Violences et préjugés : la représentation des femmes sur YouTube

Culture du viol, images dégradantes, sexualisation, harcèlement, rapport patriarcal… la majeure partie des vidéos, principalement des clips musicaux, hébergées sur la plateforme YouTube sont sexistes, selon l’alerte de la Fondation des Femmes.

Abritée par la Fondation de France, la Fondation des Femmes œuvre pour le respect de leurs droits. En partenariat avec Sciences Po Paris, cette fondation présente une étude sur l’image des femmes véhiculée sur YouTube, première plateforme mondiale de partage de vidéos qui compte près de 20 millions de visiteurs par jour en France, principa­lement parmi les 15-24 ans. Cette étude prolonge, pour les années 2019 et 2020, une première analyse de la représentation des femmes sur YouTube entreprise en 2018 au sein du Conseil supérieur de l’audiovisuel (CSA), à l’initiative de Sylvie Pierre-Brossolette et avec le ministère de la culture. « Les résultats en avaient été alarmants, déplore l’ex-conseillère et membre de la Fondation des Femmes. […] Hélas, la situation, déjà mauvaise, empire plutôt, confinement ou non. »

Financée par la Chaire pour l’emploi et l’entrepre­nariat des femmes de Sciences Po, cette étude s’inscrit dans le cadre d’une mission sur l’image des femmes dans le numérique, réunissant la Fondation des Femmes et le Certificat Égalité femmes-hommes et politiques publiques de Sciences Po. Délivré par l’École d’affaires publiques et par le Programme de recherche et d’enseignement des savoirs sur le genre (Presage), ce certificat enseigne la construction des inégalités et l’évaluation des politiques contre ces discriminations.

Rassemblées par la société Wizdeo, les 200 vidéos les plus visionnées sur YouTube en 2019 et en 2020, soit 100 vidéos par année, composent l’échantillon, avec 74 % de vidéos de musique ; 8 % de programmes d’animation, 2 % de vidéos humoristiques, 2 % liées aux jeux vidéo et livestreaming, 2 % de divertissement et 3,5 % de tutoriels. Le contenu de ces 200 vidéos a été passé au crible du questionnaire établi par le CSA (Conseil supérieur audiovisuel) pour une première étude en 2018 ; l’analyse qui en résulte mène à des constats inquiétants.

Une surreprésentation masculine. Les hommes tiennent plus de 60 % des premiers rôles et 43 % de l’ensemble des rôles principaux et secondaires confondus, tandis que les femmes ne dépassent pas 17 % dans les deux cas. Les femmes tiennent le rôle principal dans 57 % des vidéos de tutoriels, 25 % des vidéos « Contenu personnel » et 17 % des vidéos de musique. Aucun rôle principal féminin dans les vidéos de la catégorie « Humour ».

Des représentations stéréotypées. En 2020, 75 % des vidéos YouTube étudiées véhiculent des stéréotypes, contre 62 % en 2019. La majorité des contenus (57 %) comportent des stéréotypes masculins et près de 40 % des stéréotypes féminins. L’« hyperviril », le « protecteur » et le « macho » sont les trois images schématiques les plus utilisées pour les personnages masculins. La « sentimentale », la « poupée », la « séductrice » et la « vénale » sont les archétypes récurrents des personnages féminins. L’image de la femme « maternelle » est présente dans 1 % des vidéos. Dans la plupart des contenus, plusieurs stéréotypes sont associés au genre féminin, nettement moins pour le genre masculin. En outre, dans la quasi-totalité des vidéos, les représentations schématiques des femmes sont construites essentiel­lement en référence à leurs partenaires masculins.

Sexualisation, séduction et violence. Dans plus de 20 % des vidéos, les personnages sont sexualisés : ce sont toujours des femmes dont les attributs physiques sont mis en avant, confortant ainsi la caricature de la femme « objet sexuel ». Dans le même ordre d’idées, les propos à connotation sexuelle repérés dans 15 % des vidéos sont systématiquement (96 %) prononcés par des hommes. Près de 40 % des vidéos montrent des relations entre des personnages masculins et des person­nages féminins basées sur la séduction. Les femmes sont souvent absentes des scènes dans lesquelles le rapport entre les personnages est neutre – 27 % des cas. Sont également notées 14 % de vidéos affichant un rapport conjugal stéréotypé, de type patriarcal avec une femme « maternante » et un homme « dominant ». Enfin, sur l’ensemble des vidéos examinées, un quart affiche une forme de violence. Le plus couramment, il s’agit d’une violence verbale observée dans environ 14 % des contenus. Dans 98,8 % des cas, la violence émane des personnages masculins contre 1,2 % des personnages féminins.

Violences à caractère sexiste ou sexuel faites aux femmes. Des propos violents et à caractère sexuel ou sexiste son tenus dans 20 % des vidéos. Diverses formes de violences sexuelles et sexistes ont été clairement identifiées : insultes sexistes, propos misogynes, culture du viol, harcèlement sexuel et violences conjugales. Selon leur degré de gravité, ces actes constituent des délits inscrits au code pénal.

Les vidéos de musique, d’humour et de divertissement sont particulièrement entachées de ces comportements nocifs : 25 % des vidéos musicales montrent une ou plusieurs formes de violences à caractère sexiste ou sexuel. L’étude de la Fondation des femmes donne des exemples : « Les violences conjugales sont visibles dans une séquence de clip musical où le personnage principal masculin chante à côté des cadavres emballés de bâche blanche de son ex-compagne et de son amant. Dans la séquence vidéo, on le voit également battre à mort l’amant de son ex-compagne. Dans les paroles, il menace également de s’en prendre à son ex-conjointe. […] La culture du viol est présente dans certaines séquences vidéo. Dans une séquence de vidéo musicale, le chanteur évoque le fait d’alcooliser une femme pour avoir des relations sexuelles avec elle, ce qui relève de la culture du viol. »

Une image dégradante des femmes de plus en plus présente. En 2020, 38 % des contenus vidéo sur YouTube présentent une image dégradante des femmes, contre 30 % en 2019. Les atteintes à l’image des femmes connaissent des degrés divers : une image dévalorisante affichée dans des rôles secondaires esthétiques ou inactifs ; une image de mépris fondée sur des personnages et des propos stéréotypés ; une image humiliante due à la subordination aux hommes qui tiennent, en outre, des propos à caractère sexuel ou sexiste et enfin, une image dégradante, particulièrement forte, attachée à des actes de violence sexuelle et sexiste.

À lire dans l’étude, les descriptions de vidéos comportant une image dégradante des femmes devraient suffire à elles seules à donner l’alerte : « les propos tenus sont verbalement violents même si aucune autre action dégra­dante n’est visible dans le clip. Les paroles insistent sur l’objectification des corps féminins, en suggérant l’utilisation de la chirurgie esthétique pour se rendre plus séduisante. Les paroles insistent également sur les stéréotypes des femmes vénales et séductrices, il faudrait faire étalage de richesse pour séduire certaines femmes. » Autre exemple dans un vidéoclip : « les femmes sont objectifiées et sexualisées, des plans suggestifs sont réalisés (poitrine, hanches, postérieur). On note également des comportements relevant du harcèlement et du sexisme ordinaire, avec notamment la présence de scènes relevant du harcèlement de rue. Les propos tenus sont profondément misogynes à caractère sexuel et sexiste. Les paroles insistent notamment sur la sexualisation du corps féminin avec des propos très crus. »

Rares sont les vidéos diffusées sur YouTube cherchant à briser le carcan des stéréotypes, à l’exception de quelques vidéoclips qui prennent le parti d’inverser les rôles entre personnages genrés stéréotypés ou dont les dialogues invitent à dédaigner les modèles imposés. La catégorie « Contenus d’animation », 8 % de l’échantillon, se distingue toutefois par son absence de représentations genrées et de dialogues sexistes.

La Fondation des Femmes appelle les pouvoirs publics, ainsi que toutes les parties prenantes, à mettre en œuvre une régulation applicable à la représentation des femmes. « Dans le secteur numérique, il est crucial de lutter contre les stéréotypes et séquences dégradantes pour les femmes, qui font le lit des violences, trop souvent mortelles, explique Sylvie Pierre-Brossolette. Internet, de ce point de vue, est le lieu de tous les dangers. Non régulés, les pires propos et images pour les femmes peuvent y circuler en toute liberté. »

Source :

  • Numérique : le sexisme en liberté, Lucie Chataigner, Clara Lopez, Pauline Stumpf et Sylvie Pierre-Brossolette (coordinatrice), Fondation des Femmes, SciencesPo, fondationdesfemmes.org, août 2021.
Ingénieur d’études à l’Université Paris 2 - IREC (Institut de recherche et d’études sur la communication)

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