La reconnaissance biométrique dans l’espace public : 30 propositions pour écarter le risque d’une société de surveillance

Interdire la reconnaissance faciale en temps réel dans l’espace public tout en permettant une série d’expérimentations strictement encadrées sur trois ans

Le Sénat considère qu’il devient de plus en plus urgent de « construire une réponse collective à l’usage des technologies de reconnaissance biométrique dans l’espace public afin de ne pas être, dans les années à venir, dépassés par les développements industriels ». Les débats semblent n’opposer que ceux qui voudraient tout inter­dire à ceux considérant qu’il faudrait généra­liser la reconnaissance biométrique dans l’espace public. Ses déploiements sur le territoire national, très peu nombreux, « s’effectuent aujourd’hui en France sans encadrement juridique spécifique, ni réflexion éthique collective », estime le rapport.

Parmi les techniques biométriques destinées à « recon­naître un individu à partir de ses caractéristiques physiques, physiologiques ou comportementales », celle de la reconnaissance faciale soulève le plus de débats. Tout d’abord, il convient de différencier la reconnaissance faciale selon qu’elle sert à authentifier ou bien à identifier. Toutes deux fonctionnent à partir du visage d’une personne « d’abord capté et transformé en un modèle informatique dénommé gabarit » qui est ensuite comparé, grâce à un algorithme d’intelligence artificielle, soit au gabarit préétabli utilisé par la personne qui se présente – et la reconnaissance faciale sert ici à s’authen­tifier –, soit à d’autres gabarits répertoriés dans des bases de données – et la reconnaissance faciale sert alors à identifier (voir La rem n°52, p.106).

La reconnaissance faciale pour s’authentifier est largement répandue, par exemple en tant que fonctionnalité pour déverrouiller un smartphone ou encore, depuis 2010, par les services de contrôle des voyageurs aériens, maritimes et ferroviaires qui utilisent « Parafe » (pour Passage automatisé rapide des frontières extérieures), un logiciel qui, sans qu’aucune donnée ne soit conservée, compare « l’image contenue dans le composant électronique du document de voyage présenté et la photo prise en direct de son titulaire à l’inté­rieur d’un sas de passage »« La reconnaissance faciale mise en œuvre dans le cadre d’un système d’identification à distance en temps réel dans les espaces access­ibles au public » est l’une des lignes rouges qui permettraient d’« écarter le risque d’une société de surveillance », à moins d’être déployée dans le cadre d’expérimentations parti­culièrement encadrées.

La seule expérimentation à grande échelle a été testée, sur la base du volontariat, pendant le carnaval de Nice, entre février et mars 2019. Concernant les usages réalisés sans le consentement des personnes, les services de Sécurité inté­rieure (Police nationale, Gendarmerie nationale et douanes) ont de plus en plus recours à un dispositif de rappro­chement par photographies dans le fichier du Traitement des antécédents judiciaires (TAJ), uniquement possible « dans le cadre d’une enquête judiciaire, sous la direction et le contrôle d’un magistrat ». Cet outil de reconnaissance faciale pour identifier les personnes figurant dans le fichier TAJ a été utilisé 498 871 fois par la Police nationale et environ 117 000 fois par la Gendarmerie nationale en 2021. Pour le sénateur du Nord Marc-Philippe Daubresse, dont les propos sont rapportés sur le site Public Sénat, « on ne peut pas rentrer dans une société de surveillance avec Big Brother partout. Et d’un autre côté, il faut accepter que l’on puisse expérimenter un certain nombre de cas d’usage qui peuvent être liés au terrorisme, à la protection de grands sites sportifs, ou à la nécessité pour la police de vérifier que la personne en face d’elle n’est pas inscrite au fichier de la délinquance ».

Le rapport préconise notamment d’interdire l’utilisation de la reconnaissance biométrique à distance en temps réel dans l’espace public. Sauf exceptions très limitées, notamment dans le cadre d’enquêtes judiciaires liées à une infraction grave, ou dans un « cadre administratif, en vue de sécuriser de grands évènements présentant une sensibilité particulière ou les sites particulièrement sensibles face à une éventuelle menace terroriste », et « dans un cadre de renseignement, en cas de menaces imminentes pour la sécurité nationale ».

Les sénateurs appellent donc de leurs vœux « l’élaboration d’une loi d’expérimentation permettant de créer le débat et de déterminer quels usages de la reconnaissance faciale sont pertinents avant de pérenniser, par une seconde loi, ceux d’entre eux qui le seraient ». Même si Cédric O, alors secrétaire d’État à la transition numé­rique, a indiqué lors d’une audition devant le Sénat en mars 2022 que les dispositifs de sécurité des Jeux olympiques de 2024 pourraient ne pas inclure la reconnaissance faciale en temps réel dans l’espace public, la question est toujours posée. Quant aux nouvelles règles de la Commission européenne en matière d’intelligence artificielle, rendues publiques en avril 2022, elles réaffirment également l’interdiction d’utiliser des systèmes d’identification biométriques en temps réel dans les espaces publics, tout en prévoyant, elles aussi, quelques exceptions.

La reconnaissance biométrique dans l’espace public : 30 propositions pour écarter le risque d’une société de surveillance, Sénat, rapport d’information, Marc-Philippe Daubresse, Arnaud de Belenet et Jérôme Durain, mai 2022

Docteur en sciences de l’information et de la communication, enseignant à l’Université Paris-Panthéon-Assas, responsable des opérations chez Blockchain for Good

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