« Dénialistes » sur Twitter, une entrave à la transmission du savoir scientifique

En France, parmi les comptes qui s’expriment au sujet du changement climatique sur Twitter, 26 % sont climatosceptiques – une proportion qui atteint 30 % au niveau mondial. Cette contestation des savoirs scientifiques sur le climat s’est amplifiée depuis l’été 2022, comme le démontre une étude menée au sein du CNRS.

Comment les personnes « climatosceptiques », qui font circuler des affirmations trompeuses sur les réseaux sociaux, parviennent-elles à influencer ne serait-ce qu’une minorité de l’opinion publique ? Discerner leur stratégie est « un enjeu majeur pour la mise en œuvre efficace et légitime des mesures environnementales à venir », selon les chercheurs de deux unités du CNRS : le Centre d’analyse et de mathématique sociales (CAMS) et l’Institut des systèmes complexes de Paris Île-de-France (ISC-PIF). Leur étude s’inscrit dans un projet intitulé « Climatoscope », qui porte sur l’analyse des messages échangés sur le réseau social Twitter concernant le changement climatique. Plus de 400 millions de tweets ont été collectés depuis 2016 et le traitement des données se fait sur la plateforme de big data Multivac de l’ISC-PIF.

Publiée en février 2023, l’étude, qui se concentre sur les échanges entre janvier 2021 et décembre 2022 en France, démontre que, pour la première fois, en juillet 2022, s’est formée sur Twitter une importante commu­nauté « dénialiste » française (une communauté étant définie comme un ensemble de comptes Twitter densément connectés). Les chercheurs désignent ainsi les personnes qui nient les faits établis en l’état actuel des connaissances de la science, et donc les travaux du Giec (Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat au sein de l’Organisation des Nations unies). En France, le nombre de comptes dénialistes a augmenté fortement, pour la première fois, à l’occasion de la campagne présidentielle en avril 2022, puis durant la campagne pour les élections législatives de juin 2022.

« Le changement climatique n’est pas réel » ; « le COest bon pour la planète » ; « il n’y a pas de consensus sur le changement climatique » ; « le changement climatique est réel mais causé par la variabilité naturelle du climat » ou « les préoccupations climatiques font partie d’un agenda politique de gauche pour détruire le capitalisme » : des milliers de messages de ce type circulent chaque jour sur Twitter en France en provenance de 10 000 comptes actifs. « Entre 2021 et juillet 2022, l’activité des comptes a été multipliée par six », explique au Monde David Chavalarias, directeur de l’ISC-PIF. 26 % de comptes Twitter dénialistes pour la France et 30 % au niveau mondial : ces résultats correspondent à la proportion de climatosceptiques au sein de la population, soit 31 % en Europe occidentale, 41 % en Amérique du Nord et 33 % dans le monde, d’après une enquête internationale du Forum économique mondial (ou World Economic Forum) de 2020.

Selon les chercheurs, cette intensification du discours climatosceptique sur Twitter connaît des causes conjoncturelles : les événements climatiques extrêmes durant l’été 2022 tels que les incendies à répétition et l’intense sécheresse ; la COP 27 en Égypte en novembre 2022 fortement marquée par le lobbying des industries fossiles ; enfin la sécurité d’approvisionnement en pétrole et en gaz menacée par la guerre en Ukraine. L’observation des échanges sur le réseau social a permis, en outre, de mesurer la chute significative de l’intensité des débats liée à l’impact de l’épidémie de Covid-19.

En France, les conversations autour des questions climatiques sur Twitter sont très largement menées par des personnes ; seuls 4 % des comptes sont opérés par des robots (bots) contre 7,4 % à l’échelle internationale, dixit le Climatoscope. Tous sujets confondus, ce taux est estimé à 20 % sur l’ensemble du réseau Twitter en septembre 2022 (sur vingt-quatre heures). Sur la question des faux comptes, les chercheurs avertissent du danger de l’astroturfing, stratégie de manipulation de l’opinion, en ligne et hors ligne, par la création d’une mobilisation factice. Sur internet, la création de faux comptes se faisant aisément par l’achat à bas prix de faux followers humains ou de bots, il faut s’attendre à ce que la multiplication des agents conversationnels utilisant l’intelligence artificielle comme ChatGPT contribue à augmenter grandement l’efficacité de ces derniers.

L’analyse des comptes Twitter français dévoile certaines caractéristiques concernant l’activité de la communauté des dénialistes en France comparée à celle des « pro-climat » (personnes qui admettent les résultats de la communauté scientifique). Début 2023, les dénia­listes utilisent 6,2 % de faux comptes (probablement bots), soit 2,8 fois plus que la communauté Giec, et ils ont eu 10 fois plus de comptes suspendus par Twitter : 7,4 % (contre 0,7 % pour les « pro-climat »). Une autre différence importante tient à la tonalité du discours. Obscénités, insultes, menaces, attaques visant le genre ou la religion… la proportion de messages « toxiques » circulant parmi les dénialistes est 3,5 fois supérieure à celle de la communauté Giec.

Enfin, en croisant leurs observations avec celles fournies par la plateforme Politoscope du CNRS/ISC-PIF qui cartographie la sphère politique française sur Twitter, les chercheurs ont remarqué que la communauté dénialiste ne chevauche pas celles des partis politiques traditionnels (LFI, EELV, PS, Renaissance, LR et RN). Néanmoins, une proportion non négligeable de comptes dénialistes interagit avec la twittosphère de l’extrême droite, relayant des messages d’Éric Zemmour ou encore ceux de Florian Philippot et de François Asselineau. S’ils ne fréquentent pas sur Twitter les courants politiques classiques, les dénialistes ont en revanche largement participé aux campagnes « antisystème » et « antivax ». Sur 10 000 comptes, 1 400 ont soutenu tous les grands mouvements de contestation organisés sur internet, à l’été 2021 au moment de la crise sociale en Guadeloupe ou encore, de novembre 2021 à janvier 2022, la polémique complotiste autour du variant Omicron. En outre, 6 000 comptes dénialistes ont fait écho à la propagande du Kremlin sur la guerre en Ukraine.

« La communauté des « dénialistes » présente un profil d’expertise très différent et passablement anormal, écrivent les auteurs de l’étude. […] Les experts du Giec et des communautés pro-climat concentrent leurs prises de parole sur leurs domaines d’expertise alors que la communauté dénialiste présente des formes inauthentiques d’expertises : un noyau dur de comptes qui s’expriment sur une multitude de sujets, concentrent une présumée expertise et fabriquent la majorité des narratifs en circulation. » Parmi les comptes dénialistes « experts », Elpis_R est le plus influent, en tenant « un discours pseudoscience très net pour faire croire à une expertise ». S’affichant notamment comme « Climate Science Research (Independent) – Climate Realist » – ce compte anonyme, avec 17 800 abonnés, a doublé son activité depuis juin 2022, c’est-à-dire depuis qu’il concentre ses attaques sur les travaux du Giec, après avoir été « antivax », puis « pro-Kremlin ».

D’après la cartographie mondiale du Climatoscope, Elpis_R fait le lien avec la communauté des influenceurs anglo-saxons « experts » en climatologie. Comme l’expliquent les auteurs de l’étude, pour arriver à ses fins, le compte Elpis_R s’appuie sur « la rhétorique des « 5D » particulièrement appréciée des opérations de subversion :

  • Discrédit (si vous n’aimez pas ce que vos critiques disent, insultez-les),
  • Déformation (si vous n’aimez pas les faits, déformez-les),
  • Distraction (si vous êtes accusé de quelque chose, accusez quelqu’un d’autre de la même chose),
  • Dissuasion (si vous n’aimez pas ce que quelqu’un d’autre prépare, essayez de lui faire peur),
  • Division (si vos adversaires sont trop forts, divisez-les).

Il la complète par un sixième « D » qui est peut-être le plus important pour favoriser l’inaction climatique :

  • « Doute »

Il est à noter que 3 % seulement des messages diffusés par Elpis_R sont repérés comme « toxiques ».

« Semer la division de cette manière est peu coûteuse et sans risque pour les agitateurs potentiels car contrairement à ce qui se passe en dictature, il n’est pas illégal de s’adonner à ce genre d’activité, écrivent les chercheurs. La guerre informationnelle qui s’appuie sur la division des populations faisant maintenant partie de la panoplie des armes stratégiques au plan géopolitique, il est hautement probable que la question de la lutte contre le réchauffement climatique devienne dans un futur proche un champ de subversion actif, si ce n’est déjà le cas. »

Sources :

  • « Les nouveaux fronts du dénialisme et du climato-scepticisme. Deux années d’échanges Twitter passées aux macroscopes », David Chavalarias, Paul Bouchaud, Victor Chomel, Maziyar Panahi, CNRS, Institut des systèmes complexes de Paris Île-de-France, iscpif.fr/climatoscope, 13 février 2023.
  • « Le climatoscepticisme connaît un rebond sur Twitter en France », Audrey Garric, Le Monde, 15 février 2023.

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