Suppression de postes, fusion de rédactions, bascule en ligne pour toutes les chaînes et la radio de la BBC, menaces sur le financement des journaux télévisés pour le réseau de télévision privé ITV : des changements radicaux sont annoncés pour faire face aux concurrents venus de l’internet.
Le gouvernement de Boris Johnson s’en est pris à la BBC en convoquant l’arme suprême, la suppression de la redevance. Cette contribution de 159 livres par an et par foyer britannique représente en tout 3,8 milliards de livres, soit les trois quarts du budget de la BBC, le reste étant apporté principalement par ses activités commerciales de production audiovisuelle (BBC Studios). Mais, finalement, seul le gel jusqu’en 2027 du montant de la redevance a été validé, à charge pour les nouveaux gouvernements de statuer sur le futur de la BBC (voir La rem n°61-62, p.26). Rishi Sunak, dans la campagne qui l’a opposé à Liz Truss, a lui-aussi déclaré qu’il fallait revoir le financement de la BBC, même s’il s’était prononcé en faveur de la redevance quand Nadine Dorries, la ministre de la culture de Boris Johnson, avait appelé à sa suppression. Depuis, Rishi Sunak a été nommé Premier ministre et il ne pourra pas échapper à un débat sur le financement de la BBC. La Charte royale qui prévoit son financement doit en effet être renouvelée en 2027 ; c’est une habitude du monde politique britannique que de débattre du financement de la BBC, surtout quand on est conservateur, la BBC étant suspectée d’être trop à gauche (voir La rem n°54, p.49). Il faudra faire aussi avec la direction actuelle de la BBC qui prévoit de grands changements pour l’audiovisuel public britannique.
Le gel de la redevance a en effet conduit Tim Davie, le directeur général de la BBC, à annoncer un plan d’économies assez conséquent en mai 2022. Celui-ci passe par la suppression de 1 000 postes sur les quelque 22 000 salariés que compte le groupe public. L’objectif est d’économiser 200 millions de livres chaque année. Les économies passeront aussi par des frais de diffusion moins importants, puisque le plan d’austérité prévoit également une adaptation de la BBC au nouvel environnement numérique, qui justifie le passage à une diffusion en ligne de certaines chaînes de télévision dès 2025. La première concernée est BBC4, ses fréquences étant rendues à l’Ofcom (Office of communications), le régulateur britannique, pour qu’il les redistribue aux opérateurs de télécommunications. La chaîne pour enfants CBBC va également basculer en ligne. D’autres mesures d’économies complètent ce dispositif, comme la fusion des rédactions de BBC News et de BBC World Services. Ces dernières sont d’ailleurs particulièrement concernées par les réductions d’effectifs avec 382 journalistes en moins. À tailler dans le financement du service public, puisque c’est bien le cas quand la redevance est gelée en pleine période inflationniste, on s’en prend immanquablement au soft power britannique.
Cette adaptation au nouvel environnement numérique se traduit aussi par une réallocation des ressources au sein du groupe. En même temps que les suppressions de postes, Tim Davie a prévu d’affecter 500 millions de livres provenant des antennes en direction des activités numériques. Il s’agit de la priorité absolue du groupe, même si les montants concernés ont depuis été revus à la baisse, à 350 millions de livres. Tim Davie invoque en effet, dans la plupart de ses interventions, les chiffres d’une étude d’Enders Analysis sur les pratiques de consommation de la télévision des Britanniques. Alors qu’en 2010 87 % des Britanniques regardaient la télévision en direct, ils ne sont plus que 50 % en 2022. Moins de la moitié des Britanniques pourrait regarder la télévision linéaire dès 2023, la diffusion non linéaire devenant alors majoritaire, ce qui est déjà le cas chez les adolescents. Le 7 décembre 2020, Tim Davie en a tiré toutes les conséquences dans un discours à la Royal Television Society. L’avenir de la BBC est désormais sur l’internet et ce sont donc l’ensemble des radios et chaînes de télévision du groupe qu’il faut envisager de basculer en ligne dès 2030. Or ces activités sont sous-investies et les dépenses du groupe se concentrent encore sur les médias linéaires qui ont vocation à disparaître. Quelques exemples permettent d’appuyer ses propos : la série Peacky Blinders a attiré 7 millions de téléspectateurs dont la moitié sur l’iPlayer, signe de l’émergence d’une consommation à la demande des programmes pourtant conçus à l’origine pour la télévision linéaire ; les journaux du soir de la BBC attirent 18 millions de téléspectateurs par semaine, autant que le site web BBC News. Le développement de l’offre en ligne et l’abandon du poste de télévision s’imposent donc, selon Tim Davie, ce qui implique de complètement repenser la nature et les missions du service public audiovisuel, sauf à le marginaliser car, en ligne, ce sont les géants américains de la SVOD qui s’imposent actuellement.
Ces réflexions radicales ne sont plus taboues au Royaume-Uni. Le premier concurrent de la BBC, la chaîne commerciale ITV, qui a des obligations de service public, a en effet envoyé, selon le Guardian, une note au gouvernement où elle indique qu’elle renoncera à couvrir l’actualité britannique si une nouvelle législation n’est pas adoptée. Elle considère que les diffuseurs locaux doivent être avantagés face à la concurrence des acteurs américains de la SVOD du fait de leurs obligations de service public. Là encore, l’enjeu est la pérennité de ce qui a justifié le financement de l’audiovisuel public, les missions de divertissement, d’éducation et d’information. Si les acteurs de la SVOD privilégient le seul divertissement, si les autres missions ne sont pas sanctuarisées d’une quelconque manière par le gouvernement, alors il se pourrait bien que le seul jeu des marchés aboutisse à leur disparition. D’ailleurs, ITV donne la priorité à la SVOD pour le moment, avec 800 millions de livres d’investissement dans le lancement d’itvX, sa nouvelle plateforme de streaming, le 8 décembre 2022 (voir infra). Les menaces de suppression des journaux télévisés sur ITV, la fusion des rédactions de BBC News et de BBC World Services, le passage de BBC4 en ligne et les menaces liées à la privatisation de Channel 4 (voir La rem n°61-62, p.26), l’autre chaîne publique britannique… ces événements vont tous en effet dans le même sens.
Ces enjeux sont à l’évidence perçus par le nouveau gouvernement, qui a revu du tout au tout les perspectives de Channel 4. Mise en vente par le gouvernement de Boris Johnson (voir La rem n°61-62, p.26), Channel 4 restera finalement publique. Elle aura même les moyens de ses ambitions. Le 5 janvier 2023, Michelle Donelan, la ministre de la culture du gouvernement Sunak, a revu les règles que doit suivre Channel 4 : la chaîne, qui a des obligations de production indépendante et qui n’a pas la possibilité de conserver longtemps les droits des programmes qu’elle finance, pourra désormais produire ses propres programmes et détenir plus de droits afin de moins dépendre du seul marché publicitaire.
Sources :
- « La BBC s’adapte à une ère d’austérité et de concurrence online », N.M., Les Échos, 30 mai 2022.
- « À Londres, les réflexions avancent sur le financement futur de la BBC », Ingrid Feuerstein, Les Échos, 19 juillet 2022.
- « La BBC fête ses cent ans en pleine remise en question de son modèle », Ingrid Feuerstein, Les Échos, 18 octobre 2022.
- « Au Royaume-Uni, la chaîne IT pourrait arrêter de couvrir l’actualité », Caroline Sallé, Le Figaro, 7 décembre 2022.
- « La BBC se projette déjà dans un futur sans radio ni petit écran », Marina Alcaraz, Les Échos, 9 décembre 2022.
- « La BBC pourrait renoncer à ses chaînes et devenir 100 % digitale », Caroline Sallé, Le Figaro, 9 décembre 2022.
- « Aux États-Unis et au Royaume-Uni, les médias s’adaptent à la baisse des revenus publicitaires », Club des correspondants, franceinfo.tv, 12 décembre 2022, https://www.francetvinfo.fr/replay-radio/le-club-des-correspondants/aux-États-Unis-et-au-royaume-uni-les-medias-s-adaptent-a-la-baisse-des-revenus-publicitaires_5506797.html.
- « Le gouvernement britannique renonce à privatiser Channel 4 », Fabio Benedetti Valentini, Les Échos, 6 janvier 2023.
ITVX, LE « TOUT-EN-UN », FUTUR DE LA TÉLÉVISION « Tout-en-un », c’est la formule choisie par le leader de la télévision commerciale au Royaume-Uni pour tracer son avenir. Le groupe ITV a opéré le 8 décembre 2022 sa transition numérique avec le lancement de itvX, plateforme internet depuis laquelle sont accessibles tous ses services, traditionnels et nouveaux, en direct ou à la demande, comme le détaille une note réalisée par NPA Conseil. En assemblant dans un service en ligne unique, chaînes TNT, chaînes Fast, service de rattrapage, vidéo à la demande et SVOD, le groupe britannique fait définitivement le choix de la convergence. La plateforme itvX déploie une importante offre AVOD – vidéo à la demande gratuite, avec publicité. Le service gratuit de télévision de rattrapage (replay) itv Hub, ainsi que sa version payante sans publicité itv Hub+, ont rejoint, sur une même plateforme, le service de SVOD BritBox, cofondé avec la BBC et dont ITV est désormais le seul propriétaire. L’offre de programmes est passée de 4 000 à 10 000 heures. Le temps consacré à la publicité y est inférieur (7 min/h maximum) à celui des antennes classiques (entre 7 et 12 min/h). Afin de séduire les internautes « SVODistes », itvX propose une version premium, à 6 livres par mois ou 60 livres par an, comprenant l’accès au catalogue de l’ex-service de SVOD BritBox et un nombre important de séries en exclusivité, à raison d’une nouveauté par semaine. Selon une logique « web first », il faudra attendre plusieurs mois avant de pouvoir regarder ces inédits sur une chaîne traditionnelle en mode linéaire. Un autre parti pris résulte de l’interface qui invite à découvrir l’ensemble des contenus selon les codes du streaming à la demande. Un onglet « Live » regroupe 24 chaînes linéaires, qu’elles soient traditionnelles (ivt1, ivt2…), Fast, généralistes ou thématiques ; tandis que les « Corners » déroulent 22 listes thématiques telles que « Make It a Movie Night », « Spies Like Us », « Reality Check », « The Costume Collection » ou encore « Stream the Best of the US », ainsi que le décrit NPA Conseil. Quant aux programmes d’information, un onglet « News » sur la page d’accueil de la plateforme conduit au site web d’ITV News et les émissions d’information comme Good Morning Britain ou ITV News at Ten, sont rassemblées au sein d’une même catégorie. « The Streaming Home For All Of ITV and So Much More », un slogan qui résume la stratégie du principal groupe de télévision privée au Royaume-Uni, pays où 90 % des 18-24 ans déclarent privilégier les offres de streaming au moment de choisir un programme (voir La rem n°63, p.59). « L’intensification de la diffusion [sur internet] stimule l’activité globale d’ITV sans risque de cannibalisation sur les offres linéaires, qui ne sont pas vouées à disparaître mais bien au contraire à être renforcées par l’offre de streaming », selon Carolyn McCall, présidente de ITV, citée par NPA Conseil. Source :
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