Lancé en Europe, Disney accumule les abonnés. Netflix s’envole également, profitant de la crise sanitaire. Pour les nouveaux venus, la crise complique l’équation.
Lancé le 12 novembre 2019 aux États-Unis, Disney+, le service de streaming vidéo sur abonnement de Disney, a connu un succès fulgurant outre-Atlantique (voir La rem n°53, p.67). Le service comptait 10 millions d’inscrits en 48 heures et ces derniers sont restés fidèles puisque le groupe annonçait, pour ses résultats du premier trimestre publiés début février 2020, avoir franchi la barre des 20 millions d’abonnés. Avec la crise sanitaire, le nombre d’abonnés progresse désormais encore plus vite, même si ces performances devront demain être relativisées. Nombreux sont ceux qui, de retour au travail, n’auront plus le temps et l’envie de passer leurs journées devant un écran de télévision. Reste que Disney a annoncé, début avril 2020, avoir franchi le cap des 50 millions d’abonnés payants. Le groupe aura donc réuni en cinq mois autant d’abonnés que Netflix en sept ans.
Entre-temps, Disney+ a commencé son internationalisation. À son lancement le 12 novembre 2019, le service était proposé seulement aux États-Unis, au Canada et aux Pays-Bas, rejoints fin novembre par l’Australie et la Nouvelle-Zélande. Début avril 2020, le service était disponible dans 14 pays, dont sept nouveaux pays européens, l’Allemagne, le Royaume-Uni, l’Irlande, l’Espagne, l’Italie, l’Autriche et la Suisse où Disney+ a été lancé le 24 mars 2020, ainsi que l’Inde où le service a été lancé par la filiale Hotstar, le 3 avril. En France, il aura fallu attendre le 7 avril 2020, le lancement ayant dû être reporté à la demande du gouvernement. L’internationalisation de Disney+ reste donc encore aujourd’hui limitée, ce qui explique le potentiel de croissance du parc d’abonnés.
À chaque fois, les ingrédients du succès sont identiques : un catalogue important de franchises, quelques nouveaux programmes à fort pouvoir d’attraction, comme la série Star Wars : The Mandalorian, et un prix parmi les plus bas du marché, à 6,99 euros par mois. Seule change la stratégie de commercialisation, chaque pays étant traité séparément. En effet, Disney+ est systématiquement proposé sous forme de service over the top (OTT), l’offre étant disponible en accès direct sur le site ou l’application de Disney, ainsi qu’en partenariat avec des distributeurs, une modalité de distribution qui oblige Disney à partager les revenus des abonnements. Aux États-Unis, c’est Verizon qui a l’exclusivité de la distribution du service auprès de ses abonnés alors qu’en Europe, ce sont les opérateurs qui distribuent le service. En France, en revanche, Disney a préféré s’accorder avec Canal+ qui est le distributeur exclusif du service.
Cette particularité française explique en partie le report du lancement de Disney+ au 7 avril 2020, alors que ce dernier était prévu le 24 mars en même temps que les autres pays européens concernés. En effet, en plein confinement, les opérateurs français de télécommunications se sont inquiétés des risques de saturation de leur réseau et ont obtenu un report, le temps de s’organiser. Ce report s’est donc fait au détriment du distributeur du service, le Groupe Canal+ (voir La rem n°53, p.39). Avant le 24 mars, ce dernier ne s’était en effet pas accordé avec les opérateurs pour la distribution de Disney+, Canal+ réclamant plus de 100 millions d’euros à chaque opérateur sur la période 2020-2024, pour laquelle il détient l’exclusivité de commercialisation du service de streaming. Avec le report, les opérateurs ont donc créé un rapport de force plus favorable face à Canal+. Certes Canal+ aurait payé, selon Les Echos, quelque 250 millions d’euros pour cette exclusivité de cinq ans qui porte également sur l’accès aux films Disney pour la chaîne cryptée. Le groupe doit donc rentabiliser son investissement, même s’il doit dans un premier temps freiner la distribution de Disney+ par tiers en France. Reste que Canal+ a largement popularisé l’offre du géant américain : il a diffusé le premier épisode de The Madalorian sur la chaîne Canal+ et a mis à disposition Disney+ auprès de la très grande majorité de ses abonnés, et ce sans surcoût. Au bout d’un an, seuls certains abonnés premium conserveront l’accès à Disney+ sans supplément.
La tâche restera toutefois difficile pour Disney, aux États-Unis comme en Europe. En effet, il faudra que le groupe parvienne à conserver ses abonnés face à une concurrence toujours plus nombreuse et dont les avantages restent intacts. Ainsi Netflix, profitant du confinement presque planétaire, a-t-il communiqué des chiffres exceptionnels pour le premier trimestre 2020 avec 15,8 millions d’utilisateurs supplémentaires, un chiffre deux fois supérieur aux prévisions, ce qui porte son nombre total d’abonnés 182,9 millions. En France, il s’est même offert le luxe de supprimer la période d’essai d’un mois de son service depuis février 2020, avant même l’arrivée de Disney+, un moyen donc d’éviter un butinage opportuniste des foyers entre Netflix et Disney+ à partir de mars 2020. En Amérique du Nord, le service a également progressé, avec 2,3 millions de nouveaux abonnés aux États-Unis et au Canada, des territoires où la concurrence entre géants de la SVOD est désormais féroce. Sur ces marchés, Netflix et Disney ont un immense avantage : leur catalogue de contenus est déjà bien fourni, de quoi retenir les abonnés qui seront confrontés rapidement à un assèchement de l’offre de nouveaux programmes du fait du gel de la grande majorité des tournages dans le cadre de la crise sanitaire.
À titre d’exemple, le lancement de Peacock aux États-Unis rappelle la dimension stratégique de l’accès aux programmes. Ce service de SVOD de NBCUniversal, propriété du groupe Comcast, a été lancé le 15 avril 2020 aux États-Unis auprès des seuls abonnés de l’opérateur. Il propose certes un catalogue gigantesque mais il ne dispose de presque aucune série originale pour son lancement, leur production étant interrompue. Il ne pourra pas non plus s’appuyer sur la retransmission d’une partie des épreuves des Jeux olympiques de Pékin, reportés en 2021, un événement que Comcast comptait utiliser pour le lancement général de Peacock le 15 juillet 2020. Son seul avantage compétitif face à Disney+ et Netflix sera son prix. En effet, Peacock compte parmi les quelques services de SVOD qui proposent des offres financées en partie ou en totalité par la publicité. Trois formules sont proposées dont une gratuite avec financement publicitaire total, le catalogue étant dans ce cas limité pour cette offre d’AVOD (Advertising VOD), une deuxième à 4,99 dollars par mois avec publicité mais un catalogue plus étoffé, enfin une offre classique à 9,99 dollars par mois où l’ensemble du catalogue est accessible sans publicité. Certes, le marché publicitaire s’est effondré avec la crise sanitaire, mais l’AVOD devrait être un des vecteurs de sa reprise car elle autorise un ciblage des foyers pour les annonceurs.
Ce modèle est aussi celui retenu par Hulu aux États-Unis, désormais contrôlé par Disney (voir La rem n°53, p.67). Le service dont la cible est plutôt CSP+ est proposé à 5,99 dollars par mois avec publicité et 11,99 dollars sans publicité. Présent aux États-Unis et au Japon, avec en tout 30,7 millions d’abonnés, Hulu devrait être déployé à l’international en 2021. Comme Disney+, il atteste de la volonté de Disney de changer en profondeur son modèle d’affaires qui, de B to B (business to business) avec la vente de ses programmes aux chaînes, se déporte vers le B to C (business to consummer) avec la commercialisation de ses offres directement auprès des utilisateurs de ses services. De ce point de vue, l’AVOD reste une exception où la relation aux annonceurs sera décisive. Pour son lancement, Peacock avait sécurisé dix annonceurs importants malgré la crise sanitaire. Cette dernière, en appauvrissant les foyers, favorisera d’ailleurs demain le recours à l’AVOD. La gratuité sera une alternative pour certains quand elle est pour l’instant d’abord mobilisée comme argument marketing afin de recruter des abonnés. Après les périodes d’essai offertes, certains ont ainsi adapté leur stratégie en réponse à la crise sanitaire. Alors que HBO s’apprête à lancer HBO Max le 27 mai 2020, à 14,99 dollars par mois, un tarif élevé, le groupe donne de la visibilité à son catalogue aux États-Unis en mettant gratuitement à disposition, certes de manière temporaire, certaines de ses séries plus connues comme The Soprano ou encore The Wire. Quant à Quibi, le service de SVOD pour smartphone imaginé par Jeff Katzenberg, il a été lancé comme prévu aux États-Unis, le 6 avril 2020, mais avec une période d’essai allongée de deux semaines à trois mois. Imaginé pour les transports en commun et les files d’attente, il faudra que le déconfinement des Américains soit révolu pour en tester véritablement la pertinence.
Sources :
- « Carton plein pour le service de streaming de Disney », Anaïs Moutot, Les Echos, 6 février 2020.
- « Réussir la transition vers la sVoD, le défi du nouveau parton de Disney », Nicolas Madelaine, Les Echos, 27 février 2020.
- « Comment le lancement de Disney+ est devenu une affaire d’État », Elsa Bembaron, Caroline Sallé, Le Figaro, 23 mars 2020.
- « Pour les géants de la sVoD, le confinement n’est pas qu’une bénédiction », Nicolas Madelaine, Les Echos, 6 avril 2020.
- « La fusée Disney+ s’élance à la conquête de la France confinée », Caroline Sallé, Elsa Bembaron, Le Figaro, 7 avril 2020.
- « Disney+ est enfin lancé en France », Nicolas Madelaine, Les Echos, 7 avril 2020.
- « Disney+ a franchi le cap des 50 millions d’abonnés payants », Nicolas Richaud, Les Echos, 10 avril 2020.
- « NBCUniversal fait son entrée dans l’arène du streaming vidéo avec Peacock », Caroline Sallé, Le Figaro, 16 avril 2020.
- « Avec Peacock, le « Netflix financé par la publicité » débarque aux États-Unis », Nicolas Madelaine, Les Echos, 16 avril 2020.
- « Dans un monde confiné, Netflix tire son épingle du jeu », Pierre-Yves Dugua, Le Figaro, 23 avril 2020.
- « Record de nouveaux abonnés pour Netflix », Anaïs Moutot, Les Echos, 23 avril 2020.