Cord-cutting, absence de rentabilité pour la SVOD. Contexte macroéconomique difficile et marché publicitaire en berne pour la presse. L’impératif financier conduit les médias américains à revoir leurs ambitions à la baisse en même temps qu’ils licencient.
Les networks américains ont été les premiers à être frappés : l’arrivée de la SVOD (vidéo à la demande par abonnement) avec Netflix a enclenché le phénomène de cord-cutting, c’est-à-dire des résiliations définitives d’abonnement aux offres très chères de la télévision par câble aux États-Unis (voir La rem n°45, p.74). Le cord-cutting se poursuit, mais il a ralenti et, si désabonnement il devait y avoir, c’est souvent chose faite. Ainsi, au premier trimestre 2022, le leader Comcast perdait encore 500 000 abonnés à son offre linaire de télévision. Sur son année fiscale, close en septembre 2022, Disney a indiqué avoir perdu en tout 2 millions d’abonnés à ses différents réseaux câblés, ESPN et Disney Channel. À l’inverse, il revendique désormais 235 millions d’abonnés à ses services de SVOD, Disney+, Hulu et ESPN+. Mais, désormais, le phénomène de désabonnement concerne les services de SVOD eux-mêmes. Leurs abonnés ont en effet pris l’habitude de jongler selon les séries du moment. Un redoutable mécanisme s’est amorcé qui a consisté, pour les éditeurs de services de SVOD, à investir toujours plus dans la production afin de disposer de programmes prestigieux et à proposer en même temps des tarifs attrayants d’abonnement pour l’emporter. Sans surprise, ces services sont déficitaires, même si les nouveaux concurrents de Netflix, venus pour l’essentiel de la télévision, disposaient déjà d’un fonds de catalogue conséquent. Leurs dépenses en programmes originaux ne sont pas compensées par les revenus des abonnements, et les pertes de revenus liés au cord-cutting ne sont pas compensées, elles non plus, par la SVOD. C’est ce dont s’est vanté Reed Hastings, PDG de Netflix, dans la lettre qu’il a envoyée à ses actionnaires en octobre 2022 : il a rappelé que le modèle Netflix, pourtant sanctionné en Bourse après une première perte d’abonnés au premier semestre 2022 (Netflix a perdu 60 % de sa valeur en un an), est finalement assez résistant. Il génère des bénéfices quand les pertes opérationnelles de ses concurrents sont estimées à 10 milliards de dollars. Netflix a, par ailleurs, reconquis les abonnés perdus fin 2022, notamment grâce à ses offres avec publicité. Le service compte désormais 231 millions d’abonnés, un chiffre communiqué lors de la présentation de ses résultats annuels début janvier 2023. Certes, c’est moins que Disney, mais Disney perd de l’argent quand Netflix en gagne, avec un résultat opérationnel de 6,4 milliards de dollars 2022.
La situation critique sur le marché de la SVOD et des chaînes payantes a conduit à un renversement de situation qui s’est traduit par le remplacement brutal de certains PDG en novembre 2022 : AMC Networks a renvoyé sa directrice générale trois mois seulement après l’avoir recrutée et Disney s’est séparé de Bob Chapek, son directeur général, pour faire revenir à la tête du groupe Bob Iger. Ce dernier est à l’origine du lancement de Disney+, des rachats de Pixar, de Marvel, de LucasFilm et de 21st Century Fox. Sous sa direction entre 2005 et 2020, le cours de l’action Disney a été multiplié par cinq quand il a chuté de plus de 40 % en 2022 parce que Disney affiche des pertes de plus en plus importantes du fait de ses investissements dans Disney+. Pour ses résultats 2022, présentés avant le renvoi de Bob Chapek, Disney+ a en effet enregistré 4 milliards de dollars de pertes, contre 1,7 milliard de pertes en 2021, alors même que le recrutement d’abonnés est très dynamique. Le modèle économique de Disney+ n’est donc pas pérenne pour l’instant. Pourtant, Bob Chapek avait promis la rentabilité du service dès 2024. Cette promesse s’éloignant, il a été remplacé.
Les groupes éditant des services de SVOD sont donc sommés par leurs actionnaires de revoir leur stratégie. Ils doivent moins miser sur la conquête de nouveaux abonnés et l’objectif d’équilibre financier doit devenir la priorité, quitte à raccourcir les calendriers prévus à l’origine. C’est que la situation économique semble intenable, tous les secteurs d’activité (câble, SVOD, publicité) étant en difficulté au même moment. Ce nouvel impératif s’est traduit, malgré la période inflationniste qui incite les consommateurs à procéder à des arbitrages budgétaires, par des hausses des montants moyens des forfaits (voir La rem n°63, p.101). Disney+ a ainsi fait passer son abonnement aux États-Unis de 8 à 11 dollars par mois. Pour retenir les abonnés qui ne veulent pas payer plus cher, Disney+ a lancé, le 8 décembre 2022, une offre avec publicité à 8 dollars par mois. C’est la stratégie également retenue par Netflix avec le lancement de son offre avec publicité qui vise à proposer une gamme d’abonnements pour tous les types de consommateurs. La recherche de l’équilibre financier passe également par une diminution des dépenses. Netflix a licencié 450 salariés, Disney a gelé ses embauches, AMC Networks a décidé de réduire ses effectifs de 20 %. L’exemple le plus emblématique est sans aucun doute celui de Warner Bros. Discovery. En octobre 2022, le groupe a annoncé des dépréciations comprises entre 2 et 2,5 milliards de dollars, suite à l’abandon de certains projets jugés insuffisamment rentables, dont des films et des séries (BatGirl, un film déjà tourné mais peu convaincant ; la série FullFrontal ; le film Wonder Twins). S’ajoutent les coûts de restructuration liés à la fusion (voir La rem n°59, p.69) pour un total compris entre 3,2 et 4,3 milliards de dollars. Enfin, à l’avenir, Discovery+ et HBO Max devraient fusionner et le groupe produirait moins de contenus, puisque le nombre de films produits chaque année par la Warner devrait passer de 20 à 15. Autant dire que les services de SVOD s’apprêtent à vendre plus cher des catalogues moins riches, ce qui est à l’évidence risqué et conduira à des disparitions. Celles-ci passeront par des fusions internes, comme le rapprochement annoncé entre Discovery+ et HBO Max, par des rachats ou, tout simplement, par la fermeture pure et simple de services, ce qui fut le cas de CNN+.
Lancé le 29 mars 2022, CNN+ était un service d’information vidéo à la demande, sur le modèle de Fox Nation. Le service a été fermé dès le 30 avril 2022 par Warner Bros. Discovery malgré 300 millions de dollars investis pour son lancement. Avec la SVOD, l’information est aussi victime des difficultés économiques des médias américains. CNN, la chaîne d’information en continu, est certes rentable, mais elle voit son chiffre d’affaires s’effriter progressivement puisqu’elle est commercialisée dans les bouquets du câble. En 2022, CNN devrait réaliser, pour la première fois, moins de 1 milliard de dollars de bénéfice net. L’impératif de rentabilité et la nécessité d’économies au sein du groupe Warner Bros. Discovery ont donc conduit au renvoi de près de 400 employés. S’ajoute aussi une demande de repositionnement éditorial afin que CNN devienne moins partisane (elle était notoirement anti-Trump) pour gagner un public plus large.
La presse d’information est également touchée, principalement parce que ses recettes publicitaires sont en baisse du fait des incertitudes économiques et géopolitiques. La réponse des éditeurs passe pour l’essentiel par de nouveaux plans sociaux. Le groupe Gannet, éditeur du quotidien USA Today et de nombreux journaux régionaux, a licencié 400 journalistes en août 2022 et révélé 200 nouveaux licenciements fin 2022. Même le Washington Post, dont les revenus avaient été gonflés par l’arrivée de nouveaux abonnés suite à l’élection de Donald Trump, a mis en place des mesures d’économies qui passent par une réduction de l’offre éditoriale, le supplément du week-end étant supprimé. Au New York Times, bénéficiaire, c’est l’absence d’accord social sur la revalorisation des salaires des journalistes qui a conduit à une grève, ce qui est très rare dans la presse américaine. Enfin, la radio publique NPR, qui vit des donations des Américains, moins nombreuses en ce moment, a annoncé chercher à réaliser 10 millions de dollars d’économies.
Sources :
- « Warner Bros. Discovery annule des projets pour faire des économies », Stéphane Loignon, Les Échos, 26 octobre 2022.
- « Le pari risqué de Disney dans le streaming », Hortense Goulard, Les Échos, 10 novembre 2022.
- « Les géants du streaming trop peu rentables », Caroline Sallé, Le Figaro, 15 novembre 2022.
- « Le retour surprise de Bob Iger à la tête d’un Disney en crise », Pierre-Yves Dugua, Le Figaro, 22 novembre 2022.
- « AMC Networks, le diffuseur de « Walking Dead » et « Breaking Bad », licencie 20 % de ses effectifs », Solveig Godeluk, Les Échos, 1er décembre 2022.
- « Hécatombe dans les médias américains », Caroline Sallé, Le Figaro, 6 décembre 2022.
- « CNN veut préparer son rebond en taillant dans ses coûts », Solveig Godeluk, Les Échos, 8 décembre 2022.
- « Le climat social se tend dans la presse américaine », Véronique Le Billon, Les Échos, 12 décembre 2022.
- « Netflix creuse l’écart avec ses rivaux sur le terrain de la rentabilité », Stéphane Loignon, Les Échos, 23 janvier 2023.