pour un emploi créé par Amazon, deux disparaissent ».
Les auteurs ont analysé en toute rigueur les dérives du leader mondial du commerce en ligne en s’intéressant tout d’abord à ses pratiques d’évasion fiscale, qui sont « en quelque sorte dans l’ADN de la multinationale ». Aux États-Unis, pays où est établi son siège social, « son taux d’imposition s’est élevé en moyenne à environ 3 %, loin des 35 % ou, depuis 2017, des 21 % de taux « nominaux » d’imposition des bénéfices des sociétés ». En Europe, l’entreprise procède à des montages fiscaux transitant par le Luxembourg, lui permettant ainsi de s’exonérer de près des trois quarts de son impôt sur les bénéfices réalisés en Europe. Une autre pratique d’évasion fiscale consiste à s’auto-facturer l’utilisation de la marque Amazon pour effacer les bénéfices imposables d’un pays vers une filiale à la fiscalité moins contraignante. Alors qu’Amazon déclarait en 2016 un chiffre d’affaires de 21,6 milliards d’euros en Europe, elle ne payait un impôt sur les sociétés qu’à hauteur de 16,5 millions d’euros. Toutes les techniques sont utilisées pour parvenir à ce résultat : lobbying, promesses puis chantage à l’emploi, procédure juridique systématique pour s’opposer aux décisions administratives, captation d’aides fiscales. Pour les auteurs du rapport, qui ne considèrent pas la taxe Gafa comme efficace, « la mise en place de la taxation unitaire et du reporting pays par pays permettrait d’imposer efficacement Amazon et à la France d’augmenter ses recettes fiscales auprès de l’entreprise à hauteur de 70 % ».
Le rapport s’intéresse ensuite à l’impact environnemental des activités d’Amazon, concernant particulièrement la fabrication de produits, le transport de marchandises et le stockage de données. Après avoir refusé pendant de nombreuses années de présenter le bilan carbone de ses activités de transport, Amazon a finalement publié en 2019 un document « dont les calculs sont très flous ». Au-delà des effets d’annonce, comme l’approvisionnement de ses installations en énergie renouvelables prévu en 2030, qui ne couvriraient en réalité que 6 % des entrepôts d’Amazon, le groupe développe en même temps le transport aérien en Europe et aux États-Unis. En juillet 2019, « Amazon a ainsi transporté 29 % de produits en plus par avion » par rapport à 2018.
Les dérives sociales d’Amazon sont à l’image de ses pratiques en matière d’optimisation fiscale et de son désintérêt pour son impact environnemental. Avec 645 000 salariés dans le monde, la société dispose de sites logistiques dans neuf pays européens parmi lesquels l’Allemagne, son premier marché en Europe, suivie par la France. Dans l’Hexagone, Amazon dispose de six sites logistiques et de dix agences de livraison depuis 2017, afin de s’affranchir de La Poste et de ses concurrents, auxquels s’ajoutent deux centres de tri. Partout, l’entreprise fait appel à une main-d’œuvre souvent non qualifiée et recourt massivement à l’emploi d’intérimaires. Amazon a ainsi mis sur pied « une rationalisation totale de l’exécution du travail où chaque mouvement est pensé pour un maximum « d’efficacité » et de « vitesse » », ce qui provoque de nombreux « syndromes d’épuisement, d’accidents du travail et de licenciements pour inaptitude ». Le management est contrôlé par de « puissants algorithmes visant une amélioration perpétuelle de la performance » et destinés à écarter ceux qui ne s’adaptent pas.
La présence d’Amazon a un impact direct sur l’économie locale. Aux États-Unis, « pour un emploi créé par Amazon, deux emplois sont détruits ». Le rapport fait état des mouvements sociaux que l’entreprise génère, notamment en Europe depuis 2015. Des grèves, parfois sauvages, immobilisent certains sites lorsque les employés parviennent à se coordonner pour protester contre leurs conditions de travail trop dures, comme ce fut le cas en Allemagne, en Pologne et en Espagne au cours de l’année 2018. En France, le mouvement des Gilets jaunes a fait d’Amazon une cible privilégiée et de nombreux sites ont été bloqués pour dénoncer à la fois les « évasions fiscales record et la destruction d’emplois ». Dorénavant, élus et habitants, de plus en plus conscients des pratiques de la multinationale, n’hésitent pas à s’opposer à ses projets d’implantation, « comme à Tremblay-en- France (93), à Nîmes ou à New York où Amazon avait prévu d’installer son nouveau siège ».
Immersion dans le modèle Amazon – Impunité fiscale, sociale, environnementale, Attac France, Les Amis de la Terre, l’Union syndicale Solidaires, novembre 2019.