Une loi de programmation pluriannuelle préserverait-elle l’indépendance de l’audiovisuel public ?

À la suite de l’annonce du projet du gouvernement de supprimer la redevance audiovisuelle (ou CAP, contribution à l’audiovisuel public), La rem republie ici dans son intégralité l’article de Jean-Paul Markus, professeur de droit public à l’université Paris-Saclay et directeur de la rédaction du site lessurligneurs.eu, spécialisé dans le legal-checking, sur lequel il est initialement paru*.

Pas plus qu’une redevance, une loi de programmation ne garantit le budget de l’audiovisuel public, ni donc l’indépendance de ce dernier. Il faudrait inscrire l’audiovisuel public dans la Constitution.

C’est à vrai dire « dans l’équipe de campagne du président », précise Le Monde1, que se « souffle l’idée d’une « loi de programmation pluriannuelle » », qui permettrait de pérenniser le budget de l’audiovisuel public et donc son indépendance par la même occasion. Le contexte, bien entendu, est celui d’une promesse de suppression de la redevance en tant que taxe affectée à l’audiovisuel, qui inspire bien des craintes, notamment aux syndicats2 mais aussi au monde du spectacle3, quant à la pérennité et à la diversité de l’audiovisuel public français. Or une loi de programmation n’aurait qu’une portée symbolique.

Une loi de programmation ne garantit pas un budget

Nous avons déjà eu l’occasion d’affirmer, en commentant la promesse d’Anne Hidalgo relative à son « budget climat et biodiversité »4, que les lois de finances pluriannuelles (ou dites « de programmation ») ne garantissaient aucunement le maintien d’un budget. Car, en réalité, les lois de programmation se bornent à prévoir des budgets sur plusieurs années. Mais, juridiquement, elles n’ouvrent aucun crédit, c’est-à-dire qu’elles ne permettent aucune dépense.

Ainsi, une loi de programmation peut prévoir très solennellement que l’audiovisuel sera pourvu de 6 milliards chaque année durant trois ans, et pourtant aucun euro ne pourra être dépensé. Il faut pour cela que la loi de finances annuelle, la seule à permettre les dépenses, « ouvre » ces crédits chaque année. Les 6 milliards doivent donc se retrouver chaque année dans la loi de finances, trois ans durant, sans quoi ils restent virtuels.

Or l’expérience des lois de programmation n’est pas glorieuse : il est assez fréquent que la majorité parlementaire « oublie » après quelques années le programme qu’elle a voté, lequel ne sera pas intégralement repris par la loi de finances. De façon générale, les lois de programmation sont rarement respectées jusqu’à leur terme5 comme s’en plaint parfois le Parlement lui-même6, sauf bien entendu en année électorale7. Alors que faire ?

Constitutionnaliser l’audiovisuel public ?
Pas miraculeux non plus

En somme, pas plus que la redevance (comme nous l’avions souligné), une loi de programmation ne garantirait la pérennité de l’audiovisuel public. Pour obtenir cette garantie, il faudrait par exemple inscrire l’existence d’un audiovisuel public dans la constitution, comme l’enseignement public gratuit et laïc. Et pour sanctuariser son budget – car l’indépendance sans budget n’est que virtuelle –, une autorité indépendante serait probablement la mieux placée.

Avec certaines limites toutefois : les dépenses publiques font partie des prérogatives du Parlement en tant que représentant du peuple. C’est tout l’esprit du parlementarisme : les parlements démocratiques ont conquis à travers les temps leur capacité à contrebalancer l’exécutif en imposant leur consentement à toutes les dépenses publiques. Le roi ne pouvait plus lever d’impôt – et donc dépenser – sans l’accord du Parlement. Cela date de 1215 en Angleterre (la Magna Carta). En France, c’est la Révolution de 1789 qui a permis au Parlement de s’approprier le pouvoir exclusif d’autoriser les dépenses – et donc l’impôt. À travers les députés et sénateurs, c’est le citoyen qui consent à une dépense publique. Pour cette raison, il n’est pas possible pour le Parlement de se défaire de ce pouvoir financier, même au profit d’une autorité administrative, fût-elle indépendante.

Pour le dire autrement, l’audiovisuel public n’est – pour l’instant – pas au-dessus des lois. Ce que le Parlement lui accorde, le Parlement peut lui retirer. C’est le Parlement élu qui décide de son budget. Libre ensuite à tous les groupes de pression de jouer leur rôle. C’est la démocratie.

* « Selon l’ »équipe » d’Emmanuel Macron : une « loi de programmation pluriannuelle » préserverait l’indépendance de l’audiovisuel public », Jean-Paul Markus, lessurligneurs.eu, 23 mars 2022.

Sources :

  1. « Pourquoi la suppression de la redevance menace l’indépendance de
    l’audiovisuel public », Sandrine Cassini, lemonde.fr, 22 mars 2022.
  2. « Selon Philippe Martinez (CGT), la suppression de la redevance TV est « une attaque contre l’audiovisuel public », qui doit rester la « propriété des Français », Jean-Paul Markus, lessurligneurs.eu, 9 mars 2022.
  3. « Suppression de la redevance : « privé d’un financement autonome et pérenne, l’audiovisuel public n’aura d’indépendance que le nom » », lemonde.fr, 16 mars 2022.
  4. « Anne Hidalgo promet un « budget climat et biodiversité » fixant la « réduction d’émission de CO2 et de décarbonation de la production d’énergie » », lessurligneurs.eu, 17 janvier 2022.
  5. « Coup de rabot sur la loi de programmation de la justice », Jean-Baptiste Jacquin, 16 juillet 2019.
  6. « Programmation militaire : les sénateurs accusent le gouvernement de ne pas respecter la loi », publicsenat.fr, 22 juin 2021.
  7. « Budget 2022 : une nouvelle rallonge pour la justice, l’armée et la police », Leïla de Comarmond, lesechos.fr, 22 septembre 2021.
Professeur de droit public à l’Université Paris-Saclay et directeur de la rédaction du site Les Surligneurs

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