Validation par la CEDH de la condamnation d’Éric Zemmour pour provocation à la haine et à la discrimination

CEDH, 20 décembre 2022, Zemmour c. France, n° 63539/19.

Par arrêt du 20 décembre 2022, la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH), saisie par Éric Zemmour, a conclu à l’absence de violation de l’article 10 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (ConvEDH), article relatif à la liberté d’expression et à ses nécessaires limites, du fait de la condamnation pénale (peine d’amende) prononcée contre lui par les juridictions françaises, sur la base de l’article 24 de la loi du 29 juillet 1881, pour provocation à la haine et à la discrimination envers les musulmans, suite à des propos qu’il avait tenus lors d’un entretien télévisé.

La compréhension et l’appréciation de cet arrêt impliquent qu’il soit fait mention des textes en vigueur et de l’interprétation et de l’application dont, en cette affaire comme en beaucoup d’autres, ils sont l’objet tant par les juridictions françaises que par la Cour européenne.

Textes en vigueur

Les décisions rendues l’ont été sur le fondement de l’article 24 de la loi française du 24 juillet 1881 et de l’article 10 ConvEDH.

L’article 24 de la loi du 29 juillet 1881, sur la liberté de la presse, réprime d’une peine de prison ou d’amende le fait notamment de provoquer « à la discrimination, à la haine ou à la violence, à l’égard d’une personne ou d’un groupe de personnes, à raison de leur origine ou de leur appartenance ou de leur non-appartenance à une ethnie, une nation, une race ou une religion déterminée ».

Pour sa part, l’article 10 ConvEDH, après avoir posé, en son paragraphe 1, que « toute personne a droit à la liberté d’expression », et que « ce droit comprend la liberté d’opinion et la liberté de recevoir ou de communiquer des informations ou des idées, sans qu’il puisse y avoir ingérence d’autorités publiques », énonce, en son paragraphe 2, que « l’exercice de ces libertés comportant des devoirs et des responsabilités peut être soumis à certaines formalités, conditions, restrictions ou sanctions, prévues par la loi, qui constituent des mesures nécessaires, dans une société démocratique », notamment « à la défense de l’ordre et à la prévention du crime », ainsi qu’« à la protection de la réputation ou des droits d’autrui ».

Application par les juridictions

À la Cour européenne, était posée, par Éric Zemmour, la question de la conformité, au regard de l’article 10 ConvEDH, de la condamnation prononcée, contre lui, sur le fondement de l’article 24 de la loi de 1881, en raison des propos qui lui ont été reprochés.

Juridictions françaises

Parmi les propos en cause, ont été retenus par les juridictions françaises ceux par lesquels, à l’encontre des musulmans, sans distinctions, Éric Zemmour a notamment déclaré que « nous vivons, depuis trente ans, une invasion, une colonisation » ; qu’« il faut leur donner le choix entre l’islam et la France » ; que, « s’ils sont français, ils doivent, mais c’est compliqué parce que l’islam ne s’y prête pas, se détacher de ce qu’est leur religion ».

Le tribunal correctionnel rejeta notamment l’argumentation de la défense d’Éric Zemmour selon laquelle ces propos « constituaient une critique de l’islam, et non des musulmans, reflétant une inquiétude légitime de la compatibilité entre un islam rigoriste et les valeurs républicaines ». Il considéra qu’ils « relevaient de l’incrimination prévue à l’article 24 de la loi de 881 ». En conséquence, il condamna Éric Zemmour, « pour provocation à la discrimination, à la haine ou à la violence à l’égard d’un groupe de personnes à raison de leur origine ou de leur appartenance à une religion », à une amende de 5 000 euros.

Considérant que seuls certains passages des déclarations reprochées étaient susceptibles de recevoir la qualification de « provocation à la discrimination et à la haine religieuse », la cour d’appel infirma partiellement le jugement. Elle ramena la peine à 3 000 euros d’amende. Saisie d’un pourvoi d’Éric Zemmour, invoquant notamment la violation de l’article 10 de la ConvEDH, la Cour de cassation l’a rejeté.

Cour européenne des droits de l’homme

Sur saisine d’Éric Zemmour, se prévalant notamment de la participation à un débat d’intérêt général, et à l’argumentation duquel s’opposait celle du gouvernement français, la CEDH, se référant à différents textes européens, et particulièrement à l’article 10 ConvEDH, procéda à une analyse du cas d’espèce selon sa méthode habituelle : l’« ingérence », que constituent, sur la base de la loi du pays, les décisions des juridictions nationales, était-elle « prévue par la loi » ; répondait-elle à un « but légitime » ; était-elle « nécessaire dans une société démocratique » ? Cela l’a conduite à l’appréciation de la conformité à la ConvEDH.

  • Prévue par la loi

S’agissant du fait que ladite « ingérence » soit « prévue par la loi », ce qui implique que la disposition existe et soit accessible et compréhensible, la CEDH retient que la question qui se posait alors était de « savoir si, lorsqu’il a tenu les propos pour lesquels il a été condamné, le requérant savait ou aurait dû savoir – en s’entourant au besoin de conseils éclairés – qu’ils étaient de nature à engager sa responsabilité pénale sur le fondement de l’article 24, al. 7, de la loi de 1881 ». Elle estime que cet article « établit une distinction claire entre les provocations qui « poussent directement » à commettre certaines infractions […] et celles, comme en l’espèce, qui « poussent à la discrimination » ». Elle note également que « la notion de propos provocants, au sens de cette disposition, est interprétée, par la Cour de cassation, comme couvrant tant les propos qui suscitent un sentiment de rejet ou d’hostilité envers un groupe de personnes déterminées, que ceux qui exhortent à la discrimination à l’égard de ce groupe ». Elle relève enfin que la Cour de cassation a jugé que les termes de cet article de la loi de 1881 étaient « suffisamment clairs et précis pour que son interprétation […] puisse se faire sans risque d’arbitraire ». Elle rappelle « qu’elle a déjà admis que la loi de 1881 satisfait aux exigences d’accessibilité et de prévisibilité requises ». Elle considère enfin que, « dans les circonstances de l’espèce, tant l’énoncé de l’article 24, al. 7, que la jurisprudence de la Cour de cassation pouvaient raisonnablement permettre au requérant de prévoir que ses propos étaient susceptibles d’engager sa responsabilité pénale ».

  • But légitime

Comme l’a fait valoir le gouvernement français, la Cour considère que « la condamnation du requérant, pour provocation à la discrimination, avait pour but la protection de la réputation ou des droits d’autrui, en l’espèce, ceux des personnes de confession musulmane ».

  • Nécessaire dans une société démocratique

Examinant enfin le caractère « nécessaire » de l’ingérence, « dans une société démocratique », la Cour indique avoir « souligné, à de nombreuses reprises, que la tolérance et le respect de l’égale dignité de tous les êtres humains constituent le fondement d’une société démocratique et pluraliste », et qu’il en résulte que, « en principe, on peut juger nécessaire, dans les sociétés démocratiques, de sanctionner voire de prévenir toutes les formes d’expression qui propagent, incitent à, promeuvent ou justifient la haine fondée sur l’intolérance, y compris l’intolérance religieuse ».

  • Conformité à la ConvEDH

De tout cela, la Cour estime que les motifs retenus par les juridictions internes pour prononcer la condamnation « étaient suffisants et pertinents pour justifier l’ingérence litigieuse » ; et, en ce qui concerne la peine infligée, que la condamnation « au paiement d’une amende d’un montant de 3 000 euros » n’est pas excessive et était « proportionnée au but poursuivi ». En conclusion, la Cour « considère que l’ingérence dans l’exercice, par le requérant, de son droit à la liberté d’expression était nécessaire, dans une société démocratique, afin de protéger les droits d’autrui », et, en conséquence, qu’il « n’y a pas eu violation de l’article 10 de la Convention ».

Tant en droit français qu’en droit européen, le premier étant désormais soumis, sous le contrôle de la Cour européenne des droits de l’homme, au respect du second, la liberté d’expression, qui ne peut guère être absolue, trouve notamment ses limites nécessaires dans la « protection de la réputation et des droits d’autrui ». Comme en l’espèce, celle-ci inclut, parmi d’autres éléments, la répression de la provocation « à la discrimination, à la haine ou à la violence à l’égard d’une personne ou d’un groupe de personnes à raison […] de leur appartenance à […] une religion déterminée ».

Professeur à l’Université Paris 2

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