La lutte contre les fausses informations : une mission de service public des médias audiovisuels publics allemands

Valider une hausse symbolique du montant de la redevance afin de consacrer l’indépendance des médias publics face au pouvoir politique.

Par une décision du 5 août 2021, la Cour constitutionnelle fédérale (Bundesverfassungsgericht) qui siège à Karlsruhe (Bade-Wurtemberg) valide une augmentation de 86 centimes sur la contribution payée mensuellement par les foyers allemands pour financer le secteur public de l’audiovisuel, en considérant que les médias audiovisuels publics allemands doivent disposer des moyens suffisants pour lutter contre les fausses informations.

Au-delà de cette hausse symbolique, la décision des juges constitutionnels allemands rappelle, conformément à la jurisprudence (voir La rem n°48, p.18), l’importance de l’audiovisuel public et conforte ainsi la légitimité du modèle allemand. La Cour réaffirme l’indépendance des médias audiovisuels publics à l’égard des pouvoirs politiques et consacre la spécificité de leurs missions – en matière de lutte contre les fausses informations, en particulier.

Hausse symbolique de la contribution audiovisuelle

L’origine du litige soumis à la Cour est la décision prise, en février 2020, par la Kommission zur Ermittlung des Finanzbedarfs der Rundfunkanstalten (KEF) – commis­sion indépendante chargée, depuis 2013, de fixer le montant de la contribution audiovisuelle –, en passant de 17,50 euros à 18,36 euros par mois, soit de 210 euros à 220,32 euros par an. Cette augmentation envisagée de 86 centimes par mois était modeste et très inférieure à celle de 1,84 euro réclamée par les médias publics eux-mêmes. L’ampleur politique et juridictionnelle prise par le débat sur la hausse de la redevance allemande pourrait donc paraître disproportionnée.

Cette hausse n’en a pas moins suscité de vives protestations politiques, au regard notamment du montant déjà élevé de la contribution audiovisuelle et des critiques récurrentes formulées contre les médias publics allemands. L’Allemagne, où la contribution au financement de l’audiovisuel public rapporte chaque année environ 8 milliards d’euros, figure en effet parmi les pays d’Europe dont les redevances audiovisuelles sont les plus élevées. Le montant annuel de la contribution allemande par foyer dépasse très largement celui de la contribution à l’audiovisuel public français, fixé à 138 euros en 2021, pour un budget prévisionnel total de 3,7 milliards d’euros1. Le coût élevé et l’inadap­tation des programmes des médias publics allemands sont régulièrement dénoncés, tout comme le caractère obsolète d’un modèle fondé sur le financement public des médias et considéré comme susceptible de nuire à leur indépendance.

Indépendance des médias audiovisuels publics

La question, soumise à la Cour, de la constitu­tionnalité en ce qui concerne l’augmentation du montant de la contribution audiovisuelle, soulevait néces­sairement celle de l’indépendance des médias audiovisuels publics allemands à l’égard des pouvoirs politiques locaux. Consacrée par la constitution allemande, l’indé­pendance des médias audiovisuels publics est supposée être garantie, en Allemagne, à la fois par l’organi­sation structurelle de ces médias en trois grandes entités (ARD2, ZDF3 et Deutschlandradio) et par l’attribution à une commis­sion indépendante du pouvoir de fixer le montant de la redevance. Ce montant doit néanmoins faire l’objet d’une validation par les différents parlements régionaux.

En l’espèce, c’est précisément le refus du Land de Saxe-Anhalt, en décembre 2020, d’approuver l’augmentation de la redevance décidée par la KEF, qui est à l’origine du litige soumis à la Cour constitutionnelle par les trois grands médias publics allemands. Tout en validant l’augmentation de la redevance, la Cour réaffirme, dans sa décision du 5 août 2021, l’indépendance des médias audiovisuels publics allemands, en interdisant aux Länder de s’opposer, pour des motifs politiques, au finan­cement de la radio et de la télévision publique, sous peine de porter atteinte à leur liberté. Pour les juges, ce financement public ne remet pas en cause l’indépendance des médias audiovisuels publics à l’égard des pouvoirs politiques. Mais il justifie que leur soient confiées des missions spécifiques et, en particulier, une obligation renforcée en matière de lutte contre les fausses informations.

Contribution des médias publics à la lutte contre les fausses informations

Pour valider l’augmentation, même modérée, de la redevance audiovisuelle, la Cour rappelle que, dans un contexte médiatique marqué « d’une part par des flux d’informations complexes et multiples, de l’autre par les positions unilatérales, les bulles de filtrage, les fausses informations et les deepfakes », les médias audiovisuels publics ont une « importance grandissante ». Il est donc nécessaire de leur donner les moyens de remplir leur mission et, plus précisément, de présenter « la vérité grâce à des informations authentifiées, recherchées avec sérieux, et qui permettent de différencier les faits des opinions, en ne laissant pas le sensationnalisme prendre le dessus ». En d’autres termes, c’est le rôle spécifique du secteur public de l’audiovisuel en matière de lutte contre les fausses informations qui justifie, selon les juges, l’augmentation des moyens financiers qui lui sont alloués.

La vérification des informations et la mise en place de procédés de fact checking supposent la mobilisation de moyens matériels et humains qui ont effectivement un coût important. Mais l’argument retenu par la Cour pour justifier l’augmentation de la redevance paraît néanmoins quelque peu fallacieux. La lutte contre la diffusion de fausses informations est une obligation juridique et déontologique à laquelle sont tenus tous les médias, publics comme privés. Dans la loi française du 30 septembre 1986, par exemple, « l’honnêteté, l’indépendance et le pluralisme de l’information et des programmes qui y concourent » s’imposent, sous le contrôle du Conseil supérieur de l’audiovisuel, à l’ensemble des médias audiovisuels publics ou privés. Toutes les chaînes de radios généralistes à vocation nationale et les télévisions hertziennes qui diffusent des émissions d’information politique et générale doivent se doter d’un « comité relatif à l’honnêteté, à l’indépendance et au pluralisme de l’information et des programmes », notamment chargé de veiller au respect de ces principes.

On peut ainsi se demander si le devoir qui incombe aux médias audiovisuels publics allemands de fournir au public des informations fiables, sérieuses et vérifiées, ne constitue pas le moyen, en justifiant l’augmentation de la redevance, de donner à l’État allemand les ressources nécessaires pour financer, de façon plus générale, l’augmentation prévue du budget de l’audiovisuel public, qui devrait atteindre 1,5 milliard d’euros entre 2021 et 2024.

La décision des juges de Karlsruhe n’en présente pas moins l’incontestable mérite de souligner la nécessité, pour les médias audiovisuels bénéficiaires d’un financement public, de proposer une information et des programmes différents ou d’une qualité supérieure à celle des programmes offerts par les médias privés, qui ne bénéficient pas d’un tel financement. Il en va de la légitimité du secteur public de l’audiovisuel et, par là même, de son existence et de sa pérennité. La question sera, à n’en pas douter, au cœur de la réforme de l’audiovisuel public français, qui, bien que reportée à plusieurs reprise, devrait voir le jour après la création par la loi du 25 octobre 2021 de l’Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique (Arcom). Le modèle allemand de « redevance universelle », indépendante de la détention d’un poste de télévision, pourrait aussi inspirer la réforme de la contribution à l’audiovisuel public français et, en particulier de son assiette, pour tenir compte des différents modes d’accès numérique aux médias publics.

Sources :

  1. Projet de loi de finances pour 2021 : Médias, livre et industries culturelles, Sénat,
    Rapport n° 138, 19 novembre 2020.
  2. ARD : Arbeitsgemeinschaft der öffentlich-rechtlichen RundfunkAnstalten der Bundesrepublik Deutschland (Communauté de travail des établissements de radiodiffusion de droit public de la République fédérale d’Allemagne).
  3. ZDF : Zweites Deutsches Fernsehen (deuxième télévision allemande). 
Maître de conférences à l’Université Paris 2

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