Alors que Mondadori poursuit son désengagement de la presse magazine en cédant une partie de ses titres italiens, la famille Agnelli revient dans la presse avec le rachat du GEDI, un groupe créé en 2016 autour de la famille Benedetti à qui les Agnelli avaient cédé La Stampa.
Après la cession de ses magazines français à Reworld Media (voir La rem n°49, p.44), le groupe Mondadori poursuit son désengagement de la presse magazine en cédant cinq magazines en Italie. Contrôlé par la famille Berlusconi, Mondadori veut se recentrer sur les activités les moins touchées par la concurrence de l’internet, à savoir la vente de livres et le retail, à l’instar finalement des choix stratégiques opérés par le Groupe Lagardère en France. Seuls les magazines ayant un fort potentiel numérique devraient être conservés. Aussi le groupe a-t-il préféré se séparer de Confidenze, Cucina Moderne, Sale e Pepe, Starbene et Tustyle, revendus au groupe italien La Verita à qui Mondadori avait déjà cédé un magazine en 2018, Panorama. En Italie, les magazines cédés devront être restructurés, même si rien n’indique que la restructuration annoncée sera similaire à celle opérée en France par Reworld Media.
Racheté le 31 juillet 2019, Mondadori France (Grazia, Closer, TéléStar…) a dû ouvrir une clause de cession qui a conduit au départ de la quasi-totalité des directeurs des rédactions et de près de 60 % des journalistes, les méthodes du repreneur inquiétant les salariés du groupe. En effet, Reworld Media utilise ses magazines d’abord comme des marques pour développer le publireportage, brand content et autres activités de e-commerce, provoquant ainsi une confusion entre la partie éditoriale des titres et ce qui relève des activités des régies. Les rédacteurs en chef sont, selon Le Monde, remplacés par des directeurs de marque. Des chargés de contenus interviennent dans les rédactions aux côtés de journalistes qui sont en nombre limité. Enfin, dans de nombreux magazines, les textes sont commandés à des agences extérieures, ce qui permet d’éditer une presse magazine sans journalistes.
Le redressement imposé à La Repubblica, qui accumule les pertes, ne sera pas aussi radical, même si le prestigieux titre italien va lui aussi changer de mains. Logée au sein du GEDI Gruppo Editoriale, La Repubblica y cohabite avec le quotidien La Stampa et l’hebdomadaire L’Espresso, soit trois titres de référence italiens que seuls viennent concurrencer Il Sole 24 Ore, contrôlé par la Confindustria, et Il Corriere della Serra (RCS). S’ajoutent au sein du GEDI un ensemble de magazines et trois radios, lesquelles sont bénéficiaires. Mais le reste des actifs est en difficulté alors que le groupe, constitué en mars 2016 par la fusion de L’Espresso et du groupe Italiana Editrice, devait s’imposer comme le leader de la presse en Italie avec 750 millions d’euros de chiffre d’affaires, un endettement nul et la rentabilité au rendez-vous. À l’époque, la constitution du GEDI avait signé le désengagement de la famille Agnelli des activités de presse (voir La rem n°38-39, p.37), son véhicule d’investissement Exor ne conservant que 6 % du nouvel ensemble à l’occasion de la cession d’Italiana Editrice. Une autre grande famille italienne prenait alors en main le destin du GEDI : la famille Benedetti. L’opération aura été un échec.
En 2017, le GEDI affichait pour la première fois une perte nette de 120 millions d’euros, puis 32 millions d’euros en 2018. L’année 2019 s’inscrira dans la même tendance. Dirigé par les fils Benedetti, le GEDI a réalisé 648 millions d’euros de chiffre d’affaires en 2018, soit 100 millions d’euros de moins qu’à sa création en 2016, pénalisé par le recul des ventes et du chiffre d’affaires publicitaire. Pour Carlo de Benedetti, le père, ces piètres performances sont d’abord le fait de ses fils, « incapables de faire ce métier d’éditeur », au point qu’il leur a proposé de racheter, en octobre 2019, une participation de 29,9 % dans le groupe, afin d’en reprendre les rênes, les deux fils possédant ensemble 43,7 % du GEDI. Non sollicitée, relayée dans la presse, mal valorisée, l’offre a évidemment été refusée, mais elle a révélé l’échec de la famille Benedetti, le père reprochant à ses fils de consacrer leur énergie à trouver un repreneur pour l’ensemble plutôt que de le restructurer, La Repubblica étant notamment citée avec ses quelque 400 salariés. Des groupes italiens, mais également Vivendi auraient ainsi été approchés.
Ce sera finalement Exor, contrôlé par la famille Agnelli, qui va reprendre le contrôle du GEDI, l’opération ayant été annoncée le 2 décembre 2019. Exor, dirigé par John Elkann, va racheter la totalité de la participation de la famille Benedetti, une opération estimée à 198 millions d’euros, à laquelle s’ajoutent les 6 % toujours contrôlés depuis la constitution du nouvel ensemble en 2016, soit une participation totale de presque 50 %. Une offre publique d’achat doit être lancée par la suite pour une prise de contrôle de l’ensemble du capital. Avec cette opération, la famille Agnelli signe donc son retour dans la presse italienne, dont elle avait semblé se désengager en 2016, même si elle a toujours conservé un lien fort avec le monde de l’édition, le groupe ayant racheté à Pearson, en 2015, les 43,4 % du capital de The Economist (voir La rem n°36, p.22). L’acheteur s’est engagé à garantir l’indépendance des titres et a annoncé la nécessité de choix « structurants », certains analystes évoquant une cession de La Republicca, quand d’autres associent le retour des Agnelli dans la presse italienne à la nécessité d’un accueil favorable pour leurs initiatives périlleuses dans l’automobile, les Agnelli contrôlant également Fiat-Chrysler, qui a annoncé sa fusion avec Peugeot-Citroën. Ce retour signe également un retour aux sources pour John Elkann, La Repubblica et L’Espresso, symboles de la presse de gauche en Italie, ayant été fondés par son oncle Carlo Caracciolo, associé au journaliste Eugenio Scalfari.
Sources :
- « Les journalistes désertent en masse Mondadori », Sandrine Cassini, Le Monde, 2 octobre 2019.
- « Bataille familiale chez les Benedetti autour de La Repubblica », Valérie Segond, Le Figaro, 15 octobre 2019.
- « Reworld Media entre dans une nouvelle ère avec l’intégration de Mondadori France », Marine Alcaraz, Fabienne Schmitt, Les Echos, 22 octobre 2019.
- « Après la France, Mondadori se désengage de la presse en Italie », Les Echos, 24 octobre 2019.
- « John Elkann vise La Repubblica et La Stampa », Olivier Tosseri, Nicolas Madelaine, Les Echos, 3 décembre 2019.
- « Les Agnelli de retour dans la presse italienne », Valérie Segond, Le Figaro, 3 décembre 2019.
- « La presse italienne à l’heure de la rationalisation », Pierre de Gasquet, Les Echos, 18 décembre 2019.