L’amélioration de la protection des lanceurs d’alerte par la loi Waserman

Issus de deux propositions1 présentées par le député MoDem et vice-président de l’Assemblée nationale, Sylvain Waserman, deux textes destinés à améliorer la protection des lanceurs d’alerte ont été publiés au Journal officiel du 22 mars 2022.

Une loi organique du 21 mars 20222, entrée en vigueur le lendemain de sa publication, a modifié la loi organique du 29 mars 2011 relative au Défenseur des droits3 pour renforcer son rôle en matière de signalement d’alerte et de protection de leurs auteurs. Une loi ordinaire du même jour4, entrée en vigueur le 1er septembre 2022, modifie et complète le régime juridique des lanceurs d’alerte, initialement établi par la loi du 9 décembre 2016 relative à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique5, dite « loi Sapin 2 ».

Validées par le Conseil constitutionnel le 17 mars 2022, avec une réserve d’interprétation pour la première6 et à l’exception d’un cavalier législatif pour la seconde7, les lois « Waserman » transposent, en droit français, la directive du 23 octobre 2019 sur la protection des personnes qui signalent des violations du droit de l’Union8. Elles apportent aussi un certain nombre de correctifs aux imperfections, constatées dans la pratique9, du régime antérieur de l’alerte. Dans cette double perspective, les lois du 21 mars 2022 modifient le statut du lanceur d’alerte sur trois points majeurs : la définition du lanceur d’alerte est élargie ; les procédures de signalement des alertes sont simplifiées et la protection juridique accordée aux lanceurs d’alerte est renforcée.

Élargissement de la définition du lanceur d’alerte

Aux termes de l’article 1er de la loi Waserman du 21 mars 2022 modifiant l’article 6 de la loi Sapin 2 du 9 décembre 2016, « un lanceur d’alerte est une personne physique qui signale ou divulgue, sans contrepartie financière directe et de bonne foi, des informations portant sur un crime, un délit, une menace ou un préjudice pour l’intérêt général, une violation ou une tentative de dissimulation d’une violation d’un engagement international régulièrement ratifié ou approuvé par la France, d’un acte unilatéral d’une organisation internationale pris sur le fondement d’un tel engagement, du droit de l’Union européenne, de la loi ou du règlement ».

Excluant toujours les personnes morales, cette nouvelle définition est à la fois plus souple et plus large que la définition initiale. L’obligation, jusqu’alors imposée au lanceur d’alerte, d’agir « de manière désintéressée », est remplacée par l’exigence plus précise d’une absence de « contrepartie financière directe » à la révélation des faits illicites. Par ailleurs, la nécessité, pour le lanceur d’alerte, d’« avoir eu person­nellement connaissance » de ces faits, est limitée à la seule hypothèse où « les informations n’ont pas été obtenues dans le cadre des activités professionnelles ». Enfin, la nouvelle loi n’exige plus des faits dénoncés qu’ils constituent une violation « grave et manifeste » de la règle de droit ou « une menace ou un préjudice graves pour l’intérêt général ». Il pourra désormais s’agir non seulement de la violation du droit national, international ou européen, mais aussi d’« une tentative de dissimulation » d’une telle violation, voire de simples « informations portant sur un crime, un délit ». La loi Waserman exclut cependant du régime de l’alerte la révélation de faits, informations ou documents portant atteinte à certains secrets protégés par la loi. Au secret de la défense nationale, au secret médical et au secret professionnel de l’avocat, déjà visés par la version initiale de la loi Sapin 2, la nouvelle loi a ajouté le secret des délibérations judiciaires et le secret de l’enquête ou de l’instruction judiciaires, limitant ainsi l’étendue de la protection du lanceur d’alerte à l’égard des autorités publiques. Le secret des affaires des entreprises, lui, ne fait pas obstacle à l’exercice du droit d’alerte.

Ce nouveau régime de protection ne s’applique pas non plus lorsque d’autres dispositifs de signa­lement de violations du droit offrent au lanceur d’alerte des mesures de protection plus favorables. À l’inverse, la protection accordée au lanceur d’alerte est étendue, par la loi Waserman, aux « facilitateurs, entendus comme toute personne physique ou toute personne morale de droit privé à but non lucratif qui aide un lanceur d’alerte à effectuer un signalement ou une divulgation ». Cette protection bénéficie également aux personnes physiques qui sont en lien avec un lanceur d’alerte et qui risquent de faire l’objet de mesures de représailles dans le cadre de leurs activités professionnelles, ainsi qu’aux entités juridiques contrôlées par lui ou avec lesquelles il travaille.

Simplification des procédures de signalement des alertes

Dans la version initiale de la loi Sapin 2, la révélation du lanceur d’alerte devait, pour lui donner droit à l’immunité de l’article L. 122-9 du code pénal, être effectuée « dans le respect des procédures de signalement définies par la loi ». Or, sauf en cas d’urgence ou, plus précisément, « en cas de danger grave et imminent ou en présence d’un risque de dommages irréversibles » où le signalement pouvait être directement effectué auprès des autorités administratives, judiciaires ou professionnelles investies d’un pouvoir de sanction, la loi prévoyait une procédure de signalement en trois étapes. Un signalement interne à l’entreprise du lanceur d’alerte (auprès de son supérieur hiérarchique, direct ou indirect, de son employeur ou d’un référent désigné par l’entreprise) devait obligatoirement être fait avant l’alerte externe des autorités judiciaires, administratives ou professionnelles compétentes, qui précédait elle-même nécessai­rement la révélation publique du signalement, par l’intermédiaire des médias, en particulier. Outre ses inévitables lourdeurs, une telle procédure en trois étapes était de nature à limiter, voire à rendre impossible l’exercice du droit d’alerte, en particulier lorsque l’alerte concernait les agissements du supérieur hiérarchique du lanceur d’alerte ou de son employeur.

Conformément aux exigences posées par la directive européenne, la loi Waserman entend faciliter les signalements en assouplissant les procédures d’alerte et en renforçant les garanties de confidentialité des alertes. Le lanceur d’alerte peut désormais effectuer un signalement externe, soit après un signalement interne (lorsqu’il estime « possible de remédier efficacement à la violation par cette voie » sans s’exposer à un risque de représailles), soit directement à l’autorité compétente, au Défenseur des droits (DDD), à l’autorité judiciaire ou à un organisme habilité à recevoir les alertes. La divulgation publique d’une alerte peut, de même, être réalisée après un signalement externe (« précédé ou non d’un signalement interne ») demeuré sans effet ou même sans signalement préalable « en cas de danger grave et imminent » ou si un tel signalement externe risque de provoquer des représailles ou de rester inefficace, en raison de conflits d’intérêts, notamment. Sauf si elle « porte atteinte aux intérêts de la défense et de la sécurité nationales », la publication directe des informations obtenues par le lanceur d’alerte dans le cadre de ses activités professionnelles est permise « en cas de danger imminent ou manifeste pour l’intérêt général, notamment lorsqu’il existe une situation d’urgence ou un risque de préjudice irréversible ».

Les garanties de la confidentialité des alertes sont également renforcées. Les éléments d’identification du lanceur d’alerte ne peuvent être diffusés qu’avec son consentement, sauf en cas de communication à l’autorité judiciaire résultant d’une obligation légale de dénonciation des faits révélés. Le lanceur d’alerte doit alors être informé de cette communication, « à moins que cette information ne risque de compromettre la procédure judiciaire ». La durée de conservation des signalements est limitée au « temps strictement nécessaire et proportionné à leur traitement et à la protection » des personnes concernées, ainsi qu’aux éventuelles enquêtes complémentaires. Les personnes physiques concernées par des signalements qui seraient conservés au-delà de cette durée ne doivent plus être identifiées ou identifiables.

L’élargissement, par la loi organique du 21 mars 2022, des compétences confiées au Défenseur des droits en matière de signalement d’alerte contribue à la fois à faciliter l’exercice du droit d’alerte et à garantir la protection des auteurs de signalements. Dans sa version initiale, l’article 8 de la loi du 9 décembre 2016 reconnaissait déjà au lanceur d’alerte la faculté d’adresser, en toutes circonstances, un signalement au DDD, alors chargé de l’orienter vers l’autorité compétente. Cette faculté est désormais consacrée par l’article 35-1 de la loi organique du 29 mars 2011 relative au Défenseur des droits, aujourd’hui investi, au cours de la procédure de signalement, d’une mission supplémentaire d’information et de conseil. Le DDD peut être saisi par toute personne pour rendre un avis sur sa qualité de lanceur d’alerte ou sur le bénéfice d’autres dispositifs de protection. La mission du DDD de défendre les droits des lanceurs d’alerte s’étend à ceux de l’ensemble « des personnes protégées dans le cadre d’une procédure d’alerte ». Aux termes de l’article 36 de la loi du 29 mars 2011, le DDD est enfin tenu de présenter, tous les deux ans, au président de la République et aux présidents de chaque assemblée, « un rapport sur le fonctionnement global de la protection des lanceurs d’alerte ».

Renforcement de la protection des lanceurs d’alerte

Élargie dans son champ d’application et facilitée dans sa mise en œuvre, la protection accordée aux lanceurs d’alerte est également renforcée dans son contenu et sa portée. La loi Waserman du 21 mars 2022 étend l’immunité accordée aux lanceurs d’alerte pour la commission, par la révélation de faits illicites, de certaines infractions pénales. Elle renforce les mesures de protection contre les risques de représailles professionnelles et aggrave les sanctions encourues en cas d’entrave à l’exercice du droit d’alerte, de procédures abusives ou dilatoires, ou de représailles.

La protection accordée au lanceur d’alerte consiste, pour l’essentiel, en une exonération de sa responsabilité pénale en cas de violation, du fait de la révélation de faits illicites, d’un secret protégé par la loi, autre que certains secrets publics (secret de la défense nationale, secret des délibérations judiciaires, secret de l’enquête ou de l’instruction judiciaires) ou privés (secret médical ou secret professionnel de l’avocat), qui échappent au régime du droit d’alerte. Cette exonération de responsabilité est cependant subordonnée, par l’article 122-9 du code pénal, à plusieurs conditions de fond et de forme. La divulgation des faits illicites ou des menaces pour l’intérêt général doit, comme toutes les restrictions apportées aux droits et libertés, être « nécessaire et proportionnée à la sauvegarde des intérêts en cause », cette appréciation relevant du juge. L’auteur de cette divulgation doit répondre aux critères de définition du lanceur d’alerte et l’alerte doit respecter les conditions de signalement prévues par la loi.

Au regard du régime initial de l’alerte, la loi Waserman du 22 mars 2022 élargit, à un double titre, l’immunité du lanceur d’alerte. L’article 122-9, alinéa 2, du code pénal étend d’abord l’exonération de sa responsabilité pénale à la soustraction, au détournement ou au recel de documents ou supports « contenant les informations dont il a eu connaissance de manière licite » et qui font l’objet de son signalement, autrement dit à la commission des délits de vol, d’abus de confiance ou de recel.

Le nouvel article 10-1 de la loi du 9 décembre 2016 institue ensuite une irresponsabilité civile des lanceurs d’alerte pour les dommages causés par le signalement ou la divulgation publique d’informations dès lors qu’ils avaient « des motifs raisonnables de croire […] que le signalement ou la divulgation publique de l’intégralité de ces informations était nécessaire à la sauvegarde des intérêts en cause ». Le même article dresse une liste (non exhaustive) des mesures de représailles (suspension, licenciement, transfert, refus de promotion, mesures disciplinaires…) interdites et facilite les recours des lanceurs d’alerte contre de telles mesures, en mettant à la charge du défendeur la preuve du bien-fondé des mesures prises « dès lors que le demandeur présente des éléments de fait qui permettent de supposer qu’il a signalé ou divulgué des informations » illicites.

La loi nouvelle aggrave aussi les sanctions encourues par les personnes qui tentent de faire obstacle à l’exercice du droit d’alerte. Aux termes de l’article 13 de la loi Sapin 2, le délit d’entrave à la transmission d’un signalement est puni d’un an d’emprisonnement et de 15 000 € d’amende. Désormais, ses auteurs encourent également une peine complémentaire d’affichage ou de diffusion de la décision prononcée. Le montant de l’amende civile pour procédure abusive ou dilatoire dirigée contre un lanceur d’alerte est passé de 30 000 à 60 000 euros. En ajoutant la qualité de lanceur d’alerte aux motifs de discrimination énoncés par l’article 225-1 du code pénal, la loi Waserman punit de trois ans d’emprisonnement et 45 000 euros d’amende les auteurs de mesures de représailles infligées au lanceur d’alerte.

Conformément à l’article 20 de la directive européenne du 23 octobre 2019 relatif aux « mesures de soutien », l’article 14-1 de la loi du 9 décembre 2016 permet aux autorités compétentes de mettre en place des « mesures de soutien psychologique » ou d’accorder « un secours financier temporaire » aux lanceurs d’alerte dont la « situation financière s’est gravement dégradée en raison du signalement ». Pour les aider à faire face au coût des procédures judiciaires dans lesquelles ils peuvent être impliqués, le nouvel article 10-1-III de la loi du 9 décembre 2016 prévoit aussi la faculté, pour les lanceurs d’alerte contestant des mesures de représailles ou des procédures bâillons intentées contre eux, de demander au juge de leur accorder une provision pour frais d’instance ou visant à couvrir leurs subsides.

Ambitieux par son champ d’application, son contenu et ses modalités de mise en œuvre, le nouveau régime de protection des lanceurs d’alerte n’est cependant pas sans limites. La principale d’entre elles tient sans doute à l’exclusion, du régime de l’alerte, des informations couvertes par certains secrets publics, le secret de la défense nationale, en particulier. Le sort réservé, depuis plus de dix ans, au journaliste australien fondateur de Wikileaks, Julian Assange, suffit à le démontrer.

Sources :

  1. Proposition de loi organique visant à renforcer le rôle du Défenseur des droits en matière de signalement d’alerte, n°4375 du 15 juillet 2021 et Proposition de loi visant à améliorer la protection des lanceurs d’alerte, n°4398 du 21 juillet 2021.
  2. Loi organique n°2022-400 du 21 mars 2022 visant à renforcer le rôle du Défenseur des droits en matière de signalement d’alerte.
  3. Loi organique n°2011-333 du 29 mars 2011 relative au Défenseur des droits.
  4. Loi n°2022-401 du 21 mars 2022 visant à améliorer la protection des lanceurs d’alerte.
  5. Loi n°2016-1691 du 9 décembre 2016 relative à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique.
  6. Décision n°2022-838 DC du 17 mars 2022, loi organique visant à renforcer le rôle du Défenseur des droits en matière de signalement d’alerte.
  7. Décision n°2022-839 DC du 17 mars 2022, loi visant à améliorer la protection des lanceurs d’alerte.
  8. Directive 2019/1937 du Parlement européen et du Conseil du 23 octobre 2019 sur la protection des personnes qui signalent des violations du droit de l’Union.
  9. Évaluation de l’impact de la loi n°2016-1691 du 9 décembre 2016 relative à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique, dite « loi Sapin 2 », Raphaël Gauvain, Olivier Marleix, Assemblée nationale, n°4325, 7 juillet 2021.
Maître de conférences à l’Université Paris 2

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