Majelan, Binge Audio, Louie Media : tous les studios indépendants de podcasts parmi les premiers créés en France se font racheter par des concurrents ou s’adossent à des groupes de médias. L’offre pléthorique n’a pas encore fait émerger un secteur structuré et rentable.
Il est des services qui font beaucoup parler d’eux mais qui ne rapportent pas autant qu’espéré. C’est le cas du podcast. Ces programmes d’écoute à la demande ont suscité l’engouement lors des confinements de 2020 et un avenir prometteur leur était annoncé. Spotify ne misait-il pas sur le podcast pour compléter son offre de musique en ligne et devenir ainsi le service de référence de l’audio dans le monde ? Dès 2019, son fondateur, Daniel Ek, annonçait un investissement d’un demi-milliard de dollars dans le podcast, lequel s’est traduit par le rachat des éditeurs Anchor et Gimlet Media, ce dernier étant l’un des plus grands producteurs de podcasts aux États-Unis (voir La rem n°50-51, p.38). Spotify a ensuite doublé son investissement et signé des contrats avec des « stars » du podcast, comme Joe Rogan, critiqué pour être un « antivaccin », ou encore Meghan Markle. Depuis ses derniers résultats en janvier 2023, Spotify, dont la valorisation boursière a fondu d’un quart, indiqua qu’il allait mieux cibler ses investissements afin de les rendre « plus efficaces », notamment dans les podcasts qui ont creusé les pertes du groupe.
L’emballement des débuts semble désormais se tasser. Selon Edison Research, 38 % des Américains disent écouter un podcast au moins une fois par mois en 2022, contre 41 % en 2021. En France, la croissance des écoutes se confirme en 2022, avec 17,2 millions d’auditeurs de podcasts selon Médiamétrie, le nombre d’écoutes ayant en revanche cessé d’augmenter début 2023.
Plusieurs raisons peuvent expliquer cette crise de croissance. La première est liée à la dimension pléthorique des offres, ce qui ne facilite pas l’installation des habitudes d’écoute. Faire connaître un podcast et lui associer une audience fidèle demande environ dix-huit mois. Or, les nouveaux programmes se multiplient, d’autant que les coûts de production sont peu élevés, ce qui favorise un renouvellement rapide de l’offre. Ces nouveautés vont donc souvent disparaître très vite à défaut de public ou de soutien à long terme de la part des groupes qui les éditent. C’est ce que révèle une étude du Carism (Centre d’analyse et de recherche interdisciplinaires sur les médias), le laboratoire de recherche de l’Institut français de presse (Université Paris-Panthéon-Assas), missionné par l’Observatoire du podcast et de la création audio (financé par la DGMIC, Direction générale des médias et des industries culturelles) pour analyser le développement de l’offre de podcasts issus des titres de presse. L’étude révèle ainsi une forte augmentation du nombre de podcasts produits en 2017-2018 en France, mais souligne en même temps que « 52,5 % des titres annoncés comme réguliers ont été interrompus. 486 titres de podcasts (55 %) ne durent pas plus d’un an, et 194 (22 %) pas plus de deux mois. Enfin, 206 titres (18 %) font montre d’une périodicité irrégulière, en dépit de l’annonce d’un format « mensuel » , par exemple ». La plupart du temps, en effet, l’initiative de créer un podcast revient à un journaliste passionné et ne fait pas partie d’une stratégie et d’une organisation identifiées au sein du titre de presse. La dimension amateure et sa composante expérimentale, normales sur un marché naissant, semblent ici dominer.
Cette offre abondante, mal structurée, irrégulière, pénalise les producteurs, ce qui a pu inciter des entreprises comme Radio France à développer leur propre service d’écoute pour éviter d’être noyées dans des offres plus généralistes ou « universelles ». À l’évidence, ce trop-plein est le propre d’un marché naissant. Il pourrait bien se résorber sous l’effet des pressions économiques, lesquelles constituent la deuxième explication de la crise de croissance du podcast.
Après les engouements du début, nombre d’acteurs du podcasting découvrent qu’il est difficile de monétiser leurs contenus, parce que la concurrence est très rude, parce que les recettes publicitaires sont globalement insuffisantes, parce que le marché est trop peu structuré et insuffisamment concentré. Il est tiré d’abord par la presse et la radio qui voient ici une manière nouvelle de renouer avec leurs publics ou d’aller en conquérir de nouveaux, plus jeunes et plus adeptes des nouvelles pratiques numériques. Dans ce cas, l’objectif premier n’est pas la rentabilité, ce qui ne favorise pas l’émergence d’un marché structuré. Dès lors, la plupart des producteurs indépendants de podcasts − ceux qui ne sont pas liés pas un groupe de médias − doivent se financer en faisant autre chose que de l’information ou de la création, c’est-à-dire en vendant des podcasts à des marques. C’est la stratégie des acteurs historiques en France, notamment Binge Audio et Louie Media.
Cette fragilité des modèles économiques des producteurs natifs conduit actuellement à un phénomène d’adossement de ces derniers à des groupes de médias, ou alors à des mouvements de concentration. En décembre 2022, CMI France (deuxième groupe de presse magazine en France) a ainsi pris 47 % du capital de Louie Media. En ce qui concerne les mouvements de concentration, Majelan a été racheté par ETX Studio en juin 2022 et se spécialise dans la mise à disposition de contenus pour les constructeurs automobiles. Binge Audio, qui avait fait le choix de l’adossement en s’associant au groupe Les Échos – Le Parisien, a finalement été cédé à Paradiso Media en février 2023, le nouvel ensemble devenant ainsi le premier producteur indépendant de podcasts en France. Le marché reste toutefois largement dominé par les radios, le groupe Radio France s’imposant très largement puisque France Inter et France Culture sont respectivement à la première et à la troisième place en nombre de podcasts téléchargés ou écoutés en janvier 2023 selon Médiamétrie, la deuxième place étant occupée par RTL.
Sources :
- Arnaud Mercier, Flore di Sciullo, Marie-Eva Lesaunier, « L’irrésistible essor des podcasts d’information », theconversation.com, 10 novembre 2022.
- Stéphane Loignon, « Spotify frôle le demi-milliard d’utilisateurs mais creuse ses pertes », Les Échos, 1er février 2023.
- Fabio Benedetti Valentini, Stéphane Loignon, « Crise de croissance sur le marché du podcast », Les Échos, 13 février 2023.
- Stéphane Loignon, Charlie Perreau, « Podcasts : Paradiso Media achète Binge Audio », Les Échos, 27 février 2023.