Rejet de la contestation de la fermeture des salles de spectacle

Conseil d’État, ordonnance du 23 décembre 2020, n°447698 et autres.

Bien que la décision du gouvernement ordonnant, pour des raisons sanitaires liées à la Covid-19, la fermeture de salles de spectacle puisse, faute de motivation particulière, être consi­dérée comme portant atteinte à diverses libertés, le juge des référés du Conseil d’État estime cependant que, compte tenu du caractère évolutif de la situation, comportant un risque d’augmentation de l’épidémie, les requêtes en suspension de l’application de la mesure ne sont pas justifiées. En conséquence, il conclut à leur rejet.

La loi du 23 mars 2020, « d’urgence pour faire face à l’épidémie de Covid-19 », a introduit, dans le code de la santé publique, une disposition aux termes de laquelle « l’état d’urgence sanitaire peut être déclaré […] en cas de catastrophe sanitaire mettant en péril, par sa nature et sa gravité, la santé de la population ». Le même code dispose que « l’état d’urgence sanitaire est déclaré par décret en conseil des ministres » et que sa prorogation « au-delà d’un mois ne peut être autorisée que par la loi ». Il y est encore posé que « le Premier ministre peut, par décret réglementaire pris sur le rapport du ministre chargé de la santé, aux seules fins de garantir la santé publique […] ordonner la fermeture provisoire et réglementer l’ouverture, y compris les conditions d’accès et de présence, d’une ou plusieurs catégories d’établissements recevant du public », que les mesures ainsi prises doivent être « strictement proportionnées aux risques sanitaires encourus et appropriées aux circonstances de temps et de lieu » et qu’il « y est mis fin sans délai lorsqu’elles ne sont plus nécessaires ».

Sur la base de ces dispositions, a été pris le décret du 29 octobre 2020 prescrivant les mesures générales néces­saires pour faire face à l’épidémie de Covid-19 dans le cadre de l’état d’urgence sanitaire. Il y a été posé que, parmi d’autres, les salles de spectacle « ne peuvent accueillir du public ». La décision de leur fermeture a été l’objet de reconductions successives, en fonction de la situation.

Considérant que « la fermeture au public des cinémas, théâtres et salles de spectacle porte une atteinte grave aux libertés fondamentales que constituent », entre autres, « la liberté d’expression et la libre communication des idées, la liberté de création artistique, la liberté d’accès aux œuvres culturelles, la liberté d’entreprendre et la liberté du commerce et de l’industrie ainsi que le droit au libre exercice d’une profession », diverses entreprises, organisations professionnelles et personnalités du spectacle, se prévalant de l’urgence liée à la gravité de la situation, ont saisi le juge des référés du Conseil d’État afin qu’il lève l’interdiction ou en ordonne l’aménagement en tenant compte des mesures sanitaires susceptibles d’être prises.

Pour s’opposer à la demande et justifier le maintien de la fermeture de ces établissements, l’administration a fait valoir qu’« il s’agit de lieux clos, à forte densité d’occupation, dans lesquels les personnes se retrouvent en contact prolongé, avec des regroupements en différents points, notamment à l’entrée et à la sortie », entraînant « un risque important de contamination ».

Considérant que, dès lors que des mesures de protection sanitaire seraient prises, « le risque de transmission du virus, dans les établissements accueillant les spectacles vivants comme dans les cinémas, est plus faible que pour d’autres évènements rassemblant du public en lieu clos », et que, « en l’absence de perspective d’éradication du virus dans un avenir proche, le maintien d’une interdiction générale et absolue d’ouverture au public » porterait « une atteinte grave aux libertés fondamentales » et constituerait « une illégalité manifeste si elle était justifiée par la seule persistance d’un risque de contamination des spectateurs par le virus », le juge des référés ajoute que « le maintien d’une telle interdiction, sur l’ensemble du territoire national ou sur une partie de celui-ci, ne peut être regardé comme une mesure nécessaire et adaptée et, ce faisant, proportionnée à l’objectif de préservation de la santé publique qu’elle poursuit qu’en présence d’un contexte sanitaire marqué par un niveau particulièrement élevé de diffusion du virus au sein de la population susceptible de compromettre, à court terme, la prise en charge, notamment hospitalière, des personnes contaminées et des patients atteints d’autres affections ».

Cependant, faisant état des « données scientifiques disponibles » à la date à laquelle il statue, ledit juge retient qu’elles « montrent une dégradation de la situation sanitaire et qu’elles pourraient, par la suite, se révéler encore plus préoccupantes ». En conséquence, il estime que, à ce moment-là, la décision du Premier ministre « ne porte pas une atteinte manifestement illégale aux libertés fondamentales dont se prévalent les requérants ». Il en conclut que les requêtes visant à la levée ou, au moins, à l’aménagement de la mesure contestée doivent être rejetées.

Considérée comme justifiée en fonction de ce qui était connu de la situation sanitaire au moment où le juge des référés, juge de l’urgence et de l’évidence, a statué, la fermeture générale des salles de spectacle, si elle était maintenue ou renouvelée en d’autres circonstances de moindre gravité, pourrait alors être appréciée différemment.

Professeur à l’Université Paris 2

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