« No code AI », le « no code » appliqué à l’intelligence artificielle

Le « no code » désigne cette famille d’outils en ligne, ergonomiques, permettant à des non-spécialistes de créer des applications et des systèmes informatiques sans avoir à programmer une ligne de code (voir La rem n°54bis-55, p.86). Le phénomène s’étend, depuis quelques années, aux domaines de l’intelligence artificielle et de l’apprentissage machine (voir La rem n°30-31, p.75).

Les outils « no code » se répandent dans des domaines de plus en plus variés comme la création de sites web (webflows), de sites web marchand (Shopify), d’applications mobiles pour smartphones (Bubble), d’assistants virtuels (Landbot), de bases de données (Airtable), et dorénavant jusqu’à la mise en œuvre d’algorithmes d’intelligence artificielle. La promesse de ces plateformes « no code AI » est d’élargir l’accès à l’apprentissage machine, jusque-là réservé aux data scientists, les « experts en mégadonnées » selon la recommandation de la Commission d’enrichissement de la langue française.

Le rôle d’un data scientist, explique le site OpenClassRoom, est « de traduire un besoin métier en une problématique de science de la donnée, puis de la résoudre grâce à des algorithmes pour réaliser, par exemple, des moteurs de recommandations, des prédictions pour améliorer les ventes d’une entreprise, ou encore des intelligences artificielles pour des applications mobiles ». Les outils « no code AI » permettent ainsi à des profes­sionnels de téléverser (ou de donner accès à) des données de leur entreprise sur des plateformes en ligne plus ou moins intuitives, pour y appliquer faci­lement des algorithmes de traitement de données. Pour Charles Lamanna, vice-président de Microsoft chargé des applications et des plateformes professionnelles, la moitié du travail de bureau pourrait être automatisé par des algorithmes d’intelligence artificielle, s’il y avait suffisamment de développeurs informatiques pour les programmer. Dans des propos rapportés par le New York Times, il estime en outre que « la seule façon d’y parvenir est de donner à chacun la possibilité d’être un développeur « no-code » ». Pour d’autres, tel Josh Tiernan, à la tête de No Code Founders, une communauté d’entrepreneurs non techniques qui utilisent des outils no code, « les outils d’IA no code sont encore en marge du mouvement plus large de l’informatique no code, car peu de gens comprennent suffisamment l’apprentissage automatique pour imaginer ce qui est possible ». Il serait encore trop tôt, même s’il reste convaincu de leur développement, à mesure que les gens prendront conscience du potentiel de ces outils.

Une offre de logiciels en ligne et de plateformes de no code AI à destination des professionnels en entreprise fleurit, développée par des start-up spécialisées, mais aussi par les géants du web. Akkio, par exemple, est une plateforme américaine no code AI destinée aux professionnels de la vente et du marketing, aux chefs de produits, aux professionnels de la finance et des ressources humaines. À partir de données fournies par l’entreprise cliente, Akkio propose des modèles de prédictions « à déployer en cinq minutes », selon des problématiques scénarisées : augmenter les ventes, détecter les clients en passe de rompre un contrat, prédire ce qu’un client est prêt à dépenser, détecter les transactions frauduleuses ou encore anticiper le départ d’un employé. Ainsi pour « les professionnels des ressources humaines [qui] collectent d’énormes quantités de données – du processus d’embauche à l’historique des employés en passant par les évaluations de performance », leur logiciel permet de les utiliser « pour découvrir des informations qui conduisent à l’attrition des employés et garder les meilleurs éléments au sein de votre équipe ».

De leur côté, les géants du web ont bien sûr lancé leur plateforme no code AI : Google Cloud AI, Microsoft Azure Machine Learning ou encore Amazon Sagemaker. La plateforme d’IA de Google comprend AutoML Vision, AutoML Tabular, ainsi que d’autres outils d’IA et si, toutefois, elle ne requiert pas de savoir coder, elle reste loin d’être accessible à tous. AES Corporation fournit un bon exemple d’utilisation de ces plateformes. L’entreprise américaine est un producteur et distributeur d’électricité en Amérique latine, aux États-Unis et en Europe. AES exploite des fermes d’éoliennes hautes de 140 mètres, avec des pales de 70 mètres de long. Pour inspecter ces machines, l’entreprise a d’abord engagé du personnel qui devait escalader les turbines et détecter les défauts. Elle s’est ensuite tournée vers Measure, une entreprise de services proposant des drones, afin d’automatiser l’inspection des éoliennes. Or, la quantité d’images captées par les drones s’est rapidement révélée impossible à analyser manuellement. L’entreprise a donc eu recours à Google Cloud AI pour interpréter ces milliers d’images et ainsi détecter les fissures et autres défauts sur le matériel. Microsoft propose Azure Machine Learning, qui permet « aux scientifiques des données et aux développeurs de créer, déployer, puis gérer des modèles de haute qualité plus rapidement et en toute confiance ». En 2018, Microsoft a racheté Lobe.ai, start-up cofondée en 2015 par Mike Matas, passé par Apple, Nest et Facebook, grâce à laquelle quiconque peut déployer un système de vision par ordinateur servant à identifier des objets. Quant à Amazon, sa plateforme d’apprentissage automatique dans le cloud SageMaker a été lancée en 2017.

Dans des propos rapportés par Le Monde, Florian Douetteau, cofondateur et PDG de Dataiku, une société française créée en 2013 et spécialiste de la science de la donnée, constate que si « le IA no code existe depuis plusieurs années, il n’est devenu une réalité économique tangible que depuis deux ou trois ans ». La raison d’un tel engouement tient en grande partie à la pénurie de programmeurs et développeurs informatiques capables de répondre à la demande croissante des entreprises. Les plateformes no code AI se révèlent être un moyen pour ces entreprises de tester, comprendre et apprendre, plus ou moins par elles-mêmes, les domaines d’application des algorithmes de prédiction au cœur de l’apprentissage machine.

Plus la plateforme de no code AI est simple d’accès, moins elle proposera de fonctionnalités avancées et, à l’inverse, plus elle sera paramétrable, plus elle s’adressera à des ingénieurs ou data scientists qui veulent gagner du temps sur le développement d’applications spécifiques.

Un écueil important de cette offre en ligne tient à la portabilité des données à laquelle les entreprises devront être particulièrement attentives, au risque de se retrouver pieds et poings liés à la plateforme utilisée. D’autre part, les données téléversées par les entreprises clientes sur ces plateformes en ligne sont soumises à des conditions générales d’utilisation qu’il convient de scruter minutieusement, afin notamment de s’assurer que l’éditeur de logiciel ne s’octroie aucun droit d’usage ou d’exploitation des données en provenance de ses clients. Enfin, les modèles d’apprentissage automatique, qu’ils soient no code ou développés sur mesure, ne seront jamais exempts de biais de conception que des non-spécialistes auront bien du mal à percevoir : si les données entrées sont de mauvaise qualité, le résultat le sera également, « foutaises en entrée, foutaises en sortie » (voir La rem n°50-51, p.45). En tout état de cause, ces modèles d’apprentissage machine ne sont pas plus transparents que les résultats obtenus ne sont expliqués au client, ce qui prédestine l’usage de ces plateformes à des services relativement simples ou à des entreprises ayant déjà des collaborateurs très qualifiés.

Sources :

  • « Data Scientist », openclassrooms.com
  • « Commission d’enrichissement de la langue française. Vocabulaire de l’informatique et de l’internet », NOR : CTNR1725303K, legifrance.gouv.fr, 26 septembre 2017.
  • « 45 No-Code AI Tools : The Complete No-Code AI Guide (Updated July 2022) », Akkio, akkio.com, February 20, 2021.
  • « « No-Code » Brings the Power of A.I. to the Masses », Craig S. Smith, nytimes.com, March 15, 2022 and April 1, 2022.
  • « No-code AI : l’IA à la portée de tous ? », Jacques Henno, Les Échos, 17 mai 2022. 

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