Le groupe dirigé par Mathias Döpfner, qui avait renoncé à l’essentiel de ses titres en Allemagne, s’intéresse de nouveau à la presse en s’emparant de Politico, mais sur un segment de marché très restreint.
La destinée du groupe allemand Springer est liée à celle de Mathias Döpfner, son directeur général depuis 2002. Ce dernier a été très tôt convaincu que l’internet allait transformer en profondeur les modèles économiques de l’information, au point de faire disparaître « la presse » telle qu’elle avait été incarnée par des titres imprimés accompagnés, de plus en plus, d’un environnement numérique. Ainsi, en 2011, il déclarait de manière abrupte : « Notre entreprise n’est pas une entreprise de presse, mais une entreprise de contenus. Le numérique permet de croître plus rapidement. Je vois la transformation numérique comme une formidable opportunité. Le changement est structurel : il vaut donc mieux que nous nous cannibalisions nous-mêmes plutôt que nous le soyons par d’autres. » Deux ans plus tard, il prenait la décision de céder la totalité de ses titres de presse en Allemagne, à l’exception de deux, parce que ces derniers s’appuient sur des marques fortes qu’il est possible d’exploiter sur d’autres marchés : le tabloïd Bild, le plus lu en Allemagne, et le quotidien de droite Die Welt (voir La rem n°29, p.34). Le groupe Springer investissait en même temps dans les petites annonces avec, en 2010, le rachat de SeLoger, en France, pour 566 millions d’euros, ou encore, en 2019, de MeilleursAgents pour 200 millions d’euros. Les petites annonces soutiennent depuis la croissance des revenus issus du numérique dans les activités européennes du groupe Springer. Elles représentent plus de 60 % du chiffre d’affaires du groupe, d’un peu plus de 3 milliards d’euros en 2019. C’est aux États-Unis, en revanche, que Mathias Döpfner a trouvé les innovations qui l’ont convaincu d’investir à nouveau dans la presse et dans un journalisme qu’il qualifie « de qualité » : ce journalisme-là peut être facturé et échapper à l’emprise des plateformes sur le marché publicitaire en ligne, et il peut être rentable.
En décembre 2014, Springer s’est ainsi associé avec le groupe américain Politico qui, depuis 2007, édite une offre d’information haut de gamme en ligne sur la politique américaine et les coulisses du pouvoir. Le fruit de cette alliance sera le lancement, à parité, de Politico Europe, qui couvre depuis 2015 l’actualité bruxelloise. En 2015, Springer avait également investi dans le site américain Business Insider, spécialisé dans les nouvelles technologies (voir La rem n°34-35, p.24). Ces offres d’information sont parvenues à s’imposer auprès de publics exigeants souvent prêts à payer, quand ce n’est pas les institutions qui financent les abonnements. Aux États-Unis, Politico affiche ainsi un taux de marge de 30 % tout en finançant une rédaction aux effectifs conséquents – plus de deux cents journalistes sur le seul marché américain.
Dès l’aube, les informations stratégiques que ces journalistes récoltent sur les tractations au cœur du pouvoir sont envoyées par newsletter aux abonnés qui n’hésitent pas à payer entre 5 000 et 12 000 dollars par an cette source indispensable à leurs arbitrages. S’il ne s’agit pas d’un journalisme pour tous, au moins s’agit-il d’un journalisme très rentable, très exigeant aussi, qui justifie, pour Mathias Döpfner, de nouveaux investissements. Le 26 août 2021, le groupe allemand a ainsi annoncé le rachat du groupe Politico dans son ensemble, le New York Times évaluant la transaction à 1 milliard de dollars. Springer récupère les 50 % de Politico Europe qu’il ne contrôlait pas encore, et la totalité de Politico aux États-Unis. Le groupe Politico détient, en plus de l’offre éponyme, le site Protocol, lancé en 2020, qui relate les coulisses des décisions des dirigeants du domaine des technologies, un autre lieu de pouvoir. Mais, comme avec Politico, c’est là encore une niche dédiée aux lecteurs d’influence : Springer n’a pas encore trouvé les moyens de redonner à l’information d’actualité, celle qui s’adresse à tous, la rentabilité que le recul des éditions imprimées a progressivement fait disparaître.
Sur ses autres marchés, à l’exception de la Pologne, Springer choisit à l’inverse de se désengager des activités de presse. Le 28 juillet 2021, le groupe a ainsi cédé les parts qu’il détenait depuis 2010 dans une coentreprise avec Ringier en Hongrie, en Serbie, en Slovaquie et dans les pays baltes (Estonie, Lettonie, Lituanie). Si Ringier mise sur la presse en Europe, Springer entend se concentrer sur ses activités numériques dans quelques marchés stratégiques.
Sources :
- « Axel Springer dépasse le million d’abonnements numériques », Claudia Cohen, Le Figaro, 17 juin 2021.
- « Ringier rachète les parts d’Axel Springer en Hongrie, Serbie, Slovaquie, Estonie, Lettonie et Lituanie », communiqué de presse, ringier.ch, 28 juillet 2021.
- « Springer convoite Politico », Claudia Cohen, Le Figaro, 18 août 2021.
- « Axel Springer s’empare de Politico », Ninon Renaud, Les Échos, 27 août 2021.
- « Axel Springer acquiert Politico pour 1 milliard de dollars », Enguérand Renault, Le Figaro, 27 août 2021.