Pour les sites marchands, les messages publicitaires ou les programmes de télévision, l’étude qualitative du public s’enrichit progressivement d’un nouvel indice composé des « données émotionnelles ». En 2019, la société Médiamétrie l’a intégré à son étude de référence sur le public du cinéma.
Entre mai et juin 2019, la société Médiamétrie a inauguré un dispositif mis au point par la société Datakalab, permettant d’enregistrer les expressions du visage des spectateurs. Ce premier test effectué en ligne, grâce à une webcam, a permis de mesurer l’efficacité de la bande-annonce d’œuvres cinématographiques de genres différents – une comédie, un film d’animation et un film d’action – auprès d’un panel composé de 900 spectateurs installés devant un ordinateur. L’expérience a également été menée, auprès d’un public composé de volontaires, dans une salle de cinéma équipée de caméras de chaque côté de l’écran. Ce nouvel indice « émotionnel » vient compléter les données déclaratives habituelles des études consacrées au public du cinéma.
Lancée en mars 2016 dans le monde de la braintech, qui associe neurosciences et nouvelles technologies, la start-up française Datakalab, à l’instar de ses concurrentes Affectiva ou Emotient (rachetée par Apple en 2016), a pour spécialité la conversion des émotions, positives ou négatives, en données marketing. Afin de détecter les impressions ressenties par les consommateurs potentiels, Datakalab a recours au facial coding, technique associant la captation et la transcription des micromouvements du visage à la capacité de calcul de l’intelligence artificielle. La start-up a également mis au point des bracelets connectés qui enregistrent la fréquence cardiaque, la température de la peau et la micro-sudation des personnes sondées. Un traitement algorithmique des données ainsi collectées permet ensuite à Datakalab de fournir un bilan, minute par minute, du niveau d’intensité des émotions. Un test mené sur un panel de consommateurs porteurs d’un bracelet a convaincu l’enseigne Mr Bricolage de revoir à la baisse la superficie de ses magasins afin de leur donner une taille plus humaine. La SNCF s’est également appuyée sur les résultats d’un test conçu et administré par Datakalab pour représenter le parcours « émotionnel » des passagers dans la gare d’Aix-en-Provence afin d’en configurer le nouvel aménagement.
À l’occasion de l’édition 2019 du CES (Consumer Electronics Show) de Las Vegas, la start-up française a présenté son logiciel Datakalab Website, destiné à analyser les émotions des internautes visitant les sites de commerce en ligne. Cette solution est, en outre, associée à une technologie d’IBM baptisée Tealeaf qui assure le suivi et l’analyse des comportements de navigation en ligne. Commercialisé en mode SaaS (software as a service), Datakalab compte notamment parmi ses clients, BNP Paribas, la SNCF et Eram.
Pour les régies des chaînes de télévision, l’émotion des téléspectateurs est progressivement considérée comme un indicateur de valorisation des espaces publicitaires. En 2018, la chaîne TF1 a engagé des essais dans ce sens avec Datakalab, afin de fixer, par exemple, le prix de la coupure publicitaire durant l’émission The Voice. M6 Publicité propose une offre commerciale associant message publicitaire et émotion. Au Royaume-Uni, la start-up CrowdEmotion analyse les réactions émotionnelles du public de certaines émissions de la BBC Worldwide.
Selon Datakalab, les mesures effectuées à la demande de TF1 et de France Télévisions Publicité montrent le lien entre l’impact émotionnel d’un programme et l’attention portée à une publicité. Comme l’expliquait l’ancienne présidente de Datakalab, Anne-Marie Gaultier : « 90 % des stimuli qui nous affectent dans la journée sont traités par l’inconscient. Les études qui reposent sur des déclarations ne mesurent donc que partiellement le ressenti des consommateurs. »
Au sein de l’industrie cinématographique, la mesure de l’émotion est déjà un procédé très rôdé, en particulier pour l’élaboration d’une bande-annonce. En France, Datakalab a d’ailleurs remporté un vrai succès à l’occasion de la sortie en France du film L’Empereur, produit par Walt Disney en février 2017. Après avoir fait évaluer par Datakalab l’impact émotionnel de la bande-annonce sur un panel de spectateurs, la major décida en effet de changer le titre du long métrage initialement choisi pour le marché français, à savoir L’Appel de l’Antarctique. Selon Médiamétrie, au moins un tiers des spectateurs français considère la bande-annonce comme étant l’élément déterminant du choix d’un film. En outre, 3 spectateurs sur 4 déclarent que le cinéma est « avant tout un vecteur d’émotions ».
Jusqu’à présent, les tests réalisés pour vérifier l’efficacité d’une bande-annonce ou le succès potentiel d’un film permettaient de recueillir uniquement, sur un mode déclaratif, les impressions des spectateurs (sur le casting, les personnages, les décors, la musique…). L’algorithme mis au point par Datakalab, à partir d’une base de données de centaines de milliers d’images, est capable de mesurer l’attention du spectateur en identifiant les mouvements du nez, des yeux, de la bouche, et surtout en analysant les micro-émotions spontanées émises par les quarante-deux muscles du visage, à partir de la classification établie, dans les années 1960, par le psychologue américain Paul Ekman. Des graphiques dessinent, à la seconde près la nature, la fréquence et l’intensité des émotions. En l’occurrence, quatre indicateurs clés ont été définis par Médiamétrie et Datakalab : l’attention, la présence d’émotions, l’émotion positive et l’émotion divergente. Xavier Fischer, directeur général de Datakalab, explique : « L’être humain n’a pas la capacité de stockage de son émotion. On ne peut pas dire quels sont nos micro-ressentis passés. Notre but est de transformer ces signes extérieurs d’émotions en données pour pouvoir ensuite les utiliser. »
Directrice du pôle Cinéma et Entertainment de Médiamétrie, Marine Boulanger résume ainsi l’importance de cette collaboration avec Datakalab : « La bataille de l’attention autour des contenus vidéo est de plus en plus soutenue. Les enjeux commerciaux liés au film deviennent centraux et il est indispensable de proposer le meilleur contenu possible, en vérifiant son efficacité. »
Sources :
- « Datakalab dissèque les émotions pour aider les pros à booster leur CA », Lélia de Matharel, journaldunet.com, 19 juin 2017.
- « L’audiovisuel mise de plus en plus sur les neurosciences », Marina Alcaraz, lesechos.fr, 26 mars 2018.
- « Datakalab étend la mesure des émotions aux sites e-commerce », Clément Fages, e-marketing.fr, 8 janvier 2019.
- « CES 2019 : Datakalab transforme les émotions en données », Déborah Loye, lesechos.fr, 9 janvier 2019.
- « L’émotion des spectateurs au cœur de la mesure cinéma de Médiamétrie », communiqué de presse, mediametrie.fr, 11 juillet 2019.
- « Cinéma : les émotions du public sous les projecteurs », Laure Osmanian Molinero, Résultats & Repères, Audience le mag, mediametrie.fr, 17 décembre 2019.