Studios : l’Europe fait émerger des géants

La Commission autorise le rachat d’Endemol Shine par Banijay et Arthur s’empare de Sony Pictures Television. Mediawan poursuit de son côté sa croissance avec l’acquisition de Lagardère Studios et une alliance avec le fonds KKR.

Si les services de vidéo par abonnement viennent d’abord des États-Unis, avec Netflix en tête, le monopole ne se constate pas de manière aussi évidente pour la production des programmes. Hollywood reste bien évidemment incontournable mais les studios américains sont désormais intégrés : Disney-Pixar et la Fox produiront de plus en plus pour Disney+ et Hulu ; les studios Universal, propriété de Comcast, ont vocation à alimenter d’abord Peacock (voir La rem n°54, p.44) et Warner à enrichir HBO Max.

Cette production interne assèche le marché des droits pour les services concurrents et crée ainsi un besoin important de nouveaux programmes dont la conséquence est l’inflation sur le marché des droits. Une autre conséquence du succès de la SVOD et de l’intégration de la production américaine a été l’internationalisation des catalogues, lancée par Netflix pour limiter sa dépendance à Hollywood et ériger, hors des États-Unis, des barrières à l’entrée face aux groupes américains qui désormais copient sa stratégie (voir La rem n°53, p.67).

Pour les producteurs locaux, ce besoin de programmes nouveaux est certes une occasion inespérée d’internationaliser leur parc de clients, mais cette occasion ne peut être saisie qu’à la condition de s’aligner sur les standards de la production américaine, donc en augmentant les rythmes et les budgets de production, tout en garantissant une offre éditoriale qui puisse franchir les frontières et s’amortir sur plusieurs marchés. C’est ce que les studios français tentent de faire en participant à la consolidation du marché européen de la production pour proposer des alternatives à Hollywood.

Dans les programmes de flux, qui trouvent progressivement leur place aussi sur les services de SVOD et qui restera pour les chaînes de télévision un élément distinctif de leur grille de programmes, la France est désormais le leader mondial. En effet, l’émiettement du marché, donc l’existence d’une concurrence faite de multiples entreprises de toutes tailles, a conduit la Commission européenne à autoriser le rachat du numéro 1 mondial (Endemol Shine) par le numéro 4, le français Banijay (voir La rem n°53, p.44), la Commission ayant considéré que « l’acquisition ne posait pas de problème anticoncurrentiel compte tenu de la présence d’un nombre suffisant d’acteurs alternatifs disposant de portefeuilles de contenus similaires dans les pays concernés ».

Il est vrai que des alternatives existent et que l’émergence de nouveaux géants nationaux n’est pas exclue. Ainsi, malgré l’ensemble Endemol – Shine – Banijay, la France a vu émerger rapidement un autre grand producteur de programmes de flux, Satisfaction Group, contrôlé par Arthur. La société de production de l’animateur de télévision a racheté en un an quatre studios, Ah ! Production, qui produit La Villa des cœurs brisés ; La Grosse Équipe qui produit Les Anges de la téléréalité ; Enibas, qui produit Météo à la carte et, en juillet 2020, Sony Pictures Television, qui produit des émissions comme Les Z’amours ou Qui veut gagner des millions ?.

Certes, il s’agit d’un groupe centré d’abord sur la France et qui n’a donc pas l’envergure internationale pour commercialiser ses formats dans d’autres pays. Mais le rachat de Sony Pictures Television a été pensé dans le cadre d’un partenariat plus large avec Sony. Concrètement, Satisfaction Group a racheté Sony Pictures Television en actions, ce qui a permis à Sony de monter à hauteur de 20 % dans le groupe de production dirigé par Arthur. Le groupe japonais a donc un intérêt à voir le nouvel ensemble internationaliser la revente de ses programmes, ce à quoi il contribuera avec la création du joint-venture Satisfy qui doit permettre à Satisfaction Group de s’appuyer sur le réseau de distribution à l’international de Sony.

Dans les programmes de stock, la consolidation bat également son plein. Mediawan, désormais leader de la production de programmes de stock en France, poursuit son expansion avec l’annonce, le 22 juin 2020, du rachat d’un nouveau géant du secteur, Lagardère Studio. Mis en vente par le Groupe Lagardère qui a décidé de recentrer ses activités sur l’édition et le travel retail (voir infra) et convoité par Fabrice Larue, le studio qui produit Joséphine, ange gardien et Clem pour TF1 est revenu en effet sur le marché après le retrait du fondateur de Newen. Moyennant 100 millions d’euros, Mediawan s’est ainsi emparé du numéro 2 français qui, considéré comme vieillissant, dispose toutefois de sociétés de production très bien positionnées, notamment en Espagne depuis le rachat de Boomerang en 2015. Avec Lagardère Studios, Mediawan renforce donc son ancrage européen, une stratégie que le groupe poursuit sans relâche en acquérant aussi de plus petites structures. Ainsi, Boomerang sera, au sein de Mediawan, rejoint par Good Mood, la société espagnole de production du fondateur de GloboMedia. Lors de l’annonce de ces rachats, Mediawan s’est présenté comme le premier producteur de fictions en France, mais aussi en Espagne et en Italie. Avec Lagardère Studio, Mediawan signe également son entrée sur le marché français du flux, Lagardère Studio produisant des émissions à forte visibilité, comme par exemple C dans l’air.

La conquête des marchés européens passera aussi par l’Allemagne pour Mediawan qui a annoncé, en même temps que le rachat de Lagardère Studio, un accord avec le fonds KKR, lequel est présent dans les médias allemands depuis très longtemps. Cet accord a une double dimension. Il vise d’abord à apporter à Mediawan la participation acquise en 2019 de 25 % que KKR détient dans Leonine, le numéro 1 de la production en Allemagne. Mais KKR ne compte pas se retirer du secteur. En échange de sa participation, une nouvelle société, Mediawan Alliance, doit être créée qui cherchera ensuite à racheter les actions de Mediawan à la Bourse de Paris pour retirer la SPAC (Special Purpose Acquisition Company) de la cote et faire émerger ainsi un nouvel ensemble européen. Lors de l’opération boursière, les fondateurs de Mediawan (Xavier Niel, Pierre-Antoine Capton et Mathieu Pigasse) céderont leurs actions, ainsi que la MACSF (8 % du capital), ce qui représente déjà 27 % du capital de Mediawan. Si KKR parvient à monter ensuite à 55 % du capital, il prendra définitivement le contrôle de la nouvelle entité, laquelle doit aussi racheter 3e Œil, la société de production personnelle de Pierre-Antoine Capton. Ce dernier, avec ses associés fondateurs, présidera encore aux destinées de la nouvelle entité mais c’est bien le fonds américain KKR qui en financera à l’avenir le développement. La présence de capitaux français au sein du nouveau Mediawan sera assurée par BpiFrance qui, le 22 septembre 2020, a annoncé un investissement de 50 millions d’euros.

Sources :

  • « Mediawan accélère son expansion », Alexandre Debouté, Le Figaro, 23 juin 2020.
  • « Bruxelles donne son feu vert au rachat d’Endemol Shine par le français Banijay », Caroline Sallé, Le Figaro, 2 juillet 2020.
  • « Arthur acquiert la filiale française de Sony Pictures Television », Caroline Sallé, Le Figaro, 10 juillet 2020.
  • « La banque publique vient renforcer le groupe audiovisuel de Niel, Pigasse et Capton », Nicolas Madelaine, Marina Alcaraz, R.G., Les Echos, 23 septembre 2020. 
Professeur à Aix-Marseille Université, Institut méditerranéen des sciences de l’information et de la communication (IMSIC, Aix-Marseille Univ., Université de Toulon), École de journalisme et de communication d’Aix-Marseille (EJCAM)

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