Les podcasts natifs sont égarés dans les méandres des textes relatifs aux services de médias audiovisuels et des dispositions du Digital Services Act.
Le rapport intitulé « L’écosystème de l’audio à la demande (« podcasts ») : enjeux de souveraineté, de régulation et de soutien à la création audionumérique », confié par le ministère de la culture à l’Inspection générale des affaires culturelles (Igac) et rendu public le 19 novembre 2020, définit de la manière suivante le podcast : « Le podcast (ou « audio à la demande » / AAD) désigne aujourd’hui tout contenu audio téléchargé ou écouté en streaming (flux continu) sur n’importe quel type de terminal. »1
Ce rapport distingue deux catégories, le « replay radio » et le « podcast natif » : « Une forme du podcast est celle de la radio à la demande (replay radio) : émissions issues de la grille de stations de radios, réécoutées en dehors de l’écoute en temps réel ; une autre forme est celle d’une création ad hoc, indépendante d’un service linéaire de radio, ce sont les podcasts dits natifs, dont les contenus sont produits en vue d’une mise à disposition de l’auditeur, sans programmation ou diffusion préalable par une radio. » Ces podcasts natifs peuvent aussi être édités par les médias traditionnels, radio ou presse écrite, afin d’enrichir leur site web.
Ainsi que le relève le rapport, « le podcast natif a pour particularité (comme la version audio d’un blog ou d’un post) de pouvoir être réalisé et mis en ligne par n’importe quel internaute, à l’instar des vidéos postées sur internet et accessibles sur les services de partage de vidéos en ligne (YouTube, Dailymotion, etc.). Comme il existe des youtubeurs, internautes postant leurs vidéos et susceptibles de réunir un large public autour de leurs productions, il existe aussi des « podcasteurs », créateurs de contenus sonores autoproduits, en même temps que s’est développée une production professionnelle de podcasts indépendamment des productions radiophoniques, à partir d’initiatives provenant de toutes sortes d’éditeurs, qu’il s’agisse de création et de contenus éditoriaux, ou bien de communication d’entreprise et institutionnelle ».
La multiplication exponentielle récente des podcasts natifs – ainsi que de celle, dans son sillage, des controverses et litiges autour de certains d’entre eux, s’accompagnant potentiellement d’actions de boycott à l’égard de certaines grandes plateformes de streaming2 – rend cruciale la question de la réglementation applicable à ce type de contenu numérique et de l’autorité en charge de veiller au respect de cette réglementation3. Quel texte appliquer, en particulier lorsque le podcast natif s’analyse comme un contenu illicite, tant au regard du droit pénal que du droit de la propriété intellectuelle ? Quel texte appliquer lorsque le podcast est un vecteur de désinformation ou bien qu’il risque de porter atteinte à la santé mentale ou physique d’auditeurs vulnérables, comme les mineurs ?
Nous distinguerons deux catégories, qui sont réglementées de manière fort asymétrique : le podcast natif, simple contenu audionumérique stocké auprès d’un hébergeur et diffusé au public par l’intermédiaire d’un agrégateur (1) ; le podcast natif, contenu audionumérique, assorti d’une image fixe et téléversé par son créateur sur une plateforme de partage de vidéos en ligne stockant et diffusant ce contenu au public (2).
- La « sous-réglementation » du podcast natif, contenu audionumérique stocké par un hébergeur et diffusé viaun agrégateur
Le modèle économique et technique de diffusion des podcasts natifs repose le plus souvent sur une pluralité d’acteurs, outre le créateur du podcast. Comme le précise le rapport de l’Igac dans l’introduction, à côté des auteurs, producteurs et éditeurs de podcasts, deux acteurs centraux de cet écosystème en construction sont les hébergeurs techniques et les agrégateurs4.
Les hébergeurs techniques sont les opérateurs qui stockent de manière pérenne le podcast en qualité de contenu audionumérique à la demande des auteurs, producteurs et éditeurs ; ils sont régis par la directive « e-commerce »5, qui vient d’être amendée sur ce point, par le Digital Services Act (DSA)6.
Avec l’entrée en application, d’ici quelques mois, de ce texte7, les hébergeurs ont vocation à être soumis à deux catégories de règles : en premier lieu, un principe de non-responsabilité sous conditions8 lorsque le contenu stocké est illicite9 ; en second lieu, un ensemble d’obligations de diligence10, leur imposant en particulier l’établissement de conditions générales d’utilisation claires, ainsi que la mise en œuvre d’un mécanisme de notifications et d’actions afin d’organiser le retrait des contenus illicites. Ces obligations devront être supervisées et sanctionnées par le coordinateur national pour les services numériques11 et par les autres autorités nationales de régulation compétentes, qui seront désignées par le législateur national, pour garantir la mise en œuvre du DSA, à la date d’entrée en application de cet instrument européen, au sein de chaque État membre de l’Union européenne. En outre, l’autorité judiciaire compétente pourra toujours enjoindre l’hébergeur de retirer ou de bloquer l’accès au contenu illicite12.
Les agrégateurs se composent d’une galaxie d’opérateurs pouvant aller des géants du numérique proposant un service gratuit d’agrégation jusqu’à des entreprises proposant ce même service en tout ou en partie payant, et éventuellement en complément d’un service principal de streaming. Dans les deux cas, ces agrégateurs s’emploient à permettre la diffusion des contenus audionumériques13 sur la base d’un référencement, d’un classement et de recommandations pouvant reposer sur le profilage de l’auditeur.
L’activité de l’agrégateur est le plus souvent distincte de l’activité de stockage qui incombe à l’hébergeur, et elle essaie également, tout au moins dans la présentation, de se distinguer de l’activité de moteur de recherche.
Ce point est important, car l’agrégateur échappe à la qualification et aux obligations de diligence de l’opérateur de plateforme en ligne au sens du DSA14 – qui suppose, pour être caractérisé, l’adjonction de l’hébergement à la diffusion de contenus –, mais aussi à celles de moteur de recherche en ligne15, dès lors que l’auditeur reste sur le site de l’agrégateur pour écouter le podcast.
À cette première difficulté ou lacune s’en ajoute une seconde. La directive « Services de médias audiovisuels » (SMA)16, bien que modifiée en 201817, incluant les services de vidéo à la demande et les services de partage de vidéo en ligne, tout comme son texte national de transposition, la loi modifiée Léotard de 198618, ne paraissent pas avoir été conçus pour régir les podcasts natifs19 en tant que contenu audionumérique diffusé en dehors d’un service linéaire de radio. En effet, les textes européens et français font référence à une exigence de « visionnage », qui n’est pas caractérisée en qualité de podcasts audionumériques.
Si cette première catégorie de podcasts natifs semble donc une grande oubliée des textes récents, une seconde catégorie de podcasts natifs relève au contraire de nombreux textes, qui se chevauchent partiellement.
- La réglementation pléthorique du podcast natif, en tant que contenu audionumérique assorti d’une image fixe et téléversé sur une plateforme de partage de vidéos
La situation sera en effet différente lorsqu’un podcast natif, en tant que contenu audionumérique, est non seulement assorti d’une image fixe mais également téléversé par son créateur sur une plateforme de partage de vidéos. On accède ainsi à de nombreux podcasts natifs sur la plateforme de partage de contenus en ligne YouTube.
Dans ce cas, il sera soumis à trois corpus complémentaires.
En premier lieu, il sera soumis au corpus textuel régissant les services de médias audiovisuels, qui inclut dorénavant les services de partage de vidéos en ligne. La directive « Services de médias audiovisuels »20, modifiée en 201821, régissant dorénavant les services de vidéo à la demande, mais aussi les services de partage de vidéo en ligne, et son texte national de transposition, la loi Léotard de 198622, modifiée par une ordonnance de 202023 imposent aux opérateurs de partage de vidéos en ligne des obligations similaires à celles incombant aux services de médias audiovisuels traditionnels. En particulier, l’Arcom (Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique) veillera au respect des obligations en matière de protection des mineurs énoncées à l’article 15 de la loi Léotard, ainsi que des obligations relatives aux communications commerciales accompagnant les contenus numériques diffusés24.
En deuxième lieu, le podcast natif sera soumis à l’article 17 de la directive « DAMUN »25 qui régit l’action des fournisseurs de services de partage de contenus en ligne relativement aux contenus protégés par des droits d’auteur, ainsi qu’à son ordonnance de transposition datant de 202126. Ainsi, sont imposées des obligations complémentaires à la plateforme de services de partage de contenus en ligne, et en particulier la recherche de l’obtention d’une autorisation émanant des titulaires de droits.
En troisième et dernier lieu, le podcast natif sera, en tant que contenu numérique téléversé sur une plateforme en ligne, soumis à la totalité des dispositions du Digital Services Act27, venu amender la directive « e-commerce »28 et appelant, dans les prochains mois, une modification substantielle de la nature et du contenu de la loi pour la confiance dans l’économie numérique (LCEN)29 de 2004. Au titre de ces obligations, il convient de souligner en particulier les obligations s’imposant aux très grands opérateurs de plateformes en ligne30, sous la supervision de la Commission européenne31, d’identifier et d’atténuer les risques systémiques de diffusion de discours de haine, ou encore de contenus portant atteinte aux droits fondamentaux, à la démocratie, à l’état de droit ou à la santé physique ou psychique des auditeurs, qu’ils soient majeurs ou mineurs32.
Sources :
- « L’écosystème de l’audio à la demande (« podcasts ») », François Hurard et Nicole Phoyu-Yedid, rapport de l’Inspection générale des affaires culturelles,
www.culture.gouv.fr, octobre 2020, p. 15. - « La plate-forme de streaming audio Spotify renonce aux podcasts d’Alain Soral et évalue toujours ceux de Dieudonné », Nicole Vulser, lemonde.fr, 22 mars 2022.
- À cet égard, le rapport cité en note 1 relève, page 55 et s., la faible réglementation juridique applicable.
- Rapport précité note 1, p. 37 et s.
- Article 14 de la directive 2000/31/CE du Parlement européen et du Conseil du 8 juin 2000 relative à certains aspects juridiques des services de la société de l’information, et notamment du commerce électronique, dans le marché intérieur (directive sur le commerce électronique).
- Article 6 du règlement (UE) 2022/2065 du 19 octobre 2022 relatif à un marché unique des services numériques et modifiant la directive 2000/31/CE (règlement sur les services numériques).
- Sauf exceptions, le DSA est applicable à partir du 17 février 2024.
- Article 14 de la directive « e-commerce », transposé à l’article 6.I.2 de la loi n° 2004-575 du 21 juin 2004 pour la confiance dans l’économie numérique (LCEN) et abrogé par l’article 6 du DSA.
- Article 3.h) du DSA (Définitions) : « « contenu illicite » : toute information qui, en soi ou par rapport à une activité, y compris la vente de produits ou la fourniture de services, n’est pas conforme au droit de l’Union ou au droit d’un État membre qui est conforme au droit de l’Union, quel que soit l’objet précis ou la nature précise de ce droit. »
- Articles 11 et s. et 16 et s. du DSA.
- Articles 49 et s. du DSA.
- Article 9 du DSA, article 6.I.8) de la LCEN.
- Rapport précité note 1, p. 44.
- Article 3.i) et articles 16 et s., 19 et s., 33 et s. du DSA.
- Article 3.j) et 33 et s. du DSA.
- Directive 2010/13/UE du 10 mars 2010 visant à la coordination de certaines dispositions législatives, réglementaires et administratives des États membres relatives à la fourniture de services de médias audiovisuels (directive « Services de médias audiovisuels »)
- Directive (UE) 2018/1808 du 14 novembre 2018 modifiant la directive 2010/13/UE visant à la coordination de certaines dispositions législatives, réglementaires et administratives des États membres relatives à la fourniture de services de médias audiovisuels (directive « Services de médias audiovisuels »), compte tenu de l’évolution des réalités du marché.
- Loi n° 86-1067 du 30 septembre 1986 relative à la liberté de communication (loi Léotard), telle que modifiée par l’ordonnance n° 2020-1642 du 21 décembre 2020 portant transposition de la directive (UE) 2018/1808 du 14 novembre 2018.
- « Podcasts, premières questions juridiques », Grégoire Weigel, Légipresse, 5 décembre 2019, www.legipresse.com/011-50475-podcasts-premieres-questions-juridiques.html
- Directive 2010/13/UE du 10 mars 2010 visant à la coordination de certaines dispositions législatives, réglementaires et administratives des États membres relatives à la fourniture de services de médias audiovisuels (directive « Services de médias audiovisuels »).
- Directive (UE) 2018/1808 du 14 novembre 2018 déjà citée.
- Loi n° 86-1067 du 30 septembre 1986 relative à la liberté de communication.
- Ordonnance n° 2020-1642 du 21 décembre 2020 portant transposition de la directive (UE) 2018/1808 déjà citée.
- Articles 58A et s. de la loi n° 86-1067 du 30 septembre 1986 relative à la liberté de communication.
- Directive (UE) 2019/790 du Parlement européen et du Conseil du 17 avril 2019 sur le droit d’auteur et les droits voisins dans le marché unique numérique et modifiant les directives 96/9/CE et 2001/29/CE.
- Ordonnance n° 2021-580 du 12 mai 2021 portant transposition du 6 de l’article 2 et des articles 17 à 23 de la directive 2019/790 du Parlement européen et du Conseil du 17 avril 2019 sur le droit d’auteur et les droits voisins dans le marché unique numérique et modifiant les directives 96/9/CE et 2001/29/CE.
- Règlement (UE) 2022/2065 du 19 octobre 2022 relatif à un marché unique des services numériques et modifiant la directive 2000/31/CE (règlement sur les services numériques – DSA).
- Directive 2000/31/CE du Parlement européen et du Conseil du 8 juin 2000 relative à certains aspects juridiques des services de la société de l’information, et notamment du commerce électronique, dans le marché intérieur (directive sur le commerce électronique).
- Loi n° 2004-575 du 21 juin 2004 pour la confiance dans l’économie numérique (LCEN).
- Articles 33 et s. du DSA.
- Articles 64 et s. du DSA.
- Articles 34 et 35 du DSA.