Libération devient le premier quotidien national à but non lucratif

Les salariés n’étaient pas prévenus : ils quittent le groupe Altice et vont écrire une nouvelle page du quotidien, premier titre national à passer sous le contrôle d’un fonds de dotation.

Donné en exemple, le Guardian est, depuis 1930, contrôlé par une fondation, le Scott Trust, qui en garantit son indépendance (voir La rem n°53, p.32). Cette particularité explique pourquoi le quotidien britannique défend encore la gratuité en ligne, seul moyen de garantir un véritable accès à une information de qualité pour le plus grand nombre. Ici, quelques-uns, par leurs dons militants, financent une information pour tous. Mais le but ultime des fondations reste bien la garantie de l’indépendance éditoriale. En France, la Fondation Varenne, créée en 1989, a ainsi permis de préserver le Groupe Centre France de toute velléité de rachat ou de prise de contrôle par des actionnaires extérieurs, un risque toujours possible pour un groupe familial confronté à intervalles réguliers à l’enjeu des successions. En 2019, c’est l’indépendance revendiquée face aux actionnaires qui a conduit Mediapart à abandonner son statut d’entreprise privée pour passer sous le contrôle d’un fonds de dotation afin de devenir une entreprise à but non lucratif (voir La rem n°53, p.31). Finalement, c’est au tour de Libération de franchir ce pas.

Le 14 mai 2020, les salariés de Libération ont en effet appris qu’ils quittaient le groupe Altice pour passer sous le contrôle d’un fonds à but non lucratif. Patrick Drahi, propriétaire d’Altice, conservait encore le quotidien national alors qu’il avait entrepris de se désengager de la presse depuis 2017 (voir La rem n°42-43, p.37). Finalement, Libération ne sera pas vendu, à l’inverse de L’Express qui a été cédé à Alain Weil, par ailleurs PDG d’Altice France (voir La rem n°52, p.39). Le journal, la régie et la société éditrice vont être rachetés par un « fonds de dotation pour une presse indépendante », créé pour l’occasion. Patrick Drahi s’est engagé à épurer les dettes du journal, près de 50 millions d’euros, et à abonder le fonds afin que le titre soit en mesure d’investir dans son développement. Il faudra pour cela que Libération dégage des bénéfices, le titre ayant perdu 8,9 millions d’euros en 2018 pour un chiffre d’affaires de 35 millions. Pour ce faire, Libération peut compter sur la hausse de sa diffusion, en hausse de 6 % en 2019 selon l’APCM (Alliance pour les chiffres de la presse et des médias). Mais le quotidien devra également investir dans son offre éditoriale et attirer de nouveaux mécènes pour alimenter le fonds qui va le contrôler. Libération devance ainsi Le Monde qui, sous l’impulsion de Xavier Niel, devrait aussi passer sous le contrôle d’une fondation (voir La rem n°52, p.43).

Sources :

  • « « Libération » » transféré à une fondation », Yann Duvert, Nicolas Madelaine, Marina Alcaraz, Les Echos, 15 mai 2020.
  • « « Libération » sort du giron d’Altice », Alexandre Debouté, Le Figaro, 15 mai 2020.
Professeur à Aix-Marseille Université, Institut méditerranéen des sciences de l’information et de la communication (IMSIC, Aix-Marseille Univ., Université de Toulon), École de journalisme et de communication d’Aix-Marseille (EJCAM)

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