Les Opérations d’influence chinoises. Un moment machiavélien.

Depuis 2008, Pékin dépense 1,3 milliard d’euros par an pour établir « un nouvel ordre mondial des médias »

« Pour façonner le contenu et les récits médiatiques à travers le monde, affectant chaque région et plusieurs langues », Pékin utilise une combinaison de « formes largement acceptées de diplomatie publique avec des activités plus secrètes, corrompues et coercitives qui sapent les normes démocratiques, réduisent la souveraineté nationale, affaiblissent la viabilité financière des médias indépendants et violent les lois de certains pays ». Telle est l’analyse de Freedom House, organisation non gouvernementale financée principalement par le gouvernement américain qui étudie l’état de la démocratie dans le monde et citée par le rapport. En 2008, le Parti communiste chinois s’est laissé surprendre par la communication autour des Jeux olympiques de Pékin dont la médiatisation internationale a servi de « caisse de résonance pour les opposants au régime ». Pékin se donne alors les moyens de s’en prémunir, consacrant 10 milliards de renminbis par an (1,3 milliard d’euros) à l’établissement d’un « nouvel ordre mondial des médias », selon l’expression de Li Congjun, membre du Comité central du Parti et ancien président de Xinhua, la plus grande agence de presse chinoise.

Selon le rapport de l’Irsem, ce soft power chinois passe par l’internationalisation des grands médias chinois, le contrôle des médias sinophones à l’étranger, l’influence de Pékin sur les médias mainstream et le contrôle du contenant. Les médias chinois présents à l’étranger – parmi lesquels China Global Television Network (CGTN), China Central Television (CCTV), China DailyPeople’s Daily, Radio Chine internationale (CRI), Xinhua et China News Service – ont encore des difficultés à « concurrencer les médias occidentaux et s’imposer sur le marché mondial », notamment par « un manque de crédibilité des informations relayées et un ton propagandiste ». Afin de mieux maîtriser leur influence dans le monde, certains de ces médias sont dorénavant réunis au sein d’un conglomérat China Media Group (CMG), dirigé par le conseil des Affaires d’État de Pékin et surnommé la « Voix de la Chine » (Voice of China). Les moyens mis en œuvre portent leurs fruits.

Depuis Pékin, l’agence de presse Xinhua orchestre 180 antennes réparties dans plus d’une centaine de pays, où le travail des journalistes locaux consiste essen­tiellement à « traduire des dépêches préalablement rédigées par des employés chinois ». Principal réseau de chaînes de télévision publiques en Chine, CCTV couvre quasiment la terre entière avec des chaînes d’information en anglais, français, espagnol, arabe et russe reçues dans plus de 170 pays. Ce réseau mondial d’information propage des « contre-narrations susceptibles de démonétiser les critiques présentes dans les médias occidentaux et sert de relais aux récits construits par le Parti ». Quant à China Daily, premier journal chinois en anglais sous l’autorité du département de Propagande du Comité central (voir La rem n°52, p.100), il dispose d’une quarantaine de bureaux à l’étranger, ainsi que des centres d’impression, pour fabriquer ses éditions américaine (depuis 2009), européenne (2010) et africaine (2012).

Chacun de ces médias internationaux chinois est bien sûr présent sur les réseaux sociaux occidentaux – Twitter, YouTube, Facebook, Instagram, tous bannis de Chine – mais leur audience semble y être amplifiée artificiellement. Ainsi, sur Facebook, la chaîne américaine CNN compte 34 millions d’abonnés tandis que CGTN, dans sa version anglaise, en aurait 116 millions ; China Daily, 103,2 millions et Xinhua, 86,7 millions. Même constat pour la France où CGTN en langue française compterait 20,4 millions d’abonnés, deux fois plus que France 24 (10 millions) ou cinq fois plus que Le Monde (4,6 millions). En réalité, ces comptes chinois ont connu une croissance exponentielle, de l’ordre de « 5 000 fois le taux de croissance moyen des sites des médias mainstream américains », alors que le taux d’interaction est à l’inverse extrê­mement bas, l’équivalent de 0,006 %, 68 fois moins que celui des médias américains. Ceci prête à penser « qu’une partie substantielle des abonnés pourraient en réalité être des bots et des faux comptes ».

Le Parti communiste chinois déploie des moyens considérables pour tenter de « hisser certains de ses organes d’ »information » au niveau des plus grands médias internationaux qui jouissent d’une capacité d’influence globale, afin de faire entendre une vision chinoise de l’actua­lité ». Si son appareil médiatique ne convainc pas encore, nul doute que Pékin espère améliorer peu à peu son image et la crédibilité de sa propagande, configurant progressivement son « nouvel ordre mondial des médias ».

Paul Charon et Jean-Baptiste Jeangène Vilmer, rapport de l’Institut de recherche stratégique de l’École militaire (Irsem), Paris, ministère, des armées, 2e édition, octobre 2021.

Docteur en sciences de l’information et de la communication, enseignant à l’Université Paris-Panthéon-Assas, responsable des opérations chez Blockchain for Good

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