Conflit avec Vivendi, rapprochement avec Sky Italia, montée au capital de ProSiebenSat.1, constitution d’une holding européenne : Mediaset sort de ses frontières pour mieux résister aux multiples concurrences venues de la SVOD. Son ex-allié suit la même voie avec Canal+, qui s’est emparé de M7 pour étendre ses activités de distribution en Europe.
Quand ils s’étaient entendus sur la création d’un « Netflix du Sud », le 8 avril 2016, les groupes Mediaset et Vivendi avaient pris acte de l’impossibilité pour les acteurs nationaux de la télévision de résister aux concurrences nouvelles venues de la SVOD (voir La rem n°38-39, p.63). À l’époque, la télévision payante semblait la première concernée, les chaînes en clair étant protégées par leur gratuité. C’était d’ailleurs le pari de Mediaset quand il renonçait à son aventure dans la télévision payante. Trop peu solide face à Sky Italia, fragilisée par l’envolée des droits du football, la filiale de télévision payante Mediaset Premium devait rejoindre le groupe Vivendi pour aider Canal+ à faire émerger une offre de SVOD paneuropéenne quand, sur son autre versant, le partenariat transalpin devait permettre à Mediaset de se consacrer à ses activités de télévision en clair en Italie et en Espagne.
Mediaset Premium était semble-t-il déjà trop fragilisé puisque Vivendi remettra en cause l’accord avec Mediaset et renoncera au partenariat, sauf à obtenir une part plus importante du capital dans le groupe italien. La fin de non-recevoir de Mediaset entraînera la montée surprise de Vivendi au capital de Mediaset, en juillet 2016, avec 28,8 % des parts contre 44,2 % pour Mediaset (voir La rem n°41, p.65).
Les projets européens des deux ex-alliés semblaient alors devoir s’arrêter net, une longue procédure judiciaire étant entamée. Alors qu’il accuse Vivendi d’avoir manipulé le cours en Bourse de Mediaset, le groupe italien a obtenu en avril 2017 de l’Agcom, l’autorité italienne de régulation des médias, que Vivendi place près de 20 % de ses parts dans un trust sans droits de vote, condition sine qua non pour que Vivendi puisse conserver son influence dans Telecom Italia (voir La rem n°42-43, p.73). Avec moins de 10 % des droits de vote dans Mediaset, Vivendi a donc peu de possibilités de peser sur les décisions stratégiques de l’italien. Au demeurant, la médiation entre les deux groupes, imposée par la justice italienne, a avorté en février 2018. Deux mois plus tard, Mediaset rendait impossible la constitution du « Netflix européen » imaginé avec Vivendi en scellant un accord avec Sky Italia qui permet à ce dernier de distribuer Mediaset Premium avec, à moyen terme, la possibilité d’en prendre le contrôle.
Pourtant, le projet de rapprochement entre les deux groupes semblait être un choix assumé puisque, depuis, chacun de son côté, Vivendi et Mediaset avaient tout mis en œuvre pour gagner une envergure européenne leur permettant demain de résister avec leurs chaînes – mais également sur internet – à tous les acteurs de la SVOD, qu’il s’agisse de Netflix, d’Apple TV+, de Disney+ ou des offres à venir de WarnerMedia ou de Viacom (NBCUnivseral).
Présent en Espagne depuis 2003 avec Telecinco, Mediaset, le 29 mai 2019, a mis un pied en Allemagne, en Autriche et en Suisse en montant au capital de ProsSiebenSat.1, à hauteur de 9,6 %. Mediaset renforce ainsi ses relations avec le groupe allemand qu’il compte déjà comme partenaire au sein de l’European Media Alliance (voir La rem n°41, p.37). Le 11 novembre 2019, Mediaset annonçait avoir augmenté sa participation dans ProSiebenSat.1 à 15,1 % du capital, ce qui en fait le premier actionnaire du groupe. Un rapprochement est donc désormais possible, même si Mediaset devra convaincre les autres actionnaires de ProSiebenSat.1, dont Czech Media Invest (CMI) de Daniel Kretinsky, qui a lui aussi fait son entrée au capital de ProSiebenSat.1 en novembre 2019, à hauteur de 4,07 %. Ce rapprochement devrait passer par la structure européenne que Mediaset cherche à mettre sur pied.
En effet, le 7 juin 2019, Mediaset annonçait sa volonté de créer une holding néerlandaise, MediaForEurope (MFE), dans laquelle seraient logées ses activités italiennes et espagnoles, et dont la structure permettrait d’accueillir de nouveaux groupes afin de faire émerger un géant des médias en Europe. Cet objectif stratégique se double d’une seconde ambition, à savoir neutraliser définitivement Vivendi. En effet, le droit néerlandais autorise des votes multiples pour l’actionnaire principal, Fininvest (famille Berlusconi) qui, malgré la dilution de sa part dans le nouvel ensemble, prendra le contrôle de la nouvelle holding. Pour Vivendi, sa participation dans Mediaset sera diluée dans l’ensemble hispano-italien. Le groupe français s’y oppose en bonne logique mais l’assemblée générale de Mediaset a voté en faveur de la création de MFE le 4 septembre 2019. Pour Vivendi, ce vote n’est pas légitime. Mediaset s’est opposé à ce que le trust où sont logés les 20 % de capital de Vivendi puisse voter : Vivendi rappelle de son côté la position de la Commission européenne, qui considère comme non conforme aux règles européennes la décision de l’Agcom qui a imposé à Vivendi de placer ses parts dans un trust. Par ailleurs, la fusion de Mediaset et Mediaset Espana, en diluant sans contrepartie les actionnaires minoritaires, est considérée par Vivendi comme contraire à leurs intérêts. Le groupe français a réussi à faire valoir ce point de vue auprès du tribunal de commerce de Madrid qui, le 11 octobre 2019, suspendait en référé les décisions de l’assemblée générale de Mediaset du 4 septembre 2019, considérant que le projet MFE pénalise les actionnaires minoritaires et ne répond pas aux intérêts de Mediaset Espana.
Si le référé n’est que provisoire, le temps que la justice statue sur le fond, au moins a-t-il l’avantage pour Vivendi de bloquer le projet MFE. Mediaset a donc dû revenir à la table des négociations, Vivendi acceptant sur le principe de céder ses parts dans Mediaset et de verser un dédommagement en contrepartie de l’abandon de toutes les poursuites, à charge pour Mediaset de trouver un nouveau partenaire. Pour l’instant, les deux parties ne se sont pas mises d’accord sur le montant du rachat. Il faut en effet que Mediaset trouve un partenaire qui acceptera un pouvoir très limité dans le futur MFE taillé sur mesure pour la famille Berlusconi. Entre-temps, Mediaset a renforcé la pression sur Vivendi en faisant voter en assemblée générale, le 10 janvier 2020, une version amendée du projet MFE, censée répondre aux inquiétudes de la justice espagnole, qui devra de toute façon se prononcer sur le fond.
De son côté, Vivendi, à travers le Groupe Canal+, joue également la carte européenne en misant tout à la fois sur les activités de distribution et l’édition de chaînes et la production, un domaine où le groupe français est déjà très solide en Europe grâce à Studio Canal (voir La rem n°6-7, p.16). En novembre 2019, Canal+ s’est emparé de 70 % du capital de Kino Swiat, distributeur et producteur de films polonais, un marché où le groupe est historiquement présent (voir La rem n°21, p.24). Mais l’opération « structurante » pour le groupe français reste le rachat, annoncé en mai 2019, du groupe luxembourgeois M7 pour plus d’un milliard d’euros, ce qui en fait la seconde plus grosse acquisition du groupe après le rachat de TPS. Avec M7, Canal+ prend le contrôle de l’un des plus importants distributeurs de télévision payante en Europe, M7 opérant tout à la fois dans la télévision par satellite et les offres dites OTT (over the top), soit une distribution directement en ligne. Présent en Autriche, en Belgique, en Hongrie, aux Pays-Bas, en République tchèque, en Roumanie et en Slovaquie, M7 cumule trois millions d’abonnés qui viennent s’ajouter au parc des abonnés de Canal+ en Europe, en France, en Suisse et en Pologne. Canal+ étend donc ses activités de distribution de chaînes sur une grande partie du territoire européen où le groupe compte désormais 12 millions d’abonnés, dont 8 millions en France.
Il ne s’agit évidemment pas de proposer un Netflix européen puisque les activités de M7 ne concernent que la distribution et non l’édition des chaînes. Au moins cette activité a-t-elle un avantage, celui de ne pas interdire de distribuer aussi des offres concurrentes et de récupérer une partie du chiffre d’affaires généré par d’autres. C’est d’ailleurs la stratégie retenue en France par le Groupe Canal+, où il doit affronter la concurrence de Netflix. En devenant agrégateur d’offres premium, Canal+ peut sauver ses activités de distribution et devenir essentiel à ses concurrents, le groupe disposant par ailleurs, avec MyCanal, de la compétence technique pour proposer une interface pertinente en ligne. L’accord de distribution de Netflix, annoncé en France, porte également sur d’autres territoires en Europe, dont la Pologne. Avec M7, les possibilités de distribution d’offres premium tiers seront encore plus importantes. M7 permettra également au Groupe Canal+ de distribuer les chaînes où les contenus de son navire amiral français, un moyen de les amortir sur une base d’abonnés plus large et de compenser, à l’échelle internationale, les pertes constatées sur le marché français du fait de la concurrence de la SVOD.
Sources :
- « Berlusconi pactise avec Murdoch pour échapper à Vivendi », Nicolas Madelaine, Olivier Tosseri, Les Echos, 3 avril 2018.
- « Retour aux origines pour Mediaset », Olivier Tosseri, Les Echos, 16 mai 2019.
- « Avec l’acquisition de l’opérateur M7, Canal+ repart à l’offensive à l’international », David Barroux, Fabienne Schmitt, Les Echos, 28 mai 2019.
- « Canal+ met 1 milliard d’euros sur la table pour grandir en Europe », Caroline Sallé, Le Figaro, 28 mai 2019.
- « Télévision : Mediaset s’invite au capital de ProSiebenSat.1 », M.A., Olivier Tosseri, Les Echos, 31 mai 2019.
- « Vivendi ne veut pas être piégé par Mediaset », Nicolas Madelaine, Les Echos, 4 juillet 2019.
- « Vivendi marque des points avant l’assemblée générale de Mediaset », Raphaël Bloch, Nicolas Madelaine, Les Echos, 2 septembre 2019.
- « Le conflit s’envenime entre Mediaset et Vivendi », Olivier Tosseri, Les Echos, 5 septembre 2019.
- « Vivendi obtient le blocage du projet de groupe paneuropéen des médias de Mediaset », Olivier Tosseri, Les Echos, 14 octobre 2019.
- « Daniel Kretinsky entre au capital du groupe ProSieben », Chloé Woitier, Le Figaro, 28 octobre 2019.
- « Télévision : l’italien Mediaset devient le premier actionnaire de l’allemand ProSiebenSat.1 », Olivier Tosseri, Les Echos, 13 novembre 2019.
- « Mediaset : accord possible entre Berlusconi et Bolloré », Nicolas Madelaine, Les Echos, 25 novembre 2019.
- « Mediaset : le clan Berlusconi marque un point dans sa bataille avec Vivendi », Nicolas Madelaine, Les Echos, 13 janvier 2020.