Quantique : l’Europe et la France avancent leurs pions

Que ce soit dans le domaine des commu­nications ultra sécurisées reposant sur la distribution quantique de clé, ou encore dans le domaine du calcul quantique, l’Europe et la France avancent leurs pions face aux leaders chinois et américains.

« Le quantique est au XXIe siècle ce que l’aventure spatiale a pu représenter pour les ingénieurs dans les années 1950 et 1960 », aime à avancer Georges-Olivier Reymond, président de Pasqal, une start-up française spécialisée dans la conception de processeurs pour le calcul quantique. Plus la ligne d’arrivée se rapproche, plus la course à la « suprématie quantique », débutée au point de vue théorique dans les années 1980, fait l’objet d’investissements de plus en plus importants dans des start-up. Selon le cabinet d’analyse PitchBook, cité par Les Échos« trente-quatre de ces pépites ont levé plus d’un milliard de dollars sur les huit premiers mois de 2021 ». L’avènement d’un ordinateur quantique augure un bond technologique de la même amplitude que celui qui sépare les ordinateurs ayant permis à l’homme d’aller sur la Lune des smartphones actuels, un million de fois plus puissants.

L’issue de la compétition reste incertaine car nul ne sait encore quelle serait la bonne méthode, ou tout du moins la meilleure, pour concevoir et construire un ordinateur quantique. Sur quel type de particule doit-on s’appuyer ? Les atomes refroidis par laser, selon les start-up Pasqal ou ColdQuanta, ou bien les points quantiques en silicium promus par Intel ou Silicon Quantum Computing, ou encore les qubits photoniques étudiés par Psi Quantum ou Xanadu ? Sans oublier les ions piégés dans un champ électromagnétique de Honeywell ou IonQ, mais aussi des circuits supraconducteurs d’IBM ou de Google.

La start-up française Pasqal, spin-off de l’Institut d’Optique Graduate School – Université Paris-Saclay, mise sur la technologie des atomes neutres pour concevoir un processeur quantique d’une puissance supérieure à 100 qubits – un qubit, pour « quantum » et « bit », étant l’état quantique qui représente la plus petite unité de stockage d’information quantique (voir La rem n°53, p.74) – et elle projette d’atteindre les 1 000 qubits à horizon 2023. Ces atomes sont dits « neutres » car sans charge électrique, ni positive ni négative, et les qubits sont ici des atomes uniques, piégés et manipulés par des lasers à température ambiante pour effectuer des calculs. Cette technique présente un certain nombre d’avantages, notamment face aux calculateurs composés de circuits supraconducteurs ayant pour inconvénient de ne fonctionner qu’à des températures proches du zéro absolu (-273,15 °C), ce qui nécessite de gigantesques installations de refroidissement.

En juin 2021, Pasqal a levé 25 millions d’euros, dont une partie provient du fonds Innovation Défense, le fonds d’investissement du ministère des armées, et espère en obtenir quatre ou cinq fois plus courant 2022. L’entreprise a déjà racheté Qu&Co, une start-up néerlandaise spécialisée dans le développement d’algorithmes et de logiciels quantiques, leur complémentarité matérielle et logicielle (hardware et software) constituant un réel atout face à la concurrence américaine ou chinoise. Pasqal collabore d’ores et déjà avec les centres de calculs haute performance du Cineca en Italie et avec la société civile Genci (Grand Équipement national de calcul intensif), créée en France en 2007 par les pouvoirs publics (voir La rem n°52, p.31). Pasqal travaille également avec Atos au développement de puces quantiques, et avec EDF depuis juin 2020 « sur des problèmes de complexes combinatoires pour optimiser le rechargement de flottes de véhicules électriques. Par exemple, quand on a des centaines de véhicules, quelle est la meilleure stratégie pour les recharger au mieux, dans quel ordre, avec quelles priorités, etc. ? », relate Christophe Jurczak, cofondateur de Pasqal. Ces problèmes de complexes combinatoires sont si difficiles à résoudre que les plus puissants des supercalculateurs contemporains peinent à la tâche.

En janvier 2021, le président Emmanuel Macron avait présenté un plan d’investissement national de 1,8 milliard d’euros sur cinq ans, dont 1 milliard apporté par l’État, 500 millions par des acteurs industriels, 200 millions par l’Europe et 100 millions par des investisseurs liés à l’écosystème français de start-up. Un an plus tard, la France a annoncé, par l’intermédiaire de Florence Parly, ministre des armées, Frédérique Vidal, ministre de l’enseignement supérieur, de la recherche et de l’innovation et Cédric O, secrétaire d’État chargé de la transition numérique et des communi­cations électroniques, le lancement d’une plateforme nationale de calcul quantique dans le cadre du plan « France 2030 ». La plateforme consistera à coupler des calculateurs quantiques avec des supercalculateurs classiques du Très Grand Centre de calcul implanté au CEA DAM (Commissariat à l’énergie atomique et aux énergies alternatives Direction des applications militaires) situé à Bruyères-le-Châtel, en Île-de-France. Une manière de se rapprocher des performances d’un futur ordinateur quantique et d’explorer dès aujourd’hui les applications concrètes qui nécessitent une telle puissance de calcul, notamment dans le domaine de la santé, pour générer de nouvelles thérapies et de nouveaux médicaments ou pour prédire la propagation d’un agent pathogène avant qu’il ne se transforme en épidémie, dans le domaine de la lutte contre le réchauf­fement climatique, ou encore celui de l’optimisation des modes de transports. Il est prévu que ce système hybride soit opérationnel en 2023 et, « d’ici mi-2022, nous ouvrirons une procédure pour l’achat des deux à trois hardwares quantiques qui sont intégrés dans la plateforme », a précisé Cédric O, secrétaire d’État au numérique, matériels parmi lesquels figure justement la machine quantique de Pasqal.

L’Europe avance également ses pions dans le domaine des communications quantiques, un système réputé inviolable de communications chiffrées, terrain sur lequel l’avance prise par la Chine n’est un secret pour personne. Ces communications reposent sur la distribution quantique de clé (QKD pour quantum key distri­bution), grâce à laquelle la transmission entre deux participants d’une clé cryptographique commune permet de chiffrer leurs communications (voir La rem n°53, p.74). En 2016, la Chine a lancé le premier satellite de communication quantique au monde (voir La rem n°40, p.59), avec pour objectif d’envoyer dix autres satellites Micius QUESS (Quantum Experiments at Space Scale), afin de constituer un réseau crypté quantique à l’échelle de la planète d’ici à 2030. En juin 2020, des scientifiques chinois ont ainsi réalisé la première distribution de clés quantiques au monde, sur 1 120 kilomètres sans s’appuyer sur des relais de sécurité intermédiaires, et publié leur étude dans la revue Nature.

En 2018, la Commission européenne a d’abord financé le consortium OpenQKD réunissant 38 entreprises et instituts de recherche, dont l’ambition fut de servir de « facilitateur et de multiplicateur pour les solutions de cryptographie quantique » stimulant la coopération entre « les uni­versités, les entreprises et les start-ups européennes pour le déploiement de sites de test ouverts à travers l’Europe, accessibles aux parties prenantes externes pour effectuer des essais sur le terrain » dans le domaine des communications reposant sur la distribution quantique de clé.

À la suite d’une première phase de faisabilité réalisée en 2020 par un nouveau consortium, appelé QSAFE (Quantum Network System Architecture for Europe) dirigé par Thales, la Commission européenne a de nouveau mandaté ce consortium, en avril 2021, pour concevoir la future infrastructure européenne de communication quantique, appelée EuroQCI (Euro­pean Quantum Communication Infrastructure). Le consortium, actuellement dirigé par Deutsche Telekom, réunit l’Institut autrichien des technologies (AIT), Thales, Thales Alenia Space, Telefónica Investigación y Desarrollo SA, des instituts de recherche et des partenaires privés. En décembre 2021, le consortium a remis les résultats de son étude préliminaire qui évalue les coûts, la sécurité, la technologie et le dimensionnement du futur réseau, ainsi que sa planification et son modèle opérationnel. Les premiers utilisateurs de l’infrastructure européenne de communication quantique seront l’Union européenne, les États membres de l’Union européenne et d’autres agences gouvernementales. En juillet 2021, l’Irlande, dernier des vingt-sept pays membres de l’Union européenne à l’avoir fait, a signé la décla­ration EuroQCI qui constitue un engagement des États membres, de la Commission européenne et de l’Agence spatiale européenne à construire conjointement une infrastructure de communication quantique sécurisée. L’objectif du consortium est de mettre en œuvre un démonstrateur d’ici 2024 et de déployer un premier service opérationnel de communication quantique d’ici 2027.

Sources :

  • « Microsoft et d’autres investissent dans la solution quantique de PsiQuantum », Jacques Cheminat, lemondeinformatique.fr, 7 avril 2020.
  • « Quantique et mobilité électrique ? Un partenariat prometteur ! », EDF, edf.fr, 26 juin 2020.
  • « Deutsche Telekom builds test environment for quantum technology », Norbert Riepl, telekom.com, July 7, 2020.
  • « Cryo-CMOS pour le quantique », CEA IRIG, techno-science.net, 12 mars 2021.
  • « Telex : Pasqal lève 25 M€, Ecran OLED flexible sur la peau, Colonial Pipeline récupère un bout de rançon », lemondeinformatique.fr, 8 juin 2021.
  • « Pasqal lève 25 millions d’euros pour s’affirmer comme un leader des technologies quantiques », BPI France, bigmedia.bpifrance.fr, 9 juin 2021.
  • « Deutsche Telekom and partners will design the European Quantum Communication Infrastructure (EuroQCI) », Norbert Riepl, telekom.com, September 12, 2021.
  • « IBM annonce le processeur quantique supraconducteur le plus puissant jamais réalisé », Jonathan Paiano, trustmyscience.com, 15 novembre 2021.
  • « Le réseau européen de communications quantiques a son plan de marche », Raphaële Karayan, usine-digitale.fr, 9 décembre 2021.
  • « Une plateforme nationale de calcul quantique ouvre en France », Sciences et Avenir avec AFP, sciencesetavenir.fr, 5 janvier 2022.
  • « La France officialise le lancement de sa plateforme nationale de calcul quantique », Maxence Fabrion, lesnumeriques.com, 5 janvier 2022.
  • « Nouvelle plateforme de calcul quantique pour des applications multiples », Gouvernement, gouvernement.fr, 5 janvier 2022.
  • « Informatique quantique : la start-up française Pasqal fusionne avec Qu&Co pour donner naissance à un leader européen », Maxence Fabrion, lesnumeriques.com, 12 janvier 2022.
  • « L’éco du jeudi 20 janvier 2022 », David Delos, francetvinfo.fr, 20 janvier 2022. 
Docteur en sciences de l’information et de la communication, enseignant à l’Université Paris-Panthéon-Assas, responsable des opérations chez Blockchain for Good

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